Leoval de Mith

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Résumé des chapitres précédents : Juan, Miguel, Franck, Julie et Marie ont émergé dans un monde inconnu dont les jours sont bercés de deux soleils. Par un concours de circonstances obscur, Julie a appris la langue locale. Le groupe s'est fait par la suite capturer par des soldats chevauchant des griffons, qui les ont emmenés vers une forteresse. Tandis que leur ravisseur a tenté de les faire disparaître après plusieurs mois en prison, ils ont été sauvés par un inconnu appelé Sayur, d'un peuple venant de l'Est lointain. Les voici arrivés à la cité de Vertval, à la demeure de la famille De Grandvaux (Obianne et Barnabas), chez qui Sayur devait les amener. Ils y découvrent des domestiques centaures, rencontrent le doyen des mages Palil d'Adk, et se voient donner à tous la compréhension de la langue locale. Les corps reposés, ce sont maintenant les esprits qui se questionnent.


Ce matin était différent des autres. Les rayons de l'aube jaune réveillèrent Julie à travers les rideaux de lin ; elle s'étira, reposée. Son corps était détendu, mais son esprit s'agitait toujours. Depuis qu'ils étaient dans ce monde, elle ne se reconnaissait plus. Ses souvenirs étaient en pagaille, parfois même franchement incomplets. Elle avait encore rêvé d'une vie dont elle avait du mal à se rappeler. Tout se mélangeait. Même son reflet dans le petit miroir du coin de la chambre lui était étranger.

Elle y apparaissait amaigrie. Ses joues s'étaient creusées et de profondes cernes noircissaient le bas de ses yeux. Ses cheveux bruns étaient ternes, sans forme, sans vie. Elle faisait facilement quinze ans de plus. Pour se rassurer, elle répéta à son reflet, comme pour le convaincre :

  • Tu t'appelles Julie Cavarra, tu as trente-quatre ans. Tu es ingénieure pour une compagnie minière au Mexique.

Elle marqua une pause, ferma les yeux, puis les rouvrit et répéta avec conviction :

  • Je m'appelle Julie Cavarra.

***


Dans son monde, elle était reconnue. Elle avait un métier, une carrière. Enfin, c'est ce dont elle se persuadait chaque jour. Dans ce monde nouveau, elle était interprète pour ses amis, un peu par accident. Un talent inutile maintenant qu'ils parlaient tous la langue locale. Pourquoi était-ce si difficile de se souvenir du reste ? Pourquoi tous les événements jusqu'à Vertval étaient-ils aussi flous ? Elle avait été prisonnière, peut-être même l'était elle toujours. Des frissons de terreur lui parcouraient parfois l'échine en pleine journée, sans qu'elle ne sache plus pourquoi. Étaient-ils vraiment libres dans la demeure des Grandvaux ? Ou était-ce une nouvelle cage dorée ?

Des choses impossibles leur étaient arrivées. Des libellules mangeuses d'hommes, des griffons fantastiques, des chenilles avaleuses de pierre, des domestiques centaures... Julie avait la tête lourde de ressasser ces images et revivre toujours les mêmes souvenirs écornés. Cette lutte pour se raccrocher à des bribes de sa vie l'épuisait.

Elle sortit de sa chambre pour prendre l'air. L'aube jaune durerait encore pour une bonne demi-heure. La lumière du jour ne pouvait lui faire que du bien. Au seuil du portail du fond de la cour, son regard vagabonda sur les collines et leur verdure sans fin. La beauté de cette nature paisible lui procura un semblant de répit. Elle vagabonda quelques minutes sur le chemin des collines, puis s'arrêta en lisière d'un grand champ clôturé, semblable à un pâturage. Une petite dizaine de draks s'y ébattaient dans la lumière de la journée naissante. Elle s'arrêta dans l'herbe sous un arbre pour contempler la scène. Ces créatures étaient aussi majestueuses, qu'étranges et fascinantes. Les bruits lointains de la ville se fondirent peu à peu dans le bruissement du vent sur les feuilles. Elle resta là des heures durant, et finit par s'assoupir avant le déjeuner.


***


  • Ils sont beaux n'est ce pas ?

Julie se réveilla en sursaut. Un homme se tenait debout face à elle. Il était grand, ses cheveux longs et blonds. Le contre-jour cachait son visage.

  • Qui êtes-vous ? Je n'ai rien ! Allez-vous-en, dit-elle en se protégeant les yeux du soleil.
  • Je ne voulais pas vous effrayer, excusez-moi, répondit-il avec un geste d'apaisement.

Il s'accroupit devant elle. Julie reconnut l'homme qui avait dîné avec eux la veille au soir. Elle restait toutefois méfiante : une paranoïa héritée du passage à tabac de Marie dans les geôles de la forteresse. Elle ne se rappelait pas exactement ce qui s'y était passé, mais le visage tuméfié de Marie était durablement gravé dans sa mémoire.

