Chapitre 2

9 minutes de lecture

La course poursuite était lancée : d'après ce qu'elle avait aperçu, ils étaient cinq contre une. Trop tard pour se rendre jusqu'à la Passe-frontière, car le temps que sa course ne parte, ils l'auraient aussi tôt arrêtée.

Elle courait de rues en rues, tournant à droite, à gauche... impossible de les semer. Ses pieds pleins de cicatrices commençaient à devenir fortement douloureux. Derrière elle, une traînée de poussière laissée par son passage sur le sable trahissait son itinéraire; mais s'arrêter de courir lui était impossible.

Une idée lui vint alors à l'esprit. Il fallait faire vite. Nayala continua sa course le long de la rue puis, à la place de ralentir afin d'appréhender le virage, elle tourna au dernier moment, dérapa, avant d'accélérer davantage dans la nouvelle allée.

Elle atteignit la façade d'une maison, sur laquelle elle bondit le plus haut possible, propulsée par l'élan qu'elle avait pris. Elle s'écorcha bras et jambes en tentant de s'agripper à sa prise. Puis, sans perdre une seconde, elle monta sur le toit se cacher avant que les Gardes ne la repèrent.

L'adrénaline absorbait pour le moment la douleur. Ses oreilles à l’affût du moindre bruit lui donnaient l'indication qu'ils étaient arrivés devant la maison sur laquelle elle se trouvait ; sa respiration était saccadée et rapide.

Continuer son chemin, même sur les toits qui étaient collés les uns aux autres, était trop risqué. Pourtant, avec une patrouille à ses trousses, Nayala devait se dépêcher avant que du renfort ne soit appelé.

Regarder les étoiles la calma, elle mit sa main sur son ventre puis se concentra sur sa respiration, jusqu'à ce que celle-ci redevienne de nouveau normal. La jeune femme, sortit sa flûte en argile de sa poche et entama un morceau lent, doux, telle une berceuse pour enfant.

Un vent léger souleva sa capuche et la musique emplit l'air. Nayala imagina les notes s'envoler librement avant de les envoyer valser autour des Gardes. Cette douce mélodie les emmena dans une telle transe qu'ils ne réfléchissaient plus à ce qui se passait. Tour à tour, chacun d'entre eux s'étaient endormis.

Une fois le chemin sûr et dégagé, Nayala descendit sans un bruit. Ses poursuivants ne seraient pas réveillés d'ici plusieurs minutes. Elle tira sa capuche sur son visage halé et se remit en route. Elle rangea sa flûte dans la poche intérieure de son bas maintenant déchiré, cousu par ses soins, afin qu'on ne puisse pas la lui dérober.

Nayala crut entendre des pas et quelques murmures à quelques mètres d'elle, pourtant il n'y avait rien. Après tout, elle ne devait pas être la seule à sortir pendant les heures sombres. Elle continua sans crainte jusqu'à entrer dans sa course, direction le quartier Ouest.

Ce n'est qu'une fois sa chambre retrouvée qu'elle put enfin retirer sa capuche. Yélé lui avait assuré que sous son toit, elle était libre et n'avait pas à avoir peur. Après s'être lavée puis avoir enfilée d'autres habits, Nayala se laissa tomber face à son miroir.

Assise sur son tabouret en pierre, elle coiffa ses cheveux si particuliers pour les autres. Coupés carrés, couleur cendrée et forme ondulée, ils s'arrêtaient net aux épaules.

Petite, elle avait pu remarquer à quel point ses différences horrifiaient les habitants de Lune sans vraiment en comprendre la raison. Elle avait peu à peu commencé à se camoufler sous des vêtements ternes et amples. Nayala était allée jusqu'à couvrir entièrement sa chevelure ainsi qu'une partie de son visage pour éviter les insultes et le rejet qu'elle subissait.

Le peuple de Lune était à l'image de leurs maisons : tous semblables, cheveux noirs, peau d'une extrême pâleur, et les yeux bleus, si magnifiques qu'elle avait longtemps espéré que les siens aient pris une teinte similaire avant de se résigner.

De ce qu'elle en savait, les habitants de Soleil, eux, avaient les cheveux blancs, les yeux marrons et la peau mate. Ces caractéristiques valurent à Nayala d'être prise pour l'une des leurs, ce qui ne la dérangeait pas, puisque cela lui permettait de ne pas avoir à cacher sa couleur de peau.

Avec son physique venu de nulle part et sans aucune famille pour la soutenir, elle s'était vue rejetée, humiliée, devant mendier jusqu'à finir voleuse de rue. Nayala avait supporté injures, méchancetés et autres abominations faites par des personnes malveillantes et terrifiées par l'inconnu.

Devenir un fantôme, voler pour ne plus rien avoir à demander, voilà ce qui lui avait permis de survivre plusieurs années sans recevoir ce genre d'atrocités que son jeune âge n'empêchait pas.

D'abord de la nourriture, puis des vêtements qu'elle prenait grand soin à choisir, jusqu'à de petites babioles pour le plaisir. Comme ce miroir et toutes sortes de soins dont elle aurait possiblement besoin.

Sa vie s'était résumée à cela avant que Yélé ne lui mette la main dessus pour l'enlever à la rue. Il avait entendu parler d'une petite que les rumeurs faisaient passer pour un monstre, mais ce qu'il avait trouvé le plus horrible là-dedans fut les adultes qui comméraient contre une enfant vraisemblablement seule. Plus tard, il avait admis avoir néanmoins été surpris en la voyant, mais que rien ne lui avait alors fait penser à la fameuse créature maudite décrite part ces médisances absurdes.

Maintenant que Nayala avait atteint l'âge de vingt-deux ans, il lui rabâchait sans cesse qu'elle devait parcourir le monde, pas juste se contenter du peu d'endroits qu'elle connaissait déjà. De faire confiance, de faire de nouvelles rencontres, ... Selon lui, certaines personnes étaient prêtes à l'accepter comme elle était ; c'était ce dont elle avait besoin. Elle sourit amérement à son reflet. Jamais on ne pourrait l'accepter, ou alors elle devrait essuyer bon nombre de remarques traumatisantes avant d'y parvenir et elle n'en avait pas tellement besoin, son petit groupe d'amis lui suffisant largement.

Elle s'évalua face à la glace, sa peau hâlée, ses cheveux courts, son visage aux traits fins qu'elle trouvait pourtant joli après l'avoir très longtemps haï. Pas sublime certes, mais pas horrible comme elle put l'entendre de la bouche de ceux qui ne la regardaient pas droit dans les yeux.

Voilà d'où venait le problème, ses yeux... ronds, surplombés de longs cils clairs qui faisaient ressortir leur couleur orange, telle une flamme qu'on aurait emprisonné à l'intérieur, avec des nuances de rouge qui lui avaient valu ses pires souvenirs. Pour rien au monde Nayala ne se risquerait à replonger en plein dedans. Etre bien entourée avec Yélé, Kazir et quelques rares personnes mises dans la confidence, dont les triplés, lui suffisait.

Une semaine plus tard, se réveillant toujours plus tôt que son vieux colocataire, Nayala entreprit de rendre visite à Kazir pour lui emmener un flacon de lotion dérobé auparavant. Sa tenue du jour serait un large pantalon serré aux chevilles, un haut trop grand pour elle et une cape, le tout dans des couleurs terreuses.

Mais avant, elle commença par préparer une lotion pour lutter contre les douleurs articulaires du vieil homme. De l'eau sablée - mélange de sable lunaire et d'eau banale - et du nigrum, baie violacée qu'elle écrasait, avant de faire bouillir le tout pour en récupérer le jus.

Une fois sa sacoche en bandoulière installée et sa flûte cachée dans une poche intérieure, cousue sur tous ses habits, elle partit en laissant un mot à Yélé pour lui transmettre qu'elle serait bientôt de retour et qu'il ne devait pas oublier de prendre la préparation.

Nayala prit la course en direction du quartier Sud de nouveau, mais se garda d'emprunter un chemin similaire à sa dernière escapade. Heureusement pour elle, Kazir habitait au plus près de la frontière Est, alors que Méfir se rapprochait de celle de l'Ouest.

Le monde de Lune était séparé en quatre quartiers, Nord, Est, Sud et Ouest, dont chacun possédait sa spécialité. Le quartier Ouest, où vivaient les enfants, était spécialisé dans les sources chaudes médicinales. Les Guérisseurs y envoyaient les personnes fatiguées, blessées, âgées pour se reposer ou se soigner en se plongeant dans des cratères, plus ou moins grands, remplis d'eau fumante afin de bénéficier des bienfaits de plantes curatives.

Ces plantes provenaient du quartier Sud où elles étaient cultivées par les Botanistes, chacune ayant des vertus différentes. C'est dans cette région que Nayala se procurait le Nigrum dont elle avait besoin. De grandes serres qui contenaient des centaines, voire des milliers, d'espèces occupaient les cratères de la zone sur plusieurs niveaux. Jusqu'à devenir, pour certaines, un champ de fleurs immense ou une forêt abondante pour d'autres.

C'est dans le quartier Ouest qu'elle avait appris les bases de la préparation de soin. Yélé étant lui-même un Préparateur non-officiel, comme ceux pratiquant à l'extérieur du Palais, il lui avait enseigné ses maigres connaissances.

La façon de préparer les végétaux, de les écraser, les bouillir, les sécher, les hacher, de les mettre dans différents types d'eau, ect. Tout avait un impact sur le résultat final et la qualité du soin. Elle ne savait pas en préparer beaucoup, mais à force d’avoir regardé discrètement d'autres Préparateurs en activité, elle avait acquis un peu plus de connaissances et de savoir-faire qui lui étaient et lui seraient utiles.

Tous les habitants à l'extérieur du Palais lunaire étaient considérés comme non-officiel pour la plus part. Même si reconnus, ils n'avaient pas la certification et leur nom enregistrés dans les registres du Palais comme ayant étudier à l'intérieur.

Pour devenir un Officiel, il fallait donc finir la formation qui prenait plusieurs années ou alors être embauché directement au Palais comme Assistant d'un Éminent : Guérisseur, Botaniste ou Préparateur officiel travaillant déjà pour le Grand Gardien.

Le Palais se trouvait dans le quartier Nord, un point de ralliement de toutes les spécialités où chacun pouvait vendre ses créations dans un immense marché inondé de stands en tout genre. Ici, aucune maison, aucune serre, aucune source chaude, uniquement des étales créant des allées tortueuses dont toutes menaient en son centre, vers le Palais.

Un dôme qui semblait toucher les étoiles, entièrement fait en pierres blanches. Contrairement aux maisons, celui-ci étaient polis afin d'empêcher que les parois lisses ne puissent être escaladées.

A l'intérieur se trouvaient les Éminents qui travaillaient pour faire avancer la recherche dans leur domaine. Les Servants, engagés pour servir d'aide aux Éminents dans toutes sortes de tâches. Les Gardes et leur famille, qui faisaient parti du même groupe, ainsi que les Gardiens et le Grand Gardien de Lune.

Le Grand Gardien était le dirigeant de ce monde, un sur Lune et un sur Soleil. De père en fils, ils se passaient la responsabilité de leur monde respectif, qu’ils devaient diriger et sécuriser. Ils devaient assurer pérennité et bons échanges entre les deux mondes, séparés par une grande muraille.

Dans cette tâche, ils étaient accompagnés par cinq Gardiens, qui les aidaient à gérer notamment les affaires intérieures au Palais mais qui pouvaient aussi être envoyés en tant qu'émissaires dans le monde voisin.

Le quartier Nord arborait aussi le seul point d'ouverture possible entre les deux mondes, la Grande Porte. Bâtie sur l'ancienne arche ouverte entre les deux mondes à l'époque où les peuples ne s'entendaient pas. Événement qui faillit provoquer une guerre sans précédent.

Depuis lors, aucun Grand Gardien ne prit la décision de la retirer. Les seuls échanges entre les deux peuples se faisaient soit par messagers, soit par des livraisons commerciales effectuées sous surveillance à partir d'une petite porte coupée dans la grande.

Nayala, qui était descendue de la course, marchait dans les rues pour arriver enfin jusqu'à la maison de Kazir. Elle entendit un groupe de personnes qui parlaient d'une rumeur sur un pilleur capable d'assommer à lui seul toute une patrouille de Gardes.

Sa sortie de la semaine dernière n'était donc pas passée inaperçue. La rumeur amplifiait à chaque passage chez Méfir, mais c'était la première fois qu'elle avait dû laisser derrière elle des Gardes endormis. Elle aurait bien payé honnêtement ces fioles avec le salaire d'un travail, mais avec son physique atypique, personne ne voudrait l'embaucher.

Elle aidait toutefois le vieil homme au marché de temps en temps, dissimulée derrière un tissu. Elle recevait en contrepartie un peu d'argent, qu'elle gardait précieusement dans sa sacoche pour ses trajets de course ou pour un quelconque imprévu.

La jeune femme apportait souvent son aide à Kazir dans les serres ou à madame Sheza, gérante d'une source chaude qui se trouvait être une bonne amie de Yélé, mise dans la confidence.

Cette dernière, à la place d'argent, lui offrait toutes sortes de bijoux ou de tissus, tout aussi extravagants que ceux qu'elle-même portait. Ils avaient beaux être magnifiques, Nayala ne les portaient jamais. Elle préférait rester discrète et gardait le tout dans sa chambre en portant quelques babioles quand elle se rendait à ces sources chaudes.

Avec ces quelques travaux pour lesquels son agilité et son endurance étaient un point fort, elle arrivait à se dégager un petit pécule qui la remplissait de fierté. Certes pas assez conséquent pour subvenir elle-même au bon fonctionnement de la maison, mais assez pour être un minimum indépendante.

Elle rêvassait en observant les différentes serres qui défilaient devant ses yeux, et ce fut au bout d'environ une heure de marche qu'elle arriva enfin à destination.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 25 versions.

Vous aimez lire Alyssa29 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0