L'histoire - 39 -

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La députation doit également être liquidée. L’aide de Pierrin, Paul Vignassou, qui attendait de devenir son attaché parlementaire, vient la voir. Elle l’avait croisé lors de réunions publiques durant les derniers jours de campagne et avait trouvé séduisant ce jeune homme totalement dévoué à son père. Trop occupés, ils n’avaient échangé que des paroles de politesse. Elle l’avait aperçu à la messe de funérailles et l’avait reconnu lors des condoléances. Il n’était pas présent au repas familial qui avait suivi, car une cérémonie commémorative avait eu lieu à Rodez pour le monde politique.

Paul arrive en voiture. Il ne connait pas Jonhac. À son tour, la découverte de cette maison l’impressionne. Il ne sait comment exprimer la similitude entre la bâtisse et son regretté mentor, tellement évidente. Il reste un moment à l’admirer. Mathilde a entendu la voiture et, étonnée du silence qui suit, sort, curieuse de cette visite. Elle voit Paul, le nez en l’air. Un instant, son cœur se fige, avant de se reprendre et de lui souhaiter la bienvenue.

Ils parlent des dossiers à dénouer et elle ressent la sincère vénération que ce jeune homme porte à son père, tant il le traite avec admiration. Elle ne l’écoute plus. Elle vient de comprendre que Paul sera l’homme de sa vie. Il saisit le changement d’attitude de son interlocutrice, s’arrête, la regarde alors pour la première fois comme une femme. Le coup de foudre est partagé. Ils se font face, ne sachant plus quoi dire, quoi faire. Elle s’ébroue l’esprit. Elle remet la conversation sur le sujet initial, se plaint d’une indisposition, demande à son invité de revenir. Elle le raccompagne à la porte. Elle lui serre la main, un rien trop longtemps. Il n’ose se défaire. Elle éclate en sanglots et se réfugie dans ses bras. Elle se délivre, de la perte de son père, de la fuite de son frère aimé, de sa solitude. Il la réconforte doucement, son étreinte se fait plus forte. Mathilde se rapproche encore plus, ne voulant pas briser cette enveloppe rassurante. Elle l’embrasse. Paul a un mouvement de recul, puis s’abandonne. Mathilde se détache, se retourne pour s’en aller. Elle s’arrête et lui dit dans un sourire radieux :

— Reviens vite !

Le vouvoiement s’est envolé. Paul reste muet. Il quitte la maison. L’homme qui est y entré a laissé place au futur mari de Mathilde, dans une douce félicité.

Comme il se trouve sans activité, ne souhaitant pas travailler pour le suppléant de Pierrin, il s’installe rapidement à Jonhac, auprès de son amour. La jeune fille froide et triste se meut en jeune femme rayonnante. Elle s’offre à lui avant le mariage. Paul lui ouvre la porte des plaisirs, créant un lien qui résistera à tout. La famille se perpétue à nouveau par la volonté d’une femme.

Alors que Paul l’aide à résoudre les questions de la succession, Marcel décède d’épuisement. Mathilde sent encore une fois son monde se déliter. Ce frère, elle a l’impression de l’avoir délaissé, bien qu’elle ait été la seule à s’en être préoccupée. Était-ce assez ? Paul la rassure.

Elle retournera plusieurs fois voir Adélaïde, mais plus rien ne se passera. La vieillarde semble de moins en moins lucide. Mathilde prend les dispositions afin qu’elle soit traitée le mieux possible. Elle ne reviendra plus à Paraire. Elle apprendra, bien après la guerre, sa mort en 1943 et les conditions de misère et de famine dans lesquelles on avait plongé ces emmurés.

Heureusement que Paul soutient Mathilde, car Jules exige sa part d’héritage, même plus, surestimant sans vergogne tous les biens. Elle ne comprend pas cette avidité. Georges est indifférent. Il demande à sa sœur de dégager un capital, parce qu’il souhaite partir faire sa vie ailleurs. Cette nouvelle d’expatriation prochaine brise le cœur de Mathilde. Elle tient au plus haut point à ce frère, seul vestige de la famille qu’elle peut aimer.

Sur une suggestion de Paul, toutes les sommes versées antérieurement à Jules sont réintégrées. La part de Jules se réduit. Il abandonne la lutte, se contentant du plus maigre pécule que le notaire a pu calculer. Mathilde ressent un malaise devant cette procédure dilatoire, car même si elle ne le supporte plus, il reste son frère. Définitivement brouillés, ils ne se reverront jamais. Mathilde oubliera les querelles, conservant son aversion. Lui en gardera une rancune intacte jusqu’à sa mort.

Georges termine ses études. Son projet de partir conquérir le monde pour y vivre des aventures est sans appel. Il a beaucoup réfléchi et veut aller tenter sa chance aux colonies. Plus précisément, son idée est de monter une plantation d’hévéas, les arbres à caoutchouc, en Indochine. Pour lui, c’est l’avenir. Depuis le retour de Daladier de Munich, il pense la guerre inévitable. Pas question pour lui ! Il ne se souvient pas de la précédente, bien sûr, mais les blessés sont encore nombreux. Autant mettre de la distance. À sa demande, Mathilde a préparé sa part en capital. Georges ne prend que la moitié, dans un premier temps, largement suffisante pour démarrer. Il part pour l’Annam en janvier 1937. Sa première carte arrivera un mois après. Mathilde reste la dernière attache de la famille à Jonhac. Ces échanges se poursuivent régulièrement, grâce à la poste aérienne. Elle suit la progression étonnante de ses affaires.

En novembre 1942, l’occupation de la zone libre brise les relations postales entrainant un long blanc jusqu’en juillet 1944. Elle apprendra alors qu’il a bâti une entreprise de négoce de caoutchouc, puis de plantation d’hévéas, dont l’essor a été fulgurant. Il semble heureux de cette existence, d’autant plus qu’il est en ménage avec une Annamite dont il envoie des photos. La vie ne devient infernale, affirme-t-il, que durant la saison des pluies. Il déborde de bonheur et de joie, selon son caractère inusable. Mathilde ne comprend pas bien comment il a pu fuir ses responsabilités militaires et survécu pendant l’occupation japonaise. Qu’importe !


— Attends ! Tu sautes la Guerre !

— Oui, pour finir avec Georges. Mais on revient à Mathilde et Paul, la belle histoire d’amour…

— Elle la mérite un peu !

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