L'histoire - 31 -

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Henriette n’en peut plus. Voilà trois mois qu’elle court pour que Jules soit le plus beau. Elle est allée à Rodez, pour la seconde fois de sa vie. Puis, insatisfaite, elle a pris le train de Toulouse, partant de bon matin pour ne pas avoir à passer une nuit dans un de ces hôtels où se déroulent des choses odieuses. Elle a choisi le tissu le plus beau, qui donne des moirés multicolores à chaque mouvement. Pour ce faire, elle se risqua à affronter Pierrin. En fait, ce fut la première fois qu’elle lui parlait ! Elle avait bourse ouverte, à condition qu’elle l’introduise auprès de l’évêque. Henriette ne connaissait que le curé de Lampeyrac, suffisant largement pour l’accompagner dans son chemin de croix terrestre. Elle ose aborder avec lui la demande de Pierrin. De relais en relais, le rapprochement de cet anticlérical avec la plus haute instance du département se fait discrètement.

Pierrin est aux anges. Après son entrevue discrète avec cette personne charmante, il peut élargir son audience. Les législatives sont l’année suivante !

Le jour de l’ordination est un jour de gloire pour Pierrin, Henriette et, accessoirement, pour Jules. Henriette s’occupe de l’habillement de son protégé. Un moment de gêne la retient quand elle voit ce jeune homme, encore éphèbe, en sous-vêtements. Elle n’en a jamais tant vu, mais étant en service, elle baisse les yeux et pince les lèvres, se promettant de passer un long moment dans le confessionnal.

Quand Jules se roule par terre dans la cathédrale, puis est relevé par l’évêque, elle défaille. Georges la rattrape de justesse, faisant d’abominables grimaces de dégout à Mathilde qui, envahie par un fou rire retenu, ne parvient pas à l’aider.

Henriette rouvre les yeux pour voir son ange recevoir la patène et le calice, et repart en extase, ressentant, tout en l’ignorant, l’unique orgasme sec de sa vie. Elle sort transfigurée, le visage en larmes, au bras de Georges qui se trouve ému lui aussi, incapable d’imaginer que ce rogaton puisse avoir un cœur.

Le jeune eubage blond prend avec grâce la tête du cortège jusqu’à la maison. Les portes grandes ouvertes, un majestueux vin d’honneur est offert à tous. Dans le salon du premier étage, la fine fleur de la réaction catholique parade devant le potentiel futur député, trop heureux de montrer son ouverture d’esprit ; il se murmure que Martin de Jonhac prendrait la suite de Marjoulet.

Tard dans la soirée, tout ce petit monde se quitte, se disant à la semaine prochaine. En effet, le dimanche suivant, c’est à Jonhac que se déroule la fête familiale et amicale. Jules célèbre la grand-messe de onze heures, avancée exceptionnellement à dix heures pour avoir le temps de profiter du repas.

Cette fois, c’est presque tout le village qui l’accompagne à la Maison, transformée en un vaste buffet. Monsieur Pierrin de Jonhac sait recevoir et fêter le sacrement de son fils. Un orage met fin dans les rires à cette journée mémorable.

Jules est heureux. La soutane offerte par Henriette est de la toile la plus précieuse qu’elle ait pu acheter. Cet habit le ravit, car dissimulant son âme comme ses pulsions, il l’élève hors du commun des mortels.

Rapidement, il est nommé aumônier chez les louveteaux. Il apprécie la promiscuité de ces garçons à peine formés. Cela lui rappelle ses premiers gestes, cette époque bénie où il a trouvé son chemin de béatitudes. Il sait déceler les plus fragiles, les plus tourmentés par leurs bouffées d’hormones, pour les apaiser et leur faire découvrir des délices réconfortants. La plupart lui en sont reconnaissants et il est l’objet d’une vénération par une petite cour qui chante ses louanges, ne le quittant pas. Jules baigne dans le bonheur de cette fraicheur. Ses mains ont du mal à délaisser ses protégés qu’il accompagne dans leurs apprentissages des secrets de la vie. En revanche, il est d’une dureté nécessaire et légitime avec les représentantes de la gent féminine, soumises aux pires tentations et si aptes à détourner les hommes de leurs réserves. Le fruit défendu est toujours véreux. Ayant l’exemple diffus de sa mère, et surtout d’Henriette, il ne comprend pas qu’elles ne soient pas toutes à leur image.

Ses favoris souffrent parfois de ses changements de préférence, dès qu’un nouveau petit ange apparait. Jules arrive à maitriser les conflits et les jalousies entre eux, au besoin en ayant recours aux contritions, de temps à autre aux punitions corporelles physiques. Il en use de plus en plus souvent, enseignant à ces jeunes le besoin d’accepter leur châtiment et comment parvenir à une rédemption bienfaisante.

Incapable de percevoir le désarroi et la dépression après un rejet, il est surpris quand deux de ses admirateurs mettent fin à leur destinée terrestre, en éprouvant, les petits sots, la nécessité d’expliquer les raisons de leur geste.

Jules est convoqué chez l’évêque, car les jouvenceaux appartenaient à de bonnes familles. Monseigneur Rastempoix se montre très indulgent. Quand il lève les yeux au ciel pour déplorer la tentation que font planer ces damoiseaux sur la morale, Jules ne peut qu’apprécier sa connaissance du sujet. Le prélat lui explique qu’il est encore jeune et impulsif, ses actes peuvent se comprendre. De plus, il est issu d’une famille respectable, généreuse, et monseigneur connait la religiosité d’Henriette dont la réputation et les bonnes œuvres sont remontées jusqu’à lui. Il se fait admonester, pas trop sévèrement. Il doit se faire entendre en confession, par lui s’il le désire, et il devra dorénavant s’occuper de jeunes un plus âgés. « Vous verrez, c’est autre chose ! » Pour les familles meurtries par ces précoces rappels à Dieu, l’évêché s’en charge. C’est leur malheureux destin, voulu par le Seigneur, Jules n’en a été que l’instrument involontaire. On ne peut le lui reprocher. Finalement, l’évêque l’écoute longtemps en confession. Il demande des détails très précis, sur l’anatomie et les gestes, pose de nombreuses questions afin de se pénétrer de la situation pour l’absoudre en toute connaissance de cause.

Jules, devant tant de bienveillance, narre en détail son entrevue avec monseigneur Rastempoix à sa marraine, telle qu’il la nomme depuis qu’il est dans les ordres. Il ne cache pas vraiment la cause de cette convocation, maintenant qu’il se sait compris. Henriette, qui ne peut décrypter ces histoires, lui répond gracieusement. Elle insiste sur la grandeur d’âme des hommes en religion, le pardon généreux qu’ils accordent avec tant de bonté. Elle plaint Jules, victime du caractère trop vif de ces jeunes gens. Elle le félicite et se trouve heureuse qu’il s’occupe dorénavant de garçons plus mûrs, sans doute moins disposés à jouer avec leur vie. C’est de cette période que date la figure épanouie de cet épulon sacré. N’ayant plus de questions sans réponse, étant absous d’avance, il continuera sa vie dans ce monde spécial, déconnecté de la réalité, soutenu par sa marraine bien-aimée.

Il prend l’habitude, lors de ses rares séjours à Jonhac, de venir accompagné par un jeune homme troublant, avançant toujours une explication honorable qui justifie cette présence. Ne voulant pas déranger, il accepte avec simplicité de faire chambre commune avec cet invité obligé. Ce comportement révulse Mathilde, la forçant à ranger son frère dans les pervers. Seule Henriette demeure en admiration devant ce prêtre, si prévenant avec ces jeunes protégés.

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