Chapitre 5

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Je ne commis pas l’impair de m’offrir à lui tout de suite. Du reste, il n’était pas dans sa période. Tranquillisé et fort aimable, il me montra les environs, et les limites de son domaine. Il régnait sur un vaste bosquet — la sylve sacrée d’Æriban — où il pouvait chasser et se reposer. Cette forêt était réservée à son seul usage. Il m’autorisa à m’y promener, à condition que je n’en sorte pas. Hors de ce périmètre, la sylve était dangereuse.

— Ne t’y aventure pas, me mit-il en garde. Tu serais mis en pièces immédiatement.

Lorsque je lui demandais comment je devais le servir, il m’ordonna de lui couper la crinière. Je devais aussi chanter pour lui et brosser son panache. Plonger mes doigts dans cette fourrure dense et immaculée avait quelque chose d’intensément voluptueux. Il appréciait autant que moi, et en le lui brossant, je crus presque l’entendre émettre ce bas et rauque feulement de contentement qu’émettent les chats domestiques. Mais il était loin d’être une gentille peluche, et j’en eus le rappel dès la première journée, lorsqu’il mit à mort un intrus qui avait impudemment pénétré sur son territoire.

J’étais dans le temple, en train de couper la viande qu’il avait ramenée. Lors de ma formation, on m’avait appris à cuisiner pour mon maître, et à lui présenter les plats de la manière appropriée. Il y avait tout un protocole. Je devais le servir, m’en aller à reculons et attendre qu’il ait fini, assis à genoux les mains croisées sur mon giron, comme on offre des offrandes aux dieux. Mais Ren me permettait de manger avant lui, à ma guise. Il passait souvent ses journées hors du sanctuaire, à vaquer à de mystérieuses occupations. Et moi, je l’attendais là-haut, comme une petite épouse. Cela me convenait parfaitement.

Sauf que ce jour-là, un autre sidhe était venu le défier. Il surgit dans mon dos sans que je ne le voie. Et, avant même que je ne puisse émettre un cri, il m’avait renversé. Je me retrouvais sous cette silhouette formidable, qui me maintenait au sol de tout son poids. Je sentais ses crocs sur ma gorge, ses griffes sur mon ventre. Son odeur épicée envahissait mes narines. C’est alors que je sentis quelque chose de dur et humide contre mon ventre dénudé, qui pointait sous le panache ébène de ce mâle. Il était en rut, et c’était la fureur qui coulait dans son sang qui lui avait donné le courage d’affronter l’As Sidhe dans son antre.

S’il n’avait pas été dans cet état, il m’aurait tué immédiatement, sans même que je ne puisse le voir. Les sidhes ne s’embarrassaient pas d’honneur avec les humains, qu’ils jugeaient faibles et incapables de leur faire un trophée convenable. Mais ce mâle comptait profiter de l’aubaine pour se soulager. Il avait dû tuer son aslith, ou peut-être même n’en avait-il pas reçu : on en offrait aux combattants les plus en vue, qu’on voulait voir durer au barsaman, ou dont on voulait acheter le luith. Toujours est-il qu’il m’attrapa les chevilles d’une seule main puissante — j’étais comme un jouet pour lui — et me plaqua les genoux contre la poitrine, avant de me saisir les hanches pour m’attirer à lui.

— Pitié, seigneur, soyez magnanime, suppliai-je en espérant qu’il allait au moins prendre le temps de me préparer comme on nous instruisait à la formation.

Mais il m’ignora, et, après m’avoir jeté un regard cruel de ses yeux rouge rubis, il glissa la pointe de son énorme organe à l’entrée de mon fondement. Je hurlai à m’en époumoner, mais l’atroce déchirure ne vint pas. Mon maître venait de bondir sur lui, si vite et si violemment qu’il l’avait entrainé hors du temple sans que je ne puisse le voir.

Je me relevai péniblement, remis de l’ordre dans ma tunique déchirée. Le silence était revenu. Un silence lourd et pesant, comme une bête tapie dans l’ombre dans l’expectative de quelque atroce résolution. Un silence de mort. Puis Ren reparut. Il tendit la main vers moi, pour que je lui donne une bassine d’eau et un linge propre. Avec, il nettoya ses griffes, que je lui essuyais ensuite. Sorties de la gaine de ses longs doigts, elles étaient longues comme des couteaux de boucher, et aussi affûtées.

— Merci, lui dis-je ensuite, alors qu’il s’allongeait sur la table. Que puis-je faire pour vous montrer ma gratitude ?

« Merci » était un mot tabou chez les faes, et je le savais, mais j’avais envie de le lui dire. Même si les sidhes étaient possessifs envers leurs aslith, je savais que nombre d’entre eux n’auraient pas pris la peine d’intervenir pour si peu.

— Masse-moi.

Heureux de pouvoir le contenter, je pris l’huile destinée à cet usage et le massai rigoureusement, détendant ses muscles sollicités par le combat. Puis je démêlai son panache. J’étais en train de délasser sa nuque et ses épaules lorsqu’il me parla. Je croyais naïvement qu’il sommeillait.

— Je suis désolé que tu aies eu à subir ça, me dit-il simplement à travers ses paupières closes.

« Désolé » était le deuxième tabou chez les sidhes. Et pourtant, il ne me l’avait dit. J’avais son nom, et ses excuses : selon toute vraisemblance, cela signifiait que nous pouvions devenir amis.

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