  • Comment m'avez-vous trouvée ? Vous m'avez suivie ?
  • Non, j'ai accompagné ma nièce auprès de son instructeur, répondit-il avec un sourire retenu, elle ne manque jamais une occasion de me montrer son drak noir et ses progrès. Je vous ai aperçue par hasard en retournant à la maison, et je ne pensais pas que vous dormiez. Voilà, vous savez tout !
  • Excusez-moi, je ne voulais pas paraître si agressive. Nous avons traversé tant de choses affreuses que je n'arrive plus à réagir normalement. Ça ne me ressemble pas.
  • Il n'y a pas de mal. Puis-je me joindre à vous ?

Perturbée par cette demande impromptue, elle acquiesça sans rien dire.

  • Je m'appelle Leoval. Je suis navré mademoiselle, ma conversation avec ma sœur m'a monopolisé pendant le repas hier, j'ai bien peur d'avoir échappé votre nom.

Elle n'arrivait pas à détacher son attention de cet homme, hypnotisée par ses yeux vert émeraude. Leoval était un vrai beau gosse. Après quelques secondes gênantes, elle réussit enfin à ouvrir la bouche pour lui bafouiller son prénom.

  • Je… Je… M’appelle Julie.

Leoval s'assit à côté d'elle.

  • Ravi de refaire votre connaissance Julie. Je suis le frère d'Obianne, et seigneur de Mithliene. Je suis en visite à Vertval pour quelques jours. L'arrivée de votre groupe n'est pas passée inaperçue. Et vous non plus, avoua-t-il avec un regard appuyé.

Tétanisée, elle ne lui répondit pas de suite. Ils observèrent en silence les draks qui galopaient dans le champ voisin. Aucun des deux n'aurait su dire combien dura cette parenthèse hors du temps.


***


  • Qu'est ce que Mithliene ? demanda enfin Julie

Sa question n'eut pas l'air de le surprendre. Il étendit ses bras derrière son dos, se reposa sur ses poignets, et répondit avec une forme de fierté, les yeux vers l'horizon.

  • Mithliene est une seigneurie, comme Vertval. Moins animée, cependant. Chez moi, tout est vert, il n'y a pas de pavés. Des champs, des arbres, des collines, tout cela à perte de vue. Nous appelons ça le Jardin de Mith. Des petits cours d'eau traversent le Jardin de part et d'autre, pour finir en cascade dans la rivière de l'Elm.

Le récit transportait Julie, qui s'y perdit les yeux fermés. Elle se sentait bien, libre. La voix de Leoval l'apaisait.

  • Nous avons des fleurs tout au long de l'année. Une palette de couleurs infinie au fils des saisons. Sans oublier les vergers fertiles où poussent les meilleurs fruits d'Ulria. Je suis sûr que vous trouveriez ça magnifique.
  • Je n'en doute pas, votre famille doit être ravie d'y vivre.
  • La seule qui me reste est Obianne. Notre père est décédé cette année. C'est pourquoi aujourd'hui, je me retrouve à la tête de Mithliene, et pour être franc, je ne m'y étais pas assez préparé
  • Je suis désolée pour votre père.
  • Vous ne pouviez pas savoir.

Une légère bourrasque souleva leurs cheveux respectifs, et remua une poignée de feuilles qui vint s'accrocher dans les boucles de Leoval. Julie pouffa. Elle était enfin détendue, une sensation qu'elle avait oubliée depuis bien longtemps. Elle se surprit vouloir se confier à cet inconnu aux yeux verts.

  • J'ai l'impression de perdre la tête depuis notre évasion. Nous avons passé tant de temps dans cette prison infâme que j'ai du mal à distinguer ce qui est réel ou non. Tout ceci m'est complètement étranger, dit elle en balayant le paysage d'un mouvement de main. Je crois encore que je vais me réveiller quelque part, et que tout ceci n'aura jamais existé.

Leoval posa sa paume contre son propre torse en souriant. Son regard était doux, chargé de compassion.

  • Je suis réel, et cette conversation l'est aussi, Julie. Cette conversation est réelle, et plaisante qui plus est.

Il la toisait avec beaucoup d'intensité. A son contact, elle oubliait où elle était, qui elle avait été et même d’où elle venait.

  • Peut-être que vous aimeriez m'y rendre visite ? Et voir la beauté du Jardin ? Après tout, vous n'êtes plus prisonnière.

Prise au dépourvu par la proposition, Julie bredouilla une réponse maladroite qu'elle regretta aussitôt.

  • Je ne sais pas précisément combien de temps je resterai à Vertval, enchaîna Leoval, cela vous laisse le temps d'y penser. Malheureusement, le devoir m'appelle, je n'ai plus le loisir de faire comme bon me semble, dit-il en époussetant les herbes collées à son pantalon. Je dois retrouver Obianne, nous avons encore beaucoup de choses à aborder. Je vous remercie pour cet agréable moment, et j'espère que nous pourrons nous revoir bientôt.

Il partit rejoindre la résidence de sa sœur, tandis que Julie restait là, à rêver de son Jardin.

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