Fuite

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En rentrant, je trouvai une lettre recommandée dans ma boîte aux lettres. Minako. Elle me mettait à la porte. J’avais un mois pour dégager. Les voisins avaient dû parler... une voiture de mafieux dans ce quartier tranquille, ça faisait désordre.

Je pris la missive et la mis directement à la poubelle. De toute façon, je voulais partir. Avec le tueur des Triades à mes trousses, pourquoi rester là ? Un rapide regard autour de la pièce minuscule acheva de me convaincre : j’avais peu d’affaires. Ce serait facile de partir. Le seul souci, c’était le logement... Mais, grâce à Hide, j’avais un gros pactole d’avance. Et je ne devais plus rien à Noa. Ni à personne, d’ailleurs.

C’était peut-être le moment de partir. De rentrer en France. Mais pour y faire quoi ?

Surtout, il y avait plus urgent à régler. J’avais baisé sans protection. Et bien sûr, je ne prenais pas la pilule : cette dernière avait peu de succès au Japon, et de toute façon, je n’étais pas suivie par un gynécologue. Je n’en avais jamais vu de ma vie. Ce n’était pas maintenant, dans ce pays où les soins médicaux coûtaient autant que l’entretien d’une voiture, que ça allait commencer. Je ne savais même pas à qui m’adresser.

J’envoyai donc un message un Sao. Pour le prévenir de mon retour, déjà, et pour lui demander quoi faire.

J’ai couché avec lui.

Simple, direct.

La sonnerie de mon téléphone retentit immédiatement. Pourtant, il était six heures du mat.

— Tu l’as fait avec le loup ? chuinta-t-elle dans le combiné.

Je laissai passer un silence.

— J’ai pas trop eu le choix, si tu vois ce que je veux dire.

Sao soupira.

— Je me doutais bien que ça allait finir comme ça. J’ai essayé de te prévenir. On ne dit pas non à un yakuza...

J’ai aimé ça, Sao. J’ai aimé être dominée par cet homme violent et sans pitié, qui a très probablement assassiné son ex et m’utilise pour servir de leurre auprès d’une mafia encore plus dangereuse que la sienne. J’aurais presque souhaité que ça continue.

Mais je ne pouvais pas le lui dire.

— C’est pas grave, il m’a donné un million cinq cent mille yens. Je peux arrêter le bar, maintenant.

— Tu vas le faire ?

De nouveau, je pris mon temps pour répondre. Je songeai à ce qu’avait dit Noa, lorsqu’Hide avait dit que j’étais poursuivie par le Si Hai Bang : « eh bien, c’était à prévoir... ». J’y avais repensé pendant tout le trajet de retour à Tokyo, tournant et retournant cette phrase dans ma tête, blessée par l’indifférence qu’Hide manifestait désormais à mon égard. Sur le coup au club, avec l’émotion et mes illusions, j’avais mal compris. En fait, ce qu’avait dit Noa, c’était « comme on l’avait prévu ». La nuance était de taille.

— Oui, lâchai-je.

Mais du coup, j’allais perdre la protection de Masa. Et tout le reste. Mais Hide n’était pas le samurai moderne que j’avais bêtement fantasmé. Il s’était sciemment servi de moi, pour protéger Noa. Et, avec sa complicité, il m’avait coupée de la société des katagi, les « gens normaux ». Tout ça pour, ensuite, me jeter comme un mouchoir usagé.

Ce n’était pas le seul.

— Minako m’a virée, ajoutai-je. J’ai un mois pour me casser.

Sao résolut le problème avec un brusque cri du cœur :

— Viens chez moi à Sagamihara. Tu seras loin du centre-ville et de toute cette bande. Tu vas pouvoir te reposer. De toute façon, les cours sont finis, non ?

C’était le cas. Je n’avais plus de boulot non plus.

— Je ne voudrais pas m’imposer...

— Tu m’aideras avec Kouma le temps que tu te trouves un nouvel appart : il t’adore ! Y a plein de trucs à louer vers Machida. Et c’est moins cher que Tokyo.

