Sous protection

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— Il était là, je te jure ! chouinai-je sans me préoccuper de mon maquillage qui coulait.

Hide m’attira contre son épaule. Je m’étais précipitée sur lui dès que je l’avais vu dans l’entrée du club.

— Calme-toi, Lola, fit-il en me serrant contre lui.

J’en profitai pour inspirer une grande bouffée de son odeur si particulière. À ce stade, je ne savais pas toujours pas si je la détestais ou si je l’adorais.

Je venais de vivre une semaine de pure terreur. Je n’osais plus sortir de chez moi et appelai un taxi pour m’amener et me raccompagner au club. J’avais tellement peur de revoir ce type ! J’avais guetté Hide tous les jours, jusqu’à ce qu’il daigne réapparaitre. Qui pouvait m’aider, à part lui ?

— C’était lui... le tueur peroxydé. Il m’a menacée en mimant le trajet d’une lame sur son cou. Il a une tête de psychopathe, pire que le mec qui m’a agressée au combini, pire qu’Idriss !

— Chut, souffla Hide dans mon oreille. C’est fini.

Sa voix basse et légèrement rauque me faisait l’effet rassurant d’un ronronnement de tigre. J’enfouis un peu plus mon nez dans le creux de sa large épaule. Ici au moins, j’étais en sécurité...

— Qu’est-ce qui se passe ? intervint Noa. Pourquoi cette fille n’est pas au travail ? M. Ôkada l’attend.

Le mec des trains. J’étais devenue son hôtesse préférée. Il avait même proposé de payer à Noa cent mille yens pour avoir « l’honneur » de me « déflorer »... la honte que j’avais eu ce jour-là ! D’autant plus qu’Hide l’avait su, comme Noa s’était bien empressée de me raconter. Le client avait, parait-il, été très déçu en apprenant que je n’étais pas vierge comme une petite maiko.

— Ana-chan a eu très peur, Noa, expliqua Hide avec une petite tape rassurante sur mon dos. Le Si Hai Bang est après elle.

— Eh bien, c’était à prévoir...

— Comment ça ? fis-je en me décollant de l’épaule d’Hide.

— Va te rafraîchir, ordonna sèchement Noa. Ton visage ressemble à un morceau de sashimi qu’on aurait oublié au soleil.

Je lâchai donc mon protecteur pour me réfugier à l’étage. Elle avait raison : j’étais affreuse. Et je m’étais montrée ainsi à Hide... mais il était vrai que mon objectif était différent d’une entreprise de séduction. C’était de sa faute, tout ça.

Au moment où je m’apprêtais à redescendre auprès du client, Hide me bloqua dans l’escalier. Il me repoussa dans la loge, plaquée contre lui, jusqu’à la tablette, où je dus m’asseoir, les jambes écartées par son grand corps. Il resta ainsi une demi-seconde, les mains sur mes hanches, ses prunelles félines posées sur moi, puis ferma la porte et recula contre le mur.

— Je vais te mettre sous protection, annonça-t-il en s’allumant une cigarette.

— Vraiment ? Qui ?

— Masa. C’est l’un de mes meilleurs hommes. C’est lui qui te raccompagnera tous les soirs et qui viendra te chercher pour bosser.

— Et tu crois que Masa peut me défendre contre ce fou furieux de Bruce Lee taïwanais ?

— C’est un ancien des forces spéciales nord-coréennes. Je peux t’assurer qu’il sait ce qu’il fait.

Hide fouilla dans sa veste, et en sortit sa carte, sur laquelle il griffonna quelque chose.

— Voilà mon numéro perso. Si tu sens que ça ne va pas, que tu es en danger... appelle-moi. N’importe quand.

Je le regardai en silence. Puis je fourrai la carte dans mon soutien-gorge.

— Je te prends au mot, soufflai-je. Ne me laisse pas tomber, Hide. C’est à cause de toi et de tes magouilles que j’en suis là.

Un lent sourire apparut sur ses lèvres pleines. C’était la première fois que je l’appelais « Hide », sans émettre le moindre suffixe de politesse. Et visiblement, il était loin de s’en offusquer.


*


À la fin de mon shift, Masa me raccompagna chez moi. Il attendit dans la grosse berline noire que je sois bien remontée en haut de mon escalier, et que j’ai refermé la porte à clé. Derrière le rideau de ma petite fenêtre, je le vis partir lentement après avoir jeté un dernier regard aux alentours. Une fois barricadée chez moi, j’envoyai un texto à Hide.

Je suis chez moi. Masa vient de me déposer.

Il me répondit immédiatement.

Tu as bien fermé à clé ?Tu te sens en sécurité ?

Je textai un « oui » timide. Pourquoi ne m’appelait-il pas ? Je tentais de le faire, mais il ne décrocha pas.

Je ne suis pas dispo.

Ce qui voulait dire qu’il n’était pas seul.

Tu es avec une femme ? osai-je. Noa ?

Sa réponse tarda un peu, mais elle arriva.

Non. Réunion.

