Chapitre 4

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Le jour où il revint, je ne l’attendais plus. Le deuxième jour, je l’avais guetté, au garde-à-vous. Le troisième, j’avais commencé à prendre mes aises. Le quatrième, j’avais eu faim, et entamé ma réserve de ces pépins merveilleux — dits de l’immortalité — dont les seigneurs nous nourrissaient de l’autre côté. Le cinquième, j’étais descendu explorer la cour et le jardin en contrebas, où se trouvait un magnifique bassin rempli de nymphéas et autres plantes aquatiques. J’étais dedans, en train de nager aux rayons du soleil, lorsqu’il arriva.

Je vis sa silhouette derrière moi, dans le miroir de l’étang. Immense. La queue dressée derrière lui et hérissée comme s’il allait attaquer, il me fixait en silence. J’en fus si horrifié que je perdis pied. Alors que je me débattais dans l’eau, cherchant désespérément l’air, il plongea. Son corps sculptural, noir comme l’ébène, creva le tapis de fleurs et fendit l’eau. Je vis cette silhouette formidable passer à côté de moi, manquant de m’entrainer au fond, puis remonter sous mes pieds qui battaient le vide et me soulever. Il me chargea sur son dos et, d’un bond prodigieux, sortit du bassin.

Je fus jeté sur les dalles chaudes sans ménagement aucun. Bien entendu, sitôt crachée l’eau que j’avais avalée, je me prosternai de tout mon long.

— Sublime et Ultime gardien d’Æriban, incarnation parfaite de la destruction, ânonnai-je en récitant les formules rituelles. Je suis ici à votre service. Commandez, et j’obéirai.

— Relève-toi.

Sa voix était chaude et coulante, dénuée de raideur. Elle débloqua quelque chose dans mon cœur, et, encouragé, j’osai lever un œil vers lui et le regarder.

Sublime et ultime, aussi absolus que soient ces adjectifs, restaient de piètres appellations pour le qualifier. Il était plus somptueux encore que le consort de la reine qui m’avait tant impressionné. La fourrure immaculée de son panache — je découvris plus tard qu’elle était tigrée de noir la moitié de l’année — et le blanc lunaire de sa longue crinière formaient un contraste saisissant avec sa peau d’onyx poli, si noire qu’elle en devenait bleue. Il avait un corps superbe, félin et puissant, mis en valeur par les bracelets d’or qui ceignaient ses bras musclés, nu comme celui des sidhes en leur domaine. Mais surtout, il avait un visage d’une beauté luciférienne, et je vous assure qu’aucun ange n’a jamais été plus magnifique. Dans les lices, il était connu sous le nom d’Ar-waën Elaig Silivren, ce qui signifie, en haute-langue elfique, « Noble éclat d’argent à la robe tachée de sang ». Ce nom lui allait comme nul autre : il était lumineux comme un lune sur un lac de nuit, et c’était un tueur redoutable.

Je crois l’avoir aimé au premier regard. Il me regardait sans haine ni cruauté. Pendant ces cinq jours, il m’avait observé en secret, tapi comme le fauve dans les broussailles, et je lui avais plu.

— Tu chantes bien, me lâcha-t-il de sa voix envoûtante.

Je baissai la tête avec déférence.

— Merci, seigneur.

— Tu devrais devenir barde, au lieu de servir les consacrés d’Æriban.

— Je n’ai pas eu le choix, maître. Mais je vous remercie de m’éclairer de votre conseil.

— Je possède une harpe, que l’on m’a offerte. Elle est un peu grande pour toi, mais je t’apprendrai à en jouer.

— Sa Sublimité est trop généreuse.

— Je m’appelle Ren.

— Et moi, Myrddyn, lui répondis-je, honoré qu’il m’apprenne son nom secret.

Rares étaient les maîtres qui donnaient leur nom, et encore moins leur diminutif. Chez eux, il possédait une valeur sacrée, presque magique. Qu’il le partage avec moi augurait le meilleur pour la suite de notre relation.

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