L'histoire - 40 -

5 minutes de lecture

Mathilde et Paul se marient en 1937, trois mois avant l’arrivée d’Antoine. Même si Mathilde souhaite une noce discrète vu son état, elle est étonnée par l’étroitesse de sa famille, réduite à moins d’une dizaine de cousins éloignés, dont elle ignore tout. Ses deux frères sont absents : l’aimé, trop loin, et le vicieux qu’elle n’a pas songé à inviter. Heureusement, Paul appartient à une famille nombreuse !

Maintenant que les affaires de Pierrin sont en ordre, Paul cherche une occupation. Il espère prendre la succession de Pierrin dans son canton, car la politique, le dévouement au bien public, axe sa vie. Il a de grandes ambitions : il rêve, encore secrètement, de devenir ministre, plus tard ! Sans difficulté, il franchit la première étape, lors des élections cantonales de la même année.

Mathilde le soutient, partageant ce désir de s’investir pour les autres. Trouvant le nom de Vignassou ridicule, elle l’incite à changer de patronyme. Déjà, pour ces élections, il avait adopté le nom de Vignassou-Jonhac pour assurer la continuité avec celui de Martin de Jonhac.

Paul est introduit dans toutes les sociétés de Rodez, les faisant découvrir à son épouse. Lors d’un diner, Mathilde est surprise par un dominicain, Dom Mathurin, qui porte un discours d’ouverture, du besoin pour l’église de se tourner vers les plus démunis. Mathilde a un fond généreux, elle est conquise par cette approche qui la réconcilie avec les messages fondamentaux de la religion. Contrairement à la pratique bornée d’Henriette, elle décide de s’impliquer dans des actions constructives. Elle connait l’orphelinat de Thuilec qu’elle a visité une fois et où elle avait été choquée par la misère des enfants. Elle va consacrer son temps et son argent à cette œuvre. Bien vite, elle devient indispensable. Les sœurs de l’Union des filles de Dieu qui tiennent cette maison sont des femmes remarquables. Les gosses s’entichent rapidement de cette dame qui vient s’occuper d’eux. Leurs sourires paient mille fois sa présence et sa sollicitude.

Mathilde savoure son bonheur et son épanouissement auprès de Paul, qui la comble, et de leur petit Antoine.

Le 2 septembre 1939, l’ordre de mobilisation est affiché : Paul doit partir. Il se rend, difficilement, à Toulouse C’est une pagaille indescriptible. Il n’arrive pas à atteindre la caserne le premier jour. Par bonheur, il trouve à dormir chez une dame, tous les hôtels étant bondés. Le lendemain, quand il parvient à la caserne, après une réprimande sévère pour son retard, il passe deux jours à se morfondre sur un banc, avant d’être renvoyé dans ses foyers, car aucun dossier ne porte son nom. Il revient à Jonhac, attendant un ordre de marche qui ne viendra jamais. Il se rendra plusieurs fois à la gendarmerie, inutilement. Il retourne à Toulouse, essaie de se faire incorporer, sans plus de résultat. La priorité du moment n’est pas de rechercher un dossier égaré. Il passe la « Drôle de guerre » à tenter de régulariser sa situation, sans y parvenir.

Le 11 mai 1940, ils apprennent par la radio l’offensive allemande. Dès les jours suivants, les premiers réfugiés, essentiellement des enfants du pays montés à Paris, débarquent, à la recherche d’un refuge dans leur parentèle. Malgré leur éloignement de Paris et des principales voies de communication, la déferlante suit. Jonhac héberge une famille belge et une famille parisienne pendant une semaine.

Le 22 juin, tout est terminé. Pétain a signé un armistice. Paul est dans une rage folle : il n’a pas pu participer aux combats et la France est vaincue. La vie reprend, inchangée, de façon incompréhensible. Tout en rongeant son frein, il assiste aux bouleversements politiques, sans se sentir réellement concerné.