Un conciliabule de couilles, donc, interdit aux femelles, comme tant de sociabilités bien masculines au Japon. Je ne manquai pas de le rappeler à Hide :

Et tu ne veux pas de femmes pendant le business...

Les luttes de territoire ne concernent pas les femmes, répondit-il très sérieusement.

Sûrement pas, puisqu’elles font elles-mêmes partie des possessions des mâles alpha, n’est-ce pas ?

Hide me répondit par un point d’interrogation.

Les dominants dans les meutes de loups, lui appris-je. Ceux qui s’accaparent toutes les femelles. Enfin, laisse tomber.

Réponse quasi immédiate :

Et tu te sens attirée par ce genre de types ?

Je m’octroyai une minute de plus avant d’envoyer la mienne. Histoire de bien le faire mariner.

Peut-être.

J’attendis dix bonnes minutes avant de recevoir sa réponse. Elle tomba comme un couperet, au moment où, ayant lâché l’affaire, je m’étais presque endormie :

Laisse-moi t’attacher.

Je me réveillai immédiatement.

Quoi ?

Je veux t’attacher, insista Hide. Et te prendre en photo. Cinq cent mille yens. En cash.

Mon cœur se mit à battre à tout rompre. Mon Dieu... Du kinbaku, maintenant ! Jamais je n’aurais pensé tomber sur un fétichiste des cordes en chanvre dans ce club. Encore moi que ce soit Hide. Quoique...

Où ça ?

Chez moi, dans ma villa privée à Karuizawa.

Et ton gosse ?

— Quel gosse ?

Le petit louveteau que tu as eu avec la femelle alpha... il vit avec sa mère ?

— J’ai pas de gosse. Et il n’y a pas de femelle alpha. Alors, oui ou non ?

Je me laissai retomber dans mon futon, le téléphone serré dans ma paume moite.

Mon Dieu...

Oui, répondis-je avant d’appuyer très vite sur envoi. Puis j’éteignis le téléphone, et m’enfonçai le visage dans l’oreiller.


*


Le lendemain, rebelote : Masa m’attendait en bas de chez moi, appuyé contre la grosse berline. Je m’empressai de m’engouffrer dans la voiture avant que tout le quartier ne se pose des questions. J’avais déjà surpris le regard d’une commère du voisinage, au-dessus de la grille de son jardin.

Au bar, la barmaid m’annonça qu’un client anonyme avec réservé pour moi le champagne brut « goût de diamants ». Le plus cher de toute la carte... il n’y en avait d’ailleurs qu’une bouteille au club. J’eus droit à une véritable fête, sous le regard suspicieux et dubitatif de Noa.

— Tu ne sais vraiment pas qui c’est ? insista-t-elle. Pas la moindre petite idée ?

— On a réservé par téléphone, précisa Ayu. Et l’argent a été déposé ici directement en cash par un employé de Kuroneko Takkyûbin.

Noa laissa son regard froid traîner sur moi.

— Mhm... Est-ce que le client a dit s’il passerait le boire avec l’hôtesse ?

— Il a dit que Lola pouvait le boire avec ses copines.

— Ok. Alors, remets-le en réserve.

Je jetai un regard choqué à Noa, mais n’osai rien dire. Après tout, c’était elle la patronne... et je ne tenais pas forcément à m’alcooliser encore plus.

Une fois mon service terminé, Noa m’emboita la pas au moment où je sortis du bar. Elle salua Masa d’un signe de la main, et attendit, les bras croisés, que je monte dans la voiture.

— Tu peux remercier Hide-sama de prendre ta sécurité autant à cœur, fit-elle durement. Peu d’hôtesses peuvent se targuer d’avoir un chauffeur... même les geisha d’Asakusa n’en ont pas.

— Peut-être n’ont-elles pas été menacées de mort par la mafia chinoise ? lançai-je sur un ton faussement innocent.

J’entendis Noa rouméguer, mais c’était très bas. Le menton haut, elle retourna dans son bar.

Derrière ses lunettes teintées, Masa me fixait dans le rétro.

— Le patron m’a dit de t’emmener directement chez lui ce soir. Je te raccompagnerai après la séance.

La séance. Ce mot me fit me sentir toute chose.

— Je sais, Masa, je sais, fis-je en serrant mes doigts sur mon sac.

C’était le grand soir. Celui où Hide allait... m’attacher. Et cette fois, Noa n’était pas de la partie.

J’étais excitée à l’idée de revoir Hide, chez lui en plus, et dans ces conditions. Mais, au fond de moi, un soupçon d’inquiétude subsistait, qui n’avait rien à voir avec la mafia chinoise. Et tout avec Hide lui-même... Miyabi. Je n’avais pas oublié cette sombre affaire. Est-ce qu’il l’avait « attachée », avant de la faire disparaître ?

Dans le doute, j’envoyai discrètement un texto à Sao.

Je suis en route pour la tanière du loup, à Karuizawa. Si je ne suis pas à Tokyo demain matin, appelle la police.

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