L'histoire - 45 -

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Albert, adolescent, se heurtait à ses parents pour un rien. Sans savoir, il accuse ces derniers de la mort de sa sœur. Antoine, dont il cherche le réconfort et l’appui, ne répond pas, puis disparait sans un mot le lendemain de l’enterrement. Albert est abandonné dans son désarroi. Il va étendre sa rancœur contre le monde entier et la concrétiser contre son père, symbole de ce pouvoir responsable de sa souffrance. Il suit ses camarades d’Henri IV aussi bien les anarchistes que ceux de l’Union des étudiants communistes. Plusieurs fois, son père viendra le sortir du commissariat, son nom lui valant des excuses cérémonieuses. Un jour, Paul lui déclamera : « Il faut être le dernier des imbéciles pour ne pas être révolutionnaire à vingt ans… ». Ce léger mépris le renforcera dans ses convictions qui vont pouvoir exploser au printemps 68. Il va mener une double vie, adoptant le pseudonyme de Mirant dans son groupuscule activiste. Il se rapproche de la Rote Armee Fraktion, avant de changer totalement de stratégie et de rentrer dans la gendarmerie. Apparemment, l’identité du fils du sénateur n’a pas été reliée à celle du militant Mirant !

Après son départ précipité, Antoine s’est réfugié à Paris chez un ami. Il reprend contact avec son père, lui affirme sa décision de ne jamais revoir sa mère, refusant de répondre aux interrogations sur la cause de cette déchirure. Paul sent qu’Antoine est profondément perturbé. Il n’insiste pas, poursuivant un de ses principes de vie : l’évitement. Il aime son fils, respecte ses sentiments et ses choix. Il lui promet de l’aider et de le soutenir, pour achever ses études. Il lui demande juste de garder le contact avec lui, de venir déjeuner ensemble. Antoine accepte. Paul se dispense également de questionner Mathilde sur les raisons de la rupture avec leur ainé.

Les déjeuners entre le père et le fils deviendront un rite et Antoine rencontrera ainsi une grande partie du gratin politique. Il apprendra la dérive de son frère, sans se permettre de reprocher à son père son indifférence. Cet homme a toujours préféré son ainé à son puiné.

Albert prend ses distances avec ses parents, sans vraiment rompre. Sa mère se considère alors comme libérée de ses responsabilités maternelles et peut se consacrer uniquement à la carrière de son mari et à la vie parisienne.

Antoine découvre la nécrologie de son père sur trois quarts de page du Monde : « Disparition d’un exemplaire grand commis de l’État » au début des années soixante-dix. La messe solennelle à la Madeleine rassemble tout le monde politique de l’époque. Mathilde, couverte de noir, est au premier rang, Albert à ses côtés. Antoine est dans le fond de l’église, ayant dû jouer des pieds et des mains pour trouver une place parmi les anonymes, s’étant refusé à en quémander une à sa mère.

Le cercueil avance vers la sortie. Albert suit, derrière Mathilde, la tête basse. Il sent une main saisir la sienne. Agacé, il tourne les yeux. Antoine ! Dix ans qu’ils ne se sont pas vus !

Dès qu’il le peut, Albert fonce dans les bras de son grand frère.

— Viens, je ne veux pas croiser ta mère !

— Ce n’est pas la tienne ?

— Non, ce n’est plus la mienne. Laisse ! Que je suis content de te revoir ! Que tu es bel homme maintenant ! Que fais-tu ?

Albert a autant de questions à lui poser, surtout sur les raisons de cette disparition. Il en a tellement voulu à Antoine d’être parti sans lui dire au revoir, sans lui expliquer ce qui s’était passé, le laissant enfant unique entre ce père jamais présent et cette mère silencieuse.

Ils se reverront ensuite, longuement, pour se retrouver. Antoine refusera toujours à Albert les justifications de cette rupture, pour taire les choses horribles. Albert en gardera un mélange de rancune, devinant un drame et reprochant à Antoine de ne pas lui dire, et un besoin de fraternité, de souvenirs d’enfance.

Albert s’interdira de chercher dans les papiers de famille. Il les entasse dans des malles pour les oublier. Si jamais quelqu’un veut savoir…

Les deux frères échangeront quelques nouvelles, mais le lien n’est plus le même. C’est ainsi qu’Albert apprendra la naissance de Sébastien, de ses filles et Antoine la mort de leur mère. Ils se reverront chez le notaire, n’ayant plus rien à se dire, sans douleur dans le cœur, chacun vivant avec ses enfouissements.

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