Paul apprend durant l’été que des patriotes se sont regroupés à Alger et à Londres. Son devoir est de les rejoindre. Mathilde est désespérée. Le petit Antoine vient de fêter ses trois ans. Son père va partir pour des années. Elle repense au récit de son propre père, cette absence qui a brisé les liens avec ses enfants. L’histoire bégaie, broyant à nouveau les familles. Elle se force à ne s’intéresser ni à elle ni à ce qui pourrait arriver à Paul. Elle doit le laisser partir. Il projette de passer par l’Espagne, le Portugal. Paul quitte Jonhac le jeudi 5 septembre 1940, avec une simple valise. Mathilde reçoit sa première lettre le 10 janvier, étant restée quatre mois sans respirer, à guetter le facteur chaque matin au bout du chemin. Savoir qu’il est arrivé, qu’il a pu rejoindre le groupe de Français de Londres la transforme. Rassurée, elle peut désormais se consacrer à aider ses compatriotes autour d’elle, participer à son effort de guerre à elle, pas à celui de ce vieillard sénile qui « lèche les bottes des Boches ». Dans de rares courriers, qui mettent des semaines pour parvenir, parfois dans le désordre, Paul lui parle abondamment d’un certain général de Gaulle, dont il semble très admiratif, et qui a pris la tête des Français qui souhaitent résister de l’extérieur. Avec sa formation en lettres, Paul travaille au Journal officiel de la France libre et à toutes les publications sous cette appellation de France libre. Sans le savoir, il acquiert ainsi une vision quasi exhaustive des acteurs du moment et du futur. Brillant, il prend des responsabilités et devient un élément reconnu de ce groupe. Dès fin novembre 1943, il part à Alger, capitale provisoire, continuer le travail.

En quittant Jonhac, Paul a laissé un souvenir, Michel, né au mois de mai 1941. Cette naissance ravive les douleurs de Mathilde, qu’elle pensait terminées. Michel se révèle mongolien et Mathilde repousse cet enfant. Elle le voit comme la punition pour les crimes de sa famille. Elle n’est pas responsable, elle n’y est pour rien, ce n’est pas à elle d’expier avec ce bébé monstrueux. Marie, la petite bonne, ne sait que faire avec ce nourrisson rejeté par sa mère.

L’infatigable Henriette, vieillie, mais vaillante, négligeant l’acrimonie silencieuse de Mathilde, reprend encore une fois son rôle de mère substitutive. Elle trouve une nourrice où placer ce dénaturé aux yeux de sa mère. Face aux restrictions, cette femme est obligée de ramener Michel au début de l’hiver 43. Marie et Henriette s’en occupent, Mathilde l’évite, feignant de ne jamais le voir. Pourtant, cet héritier hante ses nuits, elle ne le supporte pas.

Ce jour-là, la petite bonne est absente. L’enfant a pleuré toute la journée et toute la nuit. Les chiches consolations d’Henriette ne l’ont pas calmé. Elle vient de partir à la messe basse et les hurlements ininterrompus rendent Mathilde folle. Elle monte chercher le petit pour arrêter ce reproche criant. Un bain va sans doute le détendre. Les braillements dégénèrent, l’enfant s’agite. La mère s’énerve, le lâche un instant. Il se noie dans la baignoire. Désemparée par les conséquences de ce geste malencontreux, elle décide de le porter à l’étang. Henriette puis Marie sont de retour. Ne trouvant plus l’enfançon, elles sont très inquiètes. Mathilde, cloitrée dans sa chambre et son mutisme, ignore leurs sollicitations angoissées. Dans la matinée, on retrouvera le petit corps flottant. Les temps sont troublés, personne ne veut se poser de questions sur cet incroyable accident. L’enterrement se déroule à la sauvette. Henriette force Mathilde à descendre à l’église, seule scène qu’elle ne se permettra jamais dans cette maison. Le curé expédiera l’absoute devant les trois femmes dont aucune ne pleure. Mathilde ressent un soulagement coupable, enfin débarrassée de son fantôme et des démons associés. Peut-être par prémonition, elle n’avait informé Paul ni de sa grossesse ni de son accouchement, qui n’avait jamais eu lieu. Elle n’avait même pas déclaré à la mairie cette naissance anormale. Inutile donc de lui apprendre cette fin tragique. Paul ignorera toujours cette courte existence.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Jérôme Bolt ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0