Mon noM
de
Nathalie Guillaume

De Nathalie Clin <nathalie.clin@gmail.com>
16 mai. (Il y a 3 jours)
À changementdenom@just.fgov.be
Objet : Demande de renseignements
Madame, Monsieur,
J’imagine que vous devez souvent recevoir des messages de Connard ou Crétin, peu en phase avec leur patronyme puisque votre service a le pouvoir de changer leurs noms, de les transformer en Collard ou Crépin.
Personnellement rien de semblable. J’ai passé une bonne partie de ma vie avec mon nom. Je n’ai pas subi de moqueries particulières. C’est un nom assez passe-partout, bien que sa graphie m’oblige à l’épeler. Phonétiquement, c’est [klᴈ]. [klᴈ] écrit CLAIN : en ancien français, c’est un cri, une plainte. En droit, une action en justice, une demande officielle pour réclamer quelque chose.
Mais là, il y avait urgence : les Cantonaux, grandes épreuves communes de fin d’année pour les belges de onze ans, seraient pour juin. J'ai dû m'habituer à l'écrire. J’ai eu du mal. Comprenez : j’avais de l’élan quand je commençais la courbe du G de Guillaume. Puis du jour au lendemain, arrivée au niveau le plus bas de la lettre, en touchant la ligne du quadrillage de ma feuille, cette ligne qui semblait m’indiquer le droit chemin, je devais arrêter d'écrire, suspendre mon geste, je ne pouvais pas aller plus loin, je devais lever mon stylo, c’en était fini. Je venais de terminer le C de Clin. Contrainte de cesser à penser à cette barre horizontale du G qui le distingue du C, ce petit trait d'union avec ma vie d’avant. Avec ma vie. Le courage me manquait. Tout était déjà si compliqué, si chaotique autour de moi. Je n’allais pas en faire une montagne. J'ai laissé tomber. Désormais ce serait Clin. Ou déclin. Selon le point de vue.
A la même époque, j’ai commencé à avoir mal au ventre. Constamment. Et puis partout. Je crois pouvoir dire que j’ai ressenti de la douleur dans chaque partie de mon corps depuis cette époque. Comme si mes organes rejetaient une greffe, une particule étrangère, qui voyageait au gré de ses envies : oreilles, poumons, cœur, tendons d’Achille, estomac, intestins, accablant chacun de maux et de gênes, procurant un constant inconfort. Un caillou dans une chaussure, une présence pas toujours insupportable, non, mais prégnante, une présence qui parfois disparaît, vous laisse un bref répit pour bientôt mieux se rappeler à vous, pour que dorénavant, même en son absence, vous pensiez à elle, que vous attendiez son retour avec appréhension. Au début, ma mère m’emmenait chez le médecin. Je n’avais jamais rien d’organique. Ma mère en a eu vite marre. Elle ne supportait plus mes plaintes. Elle me rappelait que elle, elle avait une maladie incurable et que moi j'osais me créer des maux imaginaires. Ça ne servait à rien de s'occuper de moi. Elle ne m’a plus emmenée nulle part.
Aujourd’hui l’adulte que je suis fait l’hypothèse d’un lien de cause à effet entre mon changement de nom et mes douleurs. Je ne suis sûre de rien. J’ai cherché des personnes dans mon cas. En vain.
A l’époque, j'avais bien tenté de comprendre le choix des adultes et de m'habituer à mon nouveau nom et ses caractéristiques. Il était plus court. Plus vite écrit. Et puis c'était celui de ma sœur, enfin de ma demi-sœur. Ma mère disait que cela lui éviterait d'être traumatisée. D'avoir une sœur avec un autre nom que le sien, ce serait trop bizarre, trop difficile à comprendre pour un enfant. Ça valait mieux pour tout le monde qu’on me légitime. Enfin. Moi bâtarde je lui rappelais sa situation de mère célibataire. Avec ce nouveau nom, je nettoyais le passé. Je suppose que je lui devais bien ça.
Le temps a filé. A 22 ans, j’ai pensé reconquérir mon patronyme. J’ai pris des renseignements, n’ai pas été au bout. Cette idée me semblait relever du caprice. Un nom, juste quelques lettres, un moyen de savoir qu'on existe quelque part, qu'on reçoit des diplômes, qu'on a un salaire, qu’on est en ordre de mutuelle. Un outil administratif. Pas de quoi en faire toute une histoire.