Je sentis les larmes me monter aux yeux. Sao... cette fille que tout le monde traitait en paria était toujours là pour moi.

— Je ne sais pas comment te remercier... je te paierai un loyer. J’insiste.

— On reparlera de tout ça. En attendant, plie tes affaires, fais-les envoyer par Kuroneko et rejoins-moi à la gare de Machida. Je viens te chercher. On ira direct à la clinique, ok ?

J’acquiesçai entre deux reniflements.

— Merci Sao...

— Allez. Respire un bon coup, et quitte cet endroit. Kouma et moi, on t’attend.

*

— Qu’est-ce qu’elle a dit ? s’enquit Sao avec inquiétude lorsque je lui expliquai que j’avais démissionné par SMS.

— Je ne sais pas. Je l’ai immédiatement bloquée, répondis-je. Je ne veux plus rien à voir avec elle ou avec son mec mafieux.

Sao me lança un regard prudent.

— Et lui... il n’a pas essayé de te contacter ?

— Pas encore. Il a eu ce qu’il voulait, et Noa ne lui a probablement encore rien dit.

— Ils vont peut-être essayer de te retrouver...

— C’est pour ça que je vais changer d’opérateur et de numéro.

J’étais décidée à me désintoxiquer d’eux. Ce serait dur — ça l’était déjà — mais j’allais y arriver.

Lorsque j’étais descendue avec mes deux grosses valises — le reste arrivait dans un carton Kuroneko —, Sao m’attendait devant la gare de Machida avec sa voiture. Elle m’emmena directement à une clinique en ville, où une doctoresse douce et taiseuse me fit un check-up gynéco complet. Elle ne me posa aucune question, et me donna la pilule du lendemain. Je payai tout en cash : finalement, c’était moins cher que ce que je croyais.

— Alors ? s’enquit Sao à la sortie.

— J’ai rien du tout. Et j’ai pris la pilule.

Mon amie hocha la tête.

— Super. Allez, on oublie tout ça : c’est fini, enterré. On rentre.

Une fois Kouma rentré de l’école — il me fit une véritable fête —, j’aidai Sao à préparer les gyôza. Elle sortit d’autorité une grande canette de Kirin fraîche et me laissa surveiller la cuisson des ravioles pendant qu’elle allait installer la chambre des invités, qui lui servait de salle de répétition pour la danse. C’était une pièce fraîche, située au rez-de-chaussée, qui donnait sur le jardin. Derrière, on pouvait voir les pentes arborées du mont Takao apparaître par intermittence dans la brume. J’étais bien, ici. En sécurité. Dans l’ambiance idéale pour oublier Hide, Noa et le club.

— T’es déjà allée au mont Takao ? demanda Sao pendant le repas. On pourra y aller demain, si tu veux.

— Le mont Takao ? C’est pas là où il y a un temple bouddhiste ?

— Si, le Yakuô-in. C’est un lieu de randonnée touristique prisé à Tokyo.

Et le genre de coin où je ne risquais de croiser ni yakuza ni hôtesse.

— Une petite retraite bouddhiste, pourquoi pas ? Cela pourrait être bien.

— Y a des tengu, ajouta Kouma, la bouche pleine de gyôza. Et des moines avec des pouvoirs magiques, comme dans Naruto !

— Des tengu ?

Sao se mit à rire.

— Tu sais, ces créatures ailées à long nez, habillées en moine... on dit que le mont Takao est habité par l’un d’eux.

— Même qu’il se déplace sur un renard géant, comme Uchiha Madara ! renchérit Kouma avant de mimer un mudra avec les doigts.

— Tu vois, Kouma est déjà bien initié par les moines du mont Takao, plaisanta Sao. Il connait tous leurs secrets.

— On ira demain tous ensemble, alors, souris-je.

Je me sentais à des années-lumière de Kabukichô et de ses embrouilles. Et surtout, loin de Hide, dont la seule trace persistante était cette petite gêne à l’entrejambe qui allait disparaître bientôt.

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