Chapitre 5, 8 septembre 3006, Troisième plate-forme

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Méthodes d’observation. La voix monocorde du vieux Léonard Boucher répétait inlassablement des refrains immuables pendant qu’il traînait sa graisse entre les rangées de tables. Il traitait du sujet du jour avec l’incompétence commune à l’académie. Son bourdonnement insipide engourdissait même les cerveaux les plus tenaces.

« Que pouvez-vous apprendre d’une scène de crime ? Cela dépendra de plusieurs facteurs. Qui l’a contaminée avant vous ? Les conditions météo l’ont-elles influencée ? Combien de temps y perdez-vous ? »

Murs gris craquelés, chaises défoncées, la salle de classe témoignait de l’importance qu’accordait la cité à la formation de ses policiers. Les trois premières rangées étaient vides. Une fille et deux garçons ronflaient sans se cacher au fond de la pièce et trois élèves se racontaient leur dernière beuverie. Les dormeurs restaient les plus agréables.

« Que ferez-vous si l’on vous assigne une scène de crime déjà froide ? Médée ? »

Les étudiants encore éveillés tournèrent le regard vers une tache de couleur éclatante. Médée, aussi à sa place dans cette classe qu’un empereur dans les faubourgs. La coupe de ses vêtements suggérait que le labeur existait dans un univers parallèle au sien.

Elle se contenterait d’hériter.

Une légende prétendait que deux roses enlacées dans une étreinte passionnée ornaient sa fesse gauche.

Étrangement, Murielle n’y croyait pas.

L’interpellée leva distraitement les yeux de son code de procédure et répondit d’une voix traînante :

« Désirez-vous une démarche conforme au manuel ou à votre idéologie personnelle  ? »

Quelques éclats de rire. Le visage de Boucher se pinça dans l’expression aigre dont se délectait Médée.

« Pourquoi la direction veut-elle que je perde mon temps avec de pareilles chipies sans valeur ? Prétendez au moins vous intéresser à la matière, mademoiselle. »

Il marqua une pause dramatique, peut-être pour imprégner son jugement sévère dans leurs jeunes esprits, mais plus probablement pour rattraper le fil décousu de ses pensées désordonnées.

« La théorie dit : "Ne négligez jamais la scène du crime." En pratique ? Une piste froide ne vous apporte rien. Les romans foisonnent de détectives qui résolvent cas sur cas de la façon la plus farfelue qui soit. Un indice révélateur, une question habile, une erreur du malfrat, tous ces éléments stupides dont vous vous délectez depuis que vous avez appris à lire ne sont que fiction. Vous croyez que vous solutionnerez des crimes, mais votre travail sera de rassurer la population. Vous imaginez que vous sortirez dans les rues l’arme au poing pour tuer des méchants ? Redescendez sur terre. À part les Randyrs affectées aux faubourgs et les imbéciles comme Feïlia, personne ne fait ça. »

Des rires mesquins fusèrent de plusieurs gorges. Personne ne se souciait de la vie humaine perdue dans l’opération, ils ne voulaient que se gausser de son faux pas. De son crime.

Elle se força à gribouiller quelque chose sur sa feuille de notes. N’importe quoi pour masquer son malaise et l’aider à simuler l’indifférence. Une larme dévala sa joue dans l’espoir d’atteindre sa table de travail. Elle la bloqua avant qu’elle n’arrive à destination. Son regard croisa la pointe fléchie de son stylo.

Elle la redressa soigneusement.

Son œil redescendit vers le papier.

Roberto Metellus, octobre 2984, cinquième plate-forme, affaire Ortiz.

D’où lui venaient ces mots ? Ortiz était un nom d’origine sangréaque et Murielle n’était pas née en 2984. Léonard continuait à débiter ses âneries avec la passion endiablée d’un métronome réglé à dix battements par minute. Son subconscient hyperactif lui rappelait-il un cas similaire à celui de Samson ? Murielle fronça les sourcils.

« Que se passe-t-il, mademoiselle Feïlia ? On réfléchit sur sa vie, ses plans de carrière et son ego surdimensionné ? »

Elle revint au moment présent, dans ce monde où Léonard s’avançait vers elle aussi vivement que le permettait sa masse monstrueuse.

« Vous dessinez toujours de petites images dans vos cahiers à votre âge ? Comme c’est charmant. »

Il s’empara de ses notes avec un sourire narquois qui s’effaça lorsque ses yeux rencontrèrent les mots griffonnés en marge. Le visage livide, il reposa le document.

« C’est triste à dire, mais les flammes les plus vives s’éteignent souvent les premières. Passez me voir à la fin de la classe, mademoiselle. J’aurais à vous parler. »

Il tourna les talons et reprit son discours incolore.

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Si vous êtes parvenu jusqu'ici, vous avez certainement quelque chose à me dire. J'attends vos retour avec enthousiasme. À bientôt!

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