Néanmoins, j’aimais bien le nom de ma mère. Guillaume. Un nom de bâtard. Pas n’importe lequel. Le bâtard le plus célèbre de l’histoire de France. Celui qui, en six mois, réussit le tour de force de rassembler quinze mille hommes, trois mille chevaux et mille bateaux. En 18 jours, il traverse la Manche, encore 15 jours à terre pour rallier Hastings. Puis une bataille, du matin jusqu'au soir du 14 octobre 1066. Le bâtard a su devenir conquérant pour récupérer ce qui lui appartenait. Une terre. Un royaume. Un nom. Un titre. Roi d’Angleterre. Alors moi, modestement, j’ai le vent dans le dos, ma force est décuplée, je sens la puissance de tous mes muscles, je n’ai aucune douleur, je vais pouvoir aller le rechercher mon nom, aller rechercher qui je suis. Ou plutôt qui j'étais. Récupérer le nom que j'écrivais sur mes dessins d'enfant, dans les marges de mes cahiers, le nom dont je signais mes dessins. Mes initiales, NG, sur le pied droit de ma Barbie.
"mon nom". Observez ces deux petits mots. Ensemble, ils sont un troublant exemple d'ambigramme-miroir, un palindrome symétrique par rapport à un axe vertical, l’espace vide entre eux deux, en espace qui me laisse ressasser et rêver sans cesse à ce qu’aurait pu être ma vie de l’autre côté de cet axe, ce qu’aurait pu être ma vie en vrai.
Quels chemins aurais-je empruntés si j'avais conservé mon premier nom. Je l’ignore. Mais je sais aujourd'hui que je souhaite le reprendre. Il n'y a pas d'héritage, de coquetterie, de caprice, juste la volonté d'être moi. D'avoir ce qui était à moi.
Je me suis permis d'être assez explicite, ce n'était peut-être pas nécessaire. Je suis désolée si cette lecture vous a dérangé et je vous prierais dès lors d’accepter mes excuses.
Merci de bien vouloir m'indiquer la procédure à suivre.
Veuillez agréer mes salutations les meilleures.
Nathalie Clin.
De changementdenom@just.fgov.be
18 mai. (Il y a 1 jour)
A nathalie.clin@gmail.com
Madame,
Le changement de nom par la voie administrative est de la compétence de Monsieur le Ministre de la Justice. Le nom est fixe par principe et le changement de nom est une faveur. La loi du 15 mai 1987 relative aux noms et prénoms exige que le changement demeure exceptionnel et repose sur des motifs « sérieux » au sens de graves.
Les motifs de nature psychologique ou sentimentale ne suffisent pas.
En ce qui concerne l’introduction d’une demande, le recours à un avocat n'est pas indispensable. Cette demande doit être écrite et motivée, exposera clairement les difficultés causées par le nom actuel, les motifs d'en changer et justifiera le choix du nom demandé. Elle peut être adressée par écrit au Service des changements de nom, Boulevard de Waterloo, 115, 1000 Bruxelles. Elle doit être accompagnée d’une copie conforme de l’acte de naissance, d’un certificat de résidence, d’un extrait de casier judiciaire ainsi que toute pièce établissant la réalité des motifs avancés.
Un droit d'enregistrement de 49 EUR par bénéficiaire est perçu en fin de procédure.
La transcription de l’arrêté qui accorde le changement de nom dans les registres de l’état civil lui confère son effectivité.
La durée moyenne totale de la procédure est de douze mois à dix-huit mois.
Veuillez agréer, Madame, l’assurance de ma considération distinguée.
De Nathalie Clin <nathalie.clin@gmail.com>
19 mai. (aujourd’hui)
À changementdenom@just.fgov.be
Madame, Monsieur,
J’ai rassemblé les documents nécessaires. Vous les trouverez en annexe.
Je voudrais ajouter que mon nom, c’est Guillaume. Je l’ai reçu. Dix ans plus tard, on me l’a pris. Parfois les adultes reprennent aux enfants ce qu’ils leur ont offert un peu plus tôt. Une parole, une promesse, un coquillage, petit caillou de la plage. Ils n’ont pas conscience que reprenant ce qu’ils ont donné, ils les privent d’une très grande chose ; c’est de toute la mer, c’est de Dieu qu’ils les séparent.
Nathalie.
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