Palil d'Adk

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Résumé des chapitres précédents : Juan, Miguel, Franck, Julie et Marie ont émergé dans un monde inconnu dont les jours sont bercés de deux soleils. Après plusieurs mois en prison, ils ont été sauvés par un inconnu appelé Sayur, d'un peuple venant de l'Est lointain. Les voici arrivés à la cité de Vertval, à la demeure de la famille De Grandvaux (Obianne et Barnabas), chez qui Sayur devait les amener. Ils y découvrent des domestiques centaures, rencontrent le doyen des mages Palil d'Adk, et se voient donner à tous la compréhension de la langue locale. L'empereur d'Ulria lui même vient à leur rencontre. Après presque une semaine d'attente, son arrivée est maintenant imminente.

***

Ce jour là, Julie était introuvable, et Franck suivait Mathias tel une ombre comme depuis les six derniers jours. Miguel, qui s'était pris de passion pour la cuisine locale, montrait un enthousiasme débordant à assister les domestiques centaures incrédules dans la confection de mets locaux. Juan, quant à lui, ruminait dans sa chambre en égrenant les heures qui le séparaient des éventuelles retrouvailles avec sa famille s'il retournait à la porte dans le désert. Marie se retrouva donc seule dès le lever de l'astre doré.

Elle avait passé les premières heures du jour à parcourir les ouvrages de l'incroyable bibliothèque de la famille de Grandvaux. Chaque manuscrit était une œuvre d'art encadrée d'enluminures d'une beauté unique. Férue de culture et d'histoire, et faute d'activités plus variées, elle en avait dévoré une demi-douzaine dans la matinée. Certains recueils traitaient des hauts faits des ancêtres de la famille, d'autres abritaient des chroniques historiques narrant des événements marquants du passé. Étonnamment, ses compagnons ne lui avaient pas manqué pas outre mesure, car autre chose lui occupait l'esprit : Marie désirait par dessus tout un échange exclusif avec Palil le doyen.

Le vieux mage la fascinait. Il avait beau s'être présenté, son rôle, ses titres et ses talents demeuraient un mystère pour elle. Tous les habitants de ce monde lui témoignaient un respect sincère, et il dégageait une aura de sympathie doublée de simplicité qui anoblissait encore sa stature. Marie avait toujours été attirée par les personnages charismatiques. Particulièrement douée dans beaucoup de domaines, la jeune femme vivait souvent frustrée : les rencontres avec des personnes passionnantes se faisaient rares. Dans l'autre monde les débats d'idées étaient moins socialement valorisés que la consommation excessive de bière ou le dernier tube à la mode. Ses espérances d'échanges passionnés lui collaient régulièrement une étiquette de pimbêche sur le front. Ici encore, sa curiosité inassouvie espérait avidement une entrevue avec l'incarnation du savoir et de la légitimité, même si cela pouvait conduire à un incident diplomatique.

***

Elle avait remarqué que Palil s'isolait régulièrement dans une aile de la villa des Grandvaux, à laquelle il accédait par un vestibule de la galerie cerclant la cour intérieure. Les portes de cette antichambre n'étaient pas verrouillées, cela signifiait probablement qu'il ne lui était pas interdit d'y accéder. Marie se risqua donc à pousser la porte du mystérieux passage. De nombreux porte-manteaux structuraient les murs d'une petite pièce aveugle, dont deux bancs longeaient les parois latérales. L'endroit devait servir de vestiaire, car des capes de toile claire pendaient à certaines patères, et des sandales de cuir gisaient impeccablement alignées sous les assises.

Au bout du vestibule se dressait une seconde porte à deux battants ornée du blason des Grandvaux : le drak noir surmonté d'une fleur de lys rouge sur un fond coupé blanc et vert. La jeune femme tendit l'oreille, mais aucun bruit ne lui parvenait de derrière les vantaux. Elle toqua trois fois contre le bois.

  • Entrez, intima la voix de Palil.

La porte dévoila une salle toute en longueur, s'étirant sur près d'une quinzaine de mètres. Sur le mur opposé, de grandes arches emplies de vitraux irrégulièrement transparents y laissaient entrer la lumière. A l'extrémité droite, une bibliothèque montait jusqu'au plafond. A gauche trônait une sorte d'autel, un mobilier ostensiblement mystique. Face à elle siégeait une table rectangulaire en bois massif, couverte de livres, de parchemins, de cartes et d'objets hétéroclites. Palil, assis à la présidence, sourit sans lever la tête.

  • Je m'attendais à ce que vous poussiez cette porte bien plus tôt, mademoiselle Dufaur, dit Palil en fermant un volumineux ouvrage intitulé De l'origine de l'Adris.
  • Suis-je si prévisible ? demanda Marie
  • Je vous connais bien plus que vous ne le pensez. J'ai eu beau vouloir rester le moins indiscret possible, votre esprit est un livre ouvert.

Elle se sentit abusée.

  • Je vous remercie pour vos soins et m'avoir appris votre langue, mais je ne vous ai pas permis de visiter mes souvenirs, lui reprocha-t-elle. C'est mon intimité que vous avez forcée.

Son assurance plaisait au doyen. Il la toisa d'un air amusé.

  • Mille excuses. Je n'ai pas cherché intentionnellement à y voir quoi que ce soit. Nos mages sont entraînés à occulter leur esprit dans ce type de situation, et vous non. Il m'était difficile de vous soigner sans recevoir des fragments de vos pensées. Rassurez-vous, vous n'avez rien laissé filtrer de compromettant. Je dois dire cependant que vous avez déjà une vie impressionnante pour une femme de votre âge.

Cette dernière phrase fit mouche comme attendu, car Marie aimait être mise en valeur. Elle s'approcha, entre hésitation et culot, puis tira le plus silencieusement possible une chaise proche du doyen.

  • Que puis-je pour vous, Marie ?
  • Si vous avez le temps, j'aimerais vous poser quelques questions, répondit-elle en s'asseyant promptement, ravie de l'opportunité qui lui était offerte.
  • Je vous écoute.
  • Pensez-vous que nous avons une chance de rentrer chez nous ?
  • Honnêtement ? Je ne sais pas. Je crois que oui, toutefois je ne peux guère faire de promesse. Mes vieux livres ne m'ont pas encore révélé le secret de cette porte, je pense qu'il faudra consulter les archives de l'Académie à la capitale pour cela. Dès que nous aurons envoyé l'expédition dans le Désert de Cristal, nous saurons plus précisément de quoi il retourne, et nous serons fixés. Ne perdez pas espoir, le temps viendra.
  • Pourquoi cette expédition n'est-elle pas encore partie ?
  • Compte tenu des circonstances de votre venue, nous devrons attendre l'arrivée de l'Empereur.
  • Peut-il nous empêcher de repartir ?
  • Je ne pense pas que ce soit son intention. Mais Isdar est quelqu'un d’irascible et parfois imprévisible, je préfère ménager son capital de sympathie à votre égard, et pour cela, vous devez le rencontrer.
  • Cela va bientôt faire une semaine que nous sommes cloîtrés ici à l'attendre. Juan tourne comme un lion en cage, je m'inquiète pour lui.
  • Si le voyage s'est bien passé, son arrivée n'est plus qu'une question d'heures.
  • Je l'espère. Toutes ces journées d'ennui dans la maison sont interminables.

***

Un long silence se fit. Marie n'osait pas le regarder dans les yeux et tentait maladroitement de cacher sa gêne, ce qui se traduisit par une indifférence exagérée. Elle se tortillait nerveusement sur sa chaise.

  • Pourquoi avez vous réellement poussé cette porte, mademoiselle ?

Elle s'était faite de nombreuses projections sur les sujets qu'elle souhaitait aborder avec lui, et se trouva pourtant prise au dépourvu lorsqu'il fallut choisir par où commencer.

  • Les Grandvaux font souvent référence à vous en tant que doyen, pourquoi cela ? Barnabas me parait pourtant plus vieux que vous ?
  • C'est un titre. Être doyen de l'académie est un poste qui peut changer de mains. Je suis responsable de l'institution qui forme les mages à la Capitale, et par extension dans tout l'Empire.
  • Mages, comme magie ?
  • Oui, bien que je trouve ce terme un peu galvaudé. Nous utilisons notre connaissance de l'aura comme un outil, par exemple pour vous soigner.
  • L'aura ? Qu'est-ce que c'est ?
  • Une force vitale qui anime les êtres vivants et certains objets de ce monde, elle porte plusieurs noms : l'aura, l'âme, l'adris, le naar selon les peuples. Moyennant un entraînement long et exigeant, la contrôler devient une seconde nature.

Palil ouvrit sa paume et y fit naître une petite flamme. La jeune femme resta béate devant l'impossibilité de ce petit miracle. A quelques centimètres de la paume du doyen dansait un plumeau de lumière orangée, né de sa simple volonté. La prouesse paraissait d'une banalité déconcertante pour lui. Il ferma son poing, étouffant la masse incandescente qui s'éteignit aussitôt. Des milliers de questions surgirent dans l'esprit de Marie à propos de cette aura, de cette flamme impossible qui venait d'apparaître dans la paume du vieux mage. Mais elle n'eut pas le temps de les poser. Cinq à-coups rapides sonnèrent contre le bois de la porte au blason.

Un centaure entra en trombe, il paraissait affolé. Le domestique murmura quelque chose à l'oreille de Palil.

  • Je suis demandé ailleurs. Nous reprendrons cette conversation plus tard.

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