Invocation

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— Tu fais ça vraiment bien, me félicita-t-il plus tard, alors que je reposais sur ses pectoraux.

— T’es le premier homme à qui je taille une pipe, lui confiai-je alors. J’ai toujours refusé de le faire jusqu’ici. Comme la sodo.

Je le vis lever un sourcil.

— Vraiment ?

— Vrai de vrai. Je me contentais du missionnaire, en serrant les dents.

— Mhm...

Ce que je racontais le laissa pensif.

— Et toi ? osai-je lui demander.

— J’ai beaucoup fréquenté les filles des soaplands à une époque, avoua-t-il. C’est là où j’ai pris goût à... certaines choses. Mais avant, j’étais comme toi, classique.

« Classique ». C’était plutôt bien dit.

— Tu avais besoin de te changer les idées, en allant dans ces endroits ?

Il hocha la tête.

— Et en me voyant, tu as pensé que j’étais l’une de ces professionnelles super expérimentées. Parce que je dansais dans un restaurant turc en soutien-gorge à sequins, et que j’étais occidentale.

Je le sentis se redresser.

— Non... j’ai été attiré par ta façon de bouger, c’est vrai. Mais je ne pensais pas que tu étais une professionnelle. J’en ai connu beaucoup, des pros, et elles ne sont pas comme toi. J’ai tout de suite vu que tu étais nouvelle dans le quartier. C’est mon territoire, après tout.

C’était vrai. C’était moi, stupide petit chaperon rouge imprudent, qui étais venue me perdre sur le territoire du loup. Lui, il était juste entré par curiosité, pour vérifier ce qui se passait dans cet établissement étranger, installé sur sondomaine.

— Est-ce que les restaurateurs vous payent une redevance ? demandai-je.

— Certains. Mais, en général, on ne mêle pas les étrangers non-asiatiques au business. C’est rare qu’ils restent longtemps, et souvent, ils ne parlent pas la langue.

— Pratique pour échapper aux yakuzas...

— Mais pas à la mafia chinoise ou coréenne, compléta Hide. Alors, certains demandent d’eux-mêmes notre protection. Pour le Samaro... le resto où tu dansais, j’ai accepté.

Je souris. Le « Samaro ». Hide avait essayé.

Samanyölu. Ça veut dire « voie lactée », en turc. C’est beau, non ?

Hide hocha la tête. Je l’entendis murmurer le mot, cherchant à imiter ma prononciation.

— Högir est donc venu te chercher, remarquai-je.

— Le vendredi après ta rencontre avec ce chinpira au combini. Je l’ai recroisé, d’ailleurs. Il te guettait. Tu ne travaillais plus au restaurant, et j’étais déçu : j’avais besoin de me défouler. C’est tombé sur lui.

— Tu l’as menacé ?

Hide afficha un sourire mauvais.

— Je lui ai explosé la gueule.

Je me recroquevillai dans le creux de son bras. Quand il était comme ça, excité par la baston, Hide faisait vraiment peur... mais cette aura prédatrice et dangereuse qu’il dégageait était émoustillante.

— Au moins, ça lui a servi de leçon, murmurai-je. Je ne l’ai plus jamais revu.

— Il a quitté le quartier. Je lui ai dit que s’il emmerdait encore les femmes sur mon territoire, moi, Ôkami Hidekazu, kumichô premier du nom de la branche Toha du Yamaguchi-gumi, je le tuerais.

— Il a dû être terrifié, fis-je en réfrénant un sourire mi-amusé, mi-horrifié. Pris à parti par le mâle alpha du coin, venu défendre ses femelles... nul doute que ce voyou a compris sa douleur !

Je sentis la main d’Hide se resserrer sur mon épaule.

— Mhm ? Le mâle alpha ?

— Le chef de la meute de loups, lui expliquai-je.

J’avais souvent du mal à me faire comprendre lorsque j’utilisais le vocable d’origine anglaise en japonais. Le contexte, la prononciation de ces mots... tout jouait.

La sirène d’une voiture de flics — ou d’une ambulance — résonna dans la nuit, au loin. Pelotonnée contre Hide, j’étais bien.

— Tu sais... finit-il par dire. Je regrette de t’avoir impliquée dans cette affaire avec le Si Hai Bang. C’était une erreur de ma part, une tactique indigne. Les katagi doivent rester à l’extérieur.

J’étais contente qu’il le reconnaisse. À vrai dire, je me sentis soulagée d’un grand poids.

— J’imagine que je n’étais plus vraiment une katagi, en devenant hôtesse chez Noