Chapitre 1, 6 septembre 3006 Troisième et cinquième plates-formes

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Une cuiller et tout serait réglé.

Une pour cesser de sentir son imperméable élimé râper sa gorge, pour que ses lunettes noires masquent deux paupières closes plutôt que la trace de ses nuits blanches, une pour que tombe l’aube. Maintenant.

Les immeubles mornes défilaient derrière la flamme des réverbères. Chaque mur surpassait en craquelures le précédent. La voiture fit une embardée. Au volant, son maître de stage bâilla à s’en décrocher la mâchoire. Lui ne manquait pas d’aga. Sens émoussés, sommeil narcoleptique, émotions amputées. La sévérité de son cas révélait une consommation de loin supérieure au minimum vital.

« Combien de corps ? »

Oublier la bêtise humaine serait déjà bien. L’effacer serait encore mieux.

« Aucun. Beaucoup de sang et des traces de lutte. »

Il jeta son mégot, extirpa une nouvelle cigarette de sa veste matelassée noire.

Une cuiller pour asphyxier ce goudron volatil.

Elle abaissa la fenêtre. La brise fraîche battit ses oreilles nues, la décrépitude gifla ses narines.

Freddy ralentit pour montrer sa plaque à une monstruosité écailleuse et ils empruntèrent la rampe d’accès vers les étages supérieurs de l’arbre cité. Il grommela.

« Si ça se trouve, personne n’est mort et on y va pour rien. »

Murielle soupira, s’absorba dans la contemplation du coffre à gants.

« J’aurais aimé que tu écoutes Carl au lieu de compter sur moi pour te donner les informations. »

« Pas possible. Le décolleté de Noémie, la voiture, tout ça. »

Il vérifia son angle mort. L’estomac de Murielle protesta contre la quantité de vide qui l’occupait.

« Tu es censé m’apprendre le métier. »

« Et toi, tu devrais manger plus. »

La trachée de Murielle piégea un juron. Préférait-elle qu’il la croie anorexique ou qu’il la sache fauchée ?

Question futile, songea-t-elle.

Il la croirait anorexique et la savait fauchée.

« Je ne vois pas le rapport. »

« Ne me dis pas quoi faire et je te rendrai la pareille. »

Une heure du matin.

Une cuiller et tout serait réglé.

La brûlure familière dans ses veines, la délicieuse torpeur, le fantôme d’une résistance défunte. Elle n’entendrait plus les inepties de son superviseur. L’aga régnait sur elle. L’aga régnait sur tous. L’aga coûtait cher. Laisser le manque la tuer n’avancerait à rien.

Elle exhala bruyamment.

Son regard croisa la petite image peinte qu’une pince tenait au plafond. Freddy, sa femme, deux mini-Freddy, les rides en moins. Des sourires d’ange. Il n’avait pas que des mauvais côtés.

Il détestait seulement son travail.

Cinquième plateforme. Première fois qu’elle y venait. Réverbères aux flammes bleutés, maisons unifamiliales, couleurs délicates, le vernis respectable d’un cauchemar bien rangé.

Ils roulèrent en silence sur la périphérie jusqu’aux rubans de tissu jaunes qui marquaient leur arrivée en territoire souillé.

Si elle sombrait maintenant, adieu le stage. Le cerveau le plus déficient ne pouvait pondre un crime à sa portée.

L’aga… Pas avant le matin.

« On y est, » dit Freddy. « Le domicile du capitaine Samson. »

Un tintement résonna dans son esprit.

Ce soir, elle savait qu’elle irait trop loin.

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