Chapitre 6, 8 septembre 3006, Troisième plate-forme

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Les premiers élèves quittèrent la classe plusieurs minutes avant que Léonard n’ait cessé ses monologues. Pour une fois, Murielle resta jusqu’à la fin. Son esprit régurgita le souvenir d’une pièce fermée, d’un orifice dissimulé par lequel sa mère la contraignait à l’observer pratiquer son métier.

Tu me remercieras plus tard.

Elle ne l’avait jamais remerciée.

Le fantôme d’une brûlure monta le long de son échine. Le fantôme du jour où elle avait refusé d’entrer dans ce placard. Un fantôme de fer, de flamme et de chair.

Putain, tu sens le bacon.

Connard de John.

Une cloche sonna.

Résignée, elle avança vers son professeur. Calme comme l’eau qui dort. Elle mijota un long moment pendant qu’il griffonnait des phrases décousues. Peut-être le début de sa biographie ?

Il gratta finalement sa barbe clairsemée avant de se redresser comme une tour massive et menaçante.

« Vous ne disposez d’aucune preuve et vos menaces sont vaines. »

La contenance de Murielle vacilla.

« Je ne vous ai menacé de rien. Je n’ai même pas parlé. »

Léonard crispa les doigts sur son bureau. Ses multiples mentons vibrèrent de concert alors qu’il s’inclinait lentement en soufflant vers elle des arômes de café et de sucs gastriques.

« Ne fais pas ta maligne, petite nouille, » murmura-t-il. « Tu n’as pas de preuve. Personne n’en a trouvé à l’époque et personne n’en trouvera vingt ans plus tard, même pas une fouille-merde comme toi. »

Chez Léonard, le tutoiement était plus mauvais signe que les insultes. Lentement, il se rassit, posa les mains à plat sur son bureau et les examina comme s’il les découvrait pour la première fois.

Comme si elles ne lui appartenaient pas.

Comme Freddy avait contemplé son arme.

Elle frissonna et croisa les bras.

« Maintenant que je sais que vous utilisez votre accès aux archives pour trouver des taches imaginaires dans les dossiers de vos professeurs, je veillerai à ce qu’on vous le révoque. Lorsque vos travaux l’exigeront, vous devrez convaincre un autre étudiant d’effectuer vos recherches. Vos notes en souffriront certainement, mais c’est le prix à payer pour l’usage abusif que vous en avez fait, n’est-ce pas ? Bonne fin de journée, Feïlia. »

Murielle resta interdite. Elle aurait dû répondre immédiatement, mais rien ne lui venait à l’esprit. Affaire Ortiz. 2984. Roberto Metellus. Que s’était-il passé ? Qu’avait-elle lu, pourquoi ne se souvenait-elle de rien d’autre ? Elle se secoua et lui jeta au visage les premiers mots qu’elle put trouver :

« Vous ne pouvez pas faire ça. Je n’ai rien fait de mal. Tout ce que vous risquez, c’est d’ouvrir une enquête interne sur un sujet qui vous effraie et… »

Elle tressaillit lorsqu’il frappa des deux mains son bureau.

« Une enquête prouvera mon intégrité. Je n’ai rien à me reprocher. Ni sur ce que je fais maintenant ni sur ce que j’ai fait à l’époque. Vous, en revanche, vous venez de pénétrer dans un cloaque duquel vous ne sortirez jamais. Hors de ma vue ! »

Murielle pinça les lèvres.

Tenir tête était hors de question. Ce combat était déjà perdu.

Poings serrés, elle tourna les talons.

Trop tard.

Elle avait aperçu son sourire.

Elle claqua la porte.

Heureusement, la vitre était cassée depuis longtemps.

« Le palais de la reine de l’hiver vibre d’une ire inextinguible. Le rat entripaillé a mordu au pied la vertu. La prophétie s’est accomplie. La fin du monde approche. En attendant le déchaînement du ciel enflammé et la descente des Kriegsherre en furie, comptais-tu manger seule ? »

Murielle pesta contre son inattention. Adossée au mur, aussi voyante qu’un paon perché sur un tas d’ordures, Médée n’avait pas dû manquer un mot de son échange avec Léonard. Calme comme l’eau qui dort. Elle s’attela à recréer son masque impassible.

« M’as-tu déjà vue manger avec quelqu’un ? »

Médée sourit en prenant le chemin de la cafétéria.

« Alors ça fera changement. »

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