Chapitre 1.3

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— Comment va Reijiro au fait ?

Avec tout ça, j’ai oublié de demander des nouvelles de mon beau-frère, que j’apprécie beaucoup et avec qui je m’apprête quand même à vivre pendant un petit moment.

— Il va bien, tu le connais.

— Non, mais tu sais ce que je veux dire. Sa santé, ça s’est amélioré ?

— Oui ! Oui, écoute, oui, ça va.

— Tu peux simplement me dire que ça ne va pas et que tu ne veux pas en parler.

— Mais je te dis que ça va !

Elle secoue son téléphone devant moi.

— Les disputes, c'est pour la semaine prochaine !

Je souris brièvement. Au moins, ma sœur confirme mes doutes : c’est délicat.

— Il est à la maison ?

— Non, mon cher mari travaille.

Fuyumi ne cache nullement une pointe d’aigreur, en répondant.

— Quoi ? Mais il est fou !

Au début, je trouvais Reijiro juste con, mais en fin de compte, il est plutôt du genre tête brûlée et tenace que stupide. Ou les deux en même temps, probablement ? Enfin, peu importe, il est gentil comme gars, il prend soin de Fuyumi, la rend heureuse et c’est tout ce qui compte pour moi. Pour ça, je lui en suis éternellement reconnaissante, principalement après le chaos de notre enfance et adolescence. Surtout celle de Fuyumi.

Fuyumi s’inquiète souvent pour rien. Comme pour moi, qui souhaite habiter à Tokyo. A mes douze ans, après lui avoir annoncé mon projet de m’y installer, une fois diplômée, Fuyumi, dix-huit ans, a fondu en larmes.

Elle m’a listé tout un tas de raisons visant à me dissuader dans cette voie, en vain. Ce rêve ne m’a plus jamais quittée. Depuis, il est impossible qu’on se mette à en parler, sans se mettre à se hurler dessus. Et dommage pour nous, il va falloir qu’on se contienne jusqu’à mardi prochain…

Mais là, savoir son mari, ancien cancéreux, à peine en rémission, se remettre au labeur aurait dû la mettre dans tous ses états. Je la voyais déjà se rouler par terre ou me secouer en m’obligeant à reconnaître que c’est scandaleux et débile. Sauf qu’il n’en est rien. Elle semble bien le vivre. Pire, on dirait qu’elle s’en tape ! Ou alors, elle a pris de nouvelles résolutions ? Cesser d’être autant à fleur de peau. Aucune idée. Cela fait six mois que je ne suis pas venue à Hiroshima. Ai-je loupé un épisode ? Cette seule pensée suffit à faire surchauffer mes connexions neurales.

Je déteste tellement quand une chose m’échappe !

— Mais qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ? Il est têtu comme une mule. S’il veut retourner bosser, grand bien lui fasse.

Minute, minute, on vient de traverser un portail spatio-temporel dans le train et je n’ai rien vu venir.

— Euh… oui ? Je suppose que tu as raison.

— Dis, tu ne veux pas qu’on prenne le bus pour rentrer ? Histoire de ne pas trop traîner tes valises.

Enfin chez Fuy… chez nous, on souffle, soulagées d’être arrivées au bout de ce long voyage. Après m’être débarrassée de mon manteau et de mes chaussures, j'inspecte rapidement la pièce principale. Rien n’a changé depuis ma dernière visite. C’est comme si mon absence n’a duré qu’une journée. Tout est resté posé là où il était.

La maison de ma sœur et de son mari est un petit nid sympa, assez grand pour trois, très sobre et austère. La plupart des murs sont marron, renforçant cette impression d’éternel automne à l’intérieur. D’ailleurs, il régnait dès l’entrée une forte odeur de cannelle.

— Bienvenue à la maison ! m'accueille joyeusement Fuyu.

Le comité d'accueil se poursuit quand Pochi, le chien du couple, débarque en se précipitant vers moi. Je m’empresse de l’enlacer pour le caresser.

— Pochi ! Tu m’as manquée !!

— Il est content de te voir, remarque Fuyu. A lui aussi, tu as manqué !

Je tapote affectueusement le sommet de la tête de Pochi, en souriant et l’abreuvant de tout un tas de compliment et de doux mots.

— Alors ! Reijiro devrait rentrer vers dix-neuf heures et demi, ça tombe bien, c’est dans pas longtemps, parce qu’on a un cadeau pour toi.

— Un appartement et un boulot à Tokyo ? je lance, sournoisement.

Elle ricane avant de m’assèner un regard noir.

— Tu ne perds rien pour attendre. Mardi, t’es morte.

Elle mime un mouvement d’égorgement sous mes rires narquois, quand résonne une voix très familière de l’autre bout de la maison.

— Fuyumi ! Tu ne devrais pas aller chercher ta sœur à l’aéroport ?

Une ombre apparaît derrière la porte coulissante, menant vers le couloir. Après avoir écarté l’un des battants, l’air épuisé et totalement anéanti, Reijiro fait son entrée.

— Reijiro ? crie Fuyumi, sous le choc. Mais ! Tu n’es pas allé travailler, aujourd’hui ?

Il m’aperçoit à peine et esquisse un très bref sourire.

— Bonjour Reijiro ! je le salue. Heureuse de te revoir.

Je le salue très sobrement en m'inclinant à attention mais Fuyumi le coupe lorsqu’il s’apprête à répondre.

— Reijiro ?

— Désolé Fuyu… je n’y suis pas allé aujourd’hui. Je ne me sentais pas bien au réveil… alors je suis resté. En plus, tu n’étais pas à la maison, je pensais que tu travaillais. Et là… j’ai dormi… enfin, je croyais qu’on était hier, alors… j’ai pas vu le temps passer.

Elle s’approche de lui et tâte brièvement son front du dos de sa main. Très vite, presque précipitamment, elle met fin au contact.

— Tu te sens comment, maintenant ? demande-t-elle, doucement.

Son ton détonne complètement d’il y a un instant, où elle semblait assez contrariée.

— Mieux. Mieux.

Il reporte son regard vers moi.

— Pardon pour cet accueil, Yuna, vraiment. Je reviens, vite.

Et il se sauve presque pour s’engouffrer à l’intérieur du couloir, talonné par Pochi, parti rejoindre son maître.

— Il est dans un sale état… je commente, sans retenue.

Mais je regrette mes mots aussitôt. J’avance timidement vers Fuyu, restée plantée là, les yeux rivés sur la porte depuis laquelle son mari nous a quittées. D’ici, je constate qu’elle frissonne. De peur ? De colère ? Les deux, sans doute ?

— Fuyu ?

Purée, mais pourquoi ai-je l’impression que je devrais être partout sauf ici ?

— Je vais appeler maman, demain, déclare-t-elle.

— Pardon ?

— Elle n’a pas traité Rei’ pour son cancer mais elle saura quoi faire, finit-elle, froidement avant d’à son tour se débarrasser de sa veste pour la poser sur la table.

Cette phrase m’affole.

Elle ne pense quand même pas que…

Je fais immédiatement taire mes pensées saugrenues et morbides.

— Fuyu, ne t’inquiète pas. Il ne va rien lui arriver de grave. Il s’est remis à bosser alors qu’il sort d’un cancer, donc c’est normal qu’il soit assommé comme ça.

Elle ne répond rien. Au lieu de ça, elle prend une grande inspiration.

— Tu as raison. C’est pour ça que je ne voulais pas qu’il reprenne. Mais il ne m’écoute jamais ! Il n’écoute personne…

Quand Rei revient, il semble s’être un peu débarbouillé le visage, a troqué son pyjama froissé de tantôt pour une chemise formelle et un pantalon parfaitement repassé. Ses cheveux sont peignés, mieux que tantôt.

Pendant ce temps, ma sœur avait planqué mes valises dans une armoire tandis que je me lavais les mains, dans la cuisine, qui n’a aussi pas changé. Même la carafe mignonne avec une tête de chat qui fait toujours rire Rei est restée posée au milieu du plan de travail. Indiscrètement, j’ai même jeté un œil au cellier, séparé de la pièce par un rideau où les mêmes ustensiles, produits et étagères demeurent.

Il affiche un grand sourire et s’approche même de moi les bras levés. Sous mon regard interrogateur mais amusé de Fuyumi, il demande d’un ton blagueur :

— Vous ne passez pas vos journées à faire plein de câlins et de bisous en France ?

J’éclate de rire avant de volontiers le prendre dans mes bras. Durant notre étreinte, je le sens se crisper alors j’y met très vite fin.

— T’es con, je glousse.

Merde ! Ca m’a échappé… heureusement, Rei ne comprenant pas un mot de français, il interroge Fuyu du regard qui l’invite à oublier d’un revers de main. Elle observe le visage de son mari et se moque de la tête d’enterrement qu’il tire.

— Le choc, ton premier câlin ?

— C’est bon, arrêtez de m’embêter !

L’atmosphère s’est largement détendue et devient enfin plus respirable. Mais je ne peux pas oublier que du bout des doigts, j’ai senti sous ses vêtements à quel point Reijiro a la peau sur les os.

Non, non, oublie Yuna ! Pas mon cirque, pas mes singes. Maman viendra l’ausculter demain ou après-demain et posera un diagnostic précis et clair.

Bordel… j’ai mis de côté la santé de Rei pour penser à ma mère… Gé-nial.

J’ai migré d’un problème à un autre, en espérant avoir la paix. Mais non, penser à ma mère me chiffonne autant que Rei. Peut-être même plus.

— Vous n’aviez pas un p’tit cadeau pour moi, les vieux ? je glisse, d’un ton taquin.

Si mon beau-frère m’adresse un immense sourire mystérieux, Fuyu s’offusque.

— Les vieux ? Non, mais tu l’as entendue ? Les vieux ! Regarde cette ingrate, tu crois qu’elle mérite son cadeau ?

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