Chapitre 1.7

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Je la déteste !

Je la déteste !

Je la déteste !

Pour qui se prend-elle ? D’où elle se permet de m’apprendre la vie, comme ça ? Je ne lui ai rien demandé ! C’était sa bonne action du jour, de dire du bien de mon père ? Histoire de se faire pardonner tout le temps où elle l’a insulté et manqué de respect dans son dos avec maman ?

Je la hais, putain !

Je marche rageusement le long de cette allée de malheur où vivent Fuyumi et Reijiro. Putain, je sais même plus où je veux aller !

Mes pieds poursuivent leur route alors que je n’ai aucune idée d’où aller. Quelques personnes croisent ma route. Involontairement, je les bouscule mais aucune excuse ne s’échappe de mes lèvres alors qu’ils se confondent en excuse, de leur côté. Le vent dans les yeux et les cheveux et enfin libérée de cet appartement devenu bien trop étroit pour moi, rien pourtant ne me débarrasse de la colère.

Cet état perdure encore, même après avoir quitté la rue. A deux pas du centre-ville, j'accélère le pas, toujours sans but. Le monde qui se hisse au milieu des trottoirs ne me gêne nullement et j’arrive aisément à me frayer un chemin entre les différents individus formant la foule.

Tous semblent avoir un but, une voie tracée. Le soir, ils rentreront rejoindre une famille, qui doit les aimer. Ou peut-être qu’ils vivent seuls, sans personne pour les emmerder, au moins.

Finalement, alors que tout le poids de cette haine finit par devenir bien trop encombrant, un élan violent s’empare de moi, tel qu’il propulse mon pied, armé de bottines sur un poteau planté sur ma route.

Le coup est si brutal, qu’il résonne dans la ruelle, en plus de faire s’agiter le poteau brièvement.. Des passants me dévisagent, effrayés pour quelques-uns et furieux pour d’autres, dont un en particulier qui n’hésite pas à me cracher le fond de sa pensée :

— Sale étrangère, retourne chez toi !

Avec le même mépris, je rétorque en japonais :

— J’tai pas sonné, le bouffon !

Il me fusille du regard avant de se tirer. Le pire, c’est qu’il a toutes ses raisons de m’en vouloir. Mais putain, on se serait bien passé de la phrase préférée des racistes ! Au moins, le dégoût qui traverse son visage sonne comme une victoire pour moi. La sale étrangère maîtrise autant que lui sa langue sacrée.

J’ai profondément honte de mon comportement mais ne m’en rends compte que lorsque mon regard en croise un autre, effroyablement familier.

Une femme passait par-là et s’est arrêté en me voyant gueuler sur le connard raciste. Et elle m'a reconnue immédiatement.

Uiba. Mon ancienne nourrice. Elle s'est occupée de moi depuis ma naissance et ce jusqu’à mes dix ans.

Je suis incapable de la voir en face et surtout de lire dans ses yeux… et si elle est déçue ? Et si d’un coup, elle perd tout l’estime qu’elle me semblait me porter ?

Alors lâchement, je prends mes jambes à mon cou, fuyant aussi loin que mon corps puisse le supporter. Je cours, à en perdre mon souffle jusqu’à ce que mes poumons me lâchent définitivement au cœur d’un lieu inconnu, où les rues sont vidées de toutes vies. Un carrefour, au milieu de nul part.

Et à nouveau, une bombe de fureur explose en moi ! Putain mais maman m’a regardée dans les yeux pour me dire que Uiba avait quitté Hiroshima ! Et là, où est-ce que je la recroise ?

Je la déteste encore plus que Fuyumi ! Cette arnaqueuse, elle détruit tout !

Après avoir récupéré de ce marathon infernal, mon corps s’écroule par terre. Les jambes ramenées à mon buste, peu à peu, la colère se mue en une grande tristesse. Celle-ci m’enserre le cœur, plus venimeuse d’un serpent. Les larmes coulent d’elles-mêmes. Je pleure tant que mes yeux semblent également expulser les litres de larmes tant retenues jusqu'ici…

Je continue de chialer comme une merde encore logtemps jusqu’à ce que mon téléphone vibre. Je sais d'avance que c’est Fuyumi. Qui d’autre ?

La sorcière qui dit chocolatine : Je ne voulais pas te blesser, Yuna, je te le jure. Pardonne-moi. Rentre à la maison, s’il te plait.

Je balaye la notification d’un mouvement de doigt. Elle croit que ce sont des excuses en carton qui vont régler ça ?

Au lieu de répondre à ma sœur, ma tête de conne m’ordonne d’appeler mon père. Pourquoi ? Aucun moyen de le savoir. Encore une fois, mon index tremble devant la touche d’appel. Lui téléphoner pour quoi faire ? Tout ce que je sais, c’est que j’ai besoin de l’entendre. Un besoin inexplicable. ais pas besoin d’être un génie pour le savoir… c’est peine perdue.

En France, ils doivent être en début de matinée. A cette heure-ci, si mon père n’a pas perdu ses habitudes, il doit être avec la pâtissière pour discuter du menu de l’après-midi. Pâtissière dont il n’a pas goûté que les tartes aux fraises, soit dit en passant. Et très poliment.

Non, je ne peux pas me permettre de le gêner en plein travail…

Pourtant, je continue d’hésiter.

Un nouveau message de Fuyu.

La sorcière qui dit chocolatine : Maman est arrivée. Je te dirai quand rentrer.

— Yuna ? s’écrit une voix essoufflée. Ah dis donc ! Tu n’as pas changé… toujours une vraie pile électrique.

Uiba.

On se fixe un court instant. Pour la première fois de ma vie, quelqu’un semble réellement se préoccuper de moi. Mon expression reste stoïque, malgré mes yeux rougis et mon visage gonflé par les larmes.

— Ne fais plus jamais courir une vieille dame comme moi, Shim Yuna !

Son mignon petit faciès est illuminé par un rire communicatif. Il balaye tous mes doutes.

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