L'héritage - 8 -

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L’après-midi, j’ai repris le chemin de Lampeyrac. Je voulais voir les traces de ma famille dans le cimetière. Impossible de rater le caveau familial, dans le style pompier du 19e siècle. Voilà ! J’avais toute la famille devant moi :

Martin (1689 – 1757), apparemment le fondateur de la dynastie et Ophélie son épouse (1697 – 1775). Ces dates me donnaient le vertige.

Les générations suivaient, avec Léon (1725 – 1787) et Honorine (1732 – 1807), Augustin (1755 – 1820) et Madeleine (1759 – 1784), Victor (1782 – 1867) et Joséphine (1796 – 1895). Victor était officier de la Légion d’honneur, colonel dans la 5e Armée de Napoléon 1er, arrivais-je à déchiffrer. Émile (1823 – 1878) et Célestine (1850 – 1901), apparemment les fondateurs du caveau, si on en jugeait d’après la date gravée au-dessus de la porte : 1872. La suite était plus confuse à débroussailler, car on sautait à Pierrin (1894 – 1936) et Alphonsine (1894 – 1920).

Arrivaient ensuite les noms déjà vus dans le livret de famille : Paul (1910 – 1971) et Mathilde (1915 – 2001). Mon grand-père était mort deux ans avant ma naissance. Il y avait là leurs enfants, Michel (1941 – 1943), Gabrielle (1944 – 1959) et Albert (1949 – 2017), sauf bien sûr mon père, reposant à Bagneux. Je me demandais qui avait fait graver le nom et les dates pour mon oncle.

D’autres noms étaient présents, sans possibilité de déterminer les filiations. Parmi eux tous, quels étaient ceux qui avaient un secret à me dire, une histoire à me raconter ? Selon toute évidence, le conflit majeur, qui me touchait, s’était déroulé entre mon père et ses parents, sans concerner son frère. Le besoin de savoir était en train de vaincre mes réticences à franchir la ligne. Ils reposaient tous en paix, selon l’expression. Aucun ne souffrirait ou ne me reprocherait ma témérité

Intrigué par l’inscription concernant Albert, je poussais jusqu’à la mairie, heureusement ouverte ce jour et à cette heure. J’appris ainsi que mon oncle avait tout prévu. Il avait pris une assurance décès qui s’était occupée de tout, y compris l’annonce dans le journal. La secrétaire, qui le connaissait un peu, s’était crue obligée d’assister à la « sépulture », selon son terme. Elle avait été la seule. Cette information me serra le cœur. Pauvre homme solitaire jusque dans la mort. Cela ressemblait tant à la fin de son frère. En dehors de nous, seules cinq personnes avaient assisté à son enterrement, sans même se présenter. Qui étaient Antoine et Albert, ces deux hommes abandonnés des autres ?

Ce fut avec cette soif de savoir que je suis remonté vers la maison. J’allais directement dans sa chambre : j’avais besoin de concret, de trouver une photo. Il devait avoir eu sur lui son portefeuille, sa carte d’identité. Qu’était-il devenu ? Je fouillais l’armoire, les tiroirs. Aucun papier, aucune photo souvenir. Comment peut-on se passer de ces témoignages du passé ? Pourquoi cet effacement ? Avant de descendre, je glissais la main dans l’uniforme de gendarme que nous avions aperçu. Bingo ! Une vieille photo, avec des camarades. Il était tellement reconnaissable ! Il devait avoir mon âge. Des larmes perlèrent. Le premier portrait de mon grand-père sur Wikipédia m’avait laissé froid. Je ressentais maintenant une émotion beaucoup plus forte. En même temps, je me rendais compte que je ne devais pas avoir de photo de mon père. Aucun événement de notre vie n’avait justifié la prise de photos. Une angoisse me prit et je faillis appeler Nathalie pour vérifier. Ce premier contact avec Albert m’avait bouleversé, sans me douter de la suite de cette soirée.

J’essayais de maitriser toutes ces informations, allongé dans une chaise longue, plus confortable que les sièges en métal rouillé, contemplant ce parc retourné à sa naturalité, jouissant de cette douce soirée. Le soleil baissait tranquillement, sans encore avoir franchi les frondaisons. Seul un bruit lointain de moteur rompait le calme. J’étais à moitié somnolent quand soudain j’entendis une voix près de moi.

— Qui êtes-vous ? Que faites-vous là ?

La voix était sans agressivité, mais elle me fit sursauter. Je jaugeais la silhouette d’un jeune homme aux cheveux mi-longs. L’estimant sans danger et curieux autant de sa présence que de sa question, je lui rétorquai :

— Je suis chez moi et je fais connaissance avec ma maison !

— Comment cela ?

— Je suis le nouveau propriétaire. Je suis le neveu d’Albert. Et vous, qui êtes-vous ? Que faites-vous là ?

— Vous voulez dire qu’Albert est mort ? Quand ça ? Comment ça ?

Sa voix exprimait autant d’inquiétude que de tristesse. Je lui racontais le peu que je savais, tout en m’interrogeant sur ce que pouvait avoir été la relation entre ces deux hommes si écartés en âge. De plus, ce visiteur semblait ne venir que rarement. Je réitérai ma question.

— Je suis un ami d’Albert. Il m’héberge de temps en temps. M’hébergeait, plutôt.

— Ah ! vous désirez donc dormir ici cette nuit ?

— Oui, si cela ne vous dérange pas, bien que cela puisse paraitre étrange. Sinon, je chercherais une autre solution. Je m’appelle Aurélien.

— Sébastien.

Je ne réfléchis pas longtemps, car ce jeune homme se montrait paisible et je n’allais pas le jeter en ce début de nuit dans cette campagne isolée. D’autre part, il était, affirma-t-il, un ami de mon oncle. Je devais respecter sa mémoire. Je l’ai invité à partager ma demeure. Je lui ai indiqué la chambre dans laquelle je m’étais installé, qui était, évidemment, celle qu’il occupait habituellement. Il connaissait la maison et, avant que j’aie eu à lui proposer, il me dit qu’il dormirait dans la chambre bleue, celle aménagée en salle de bain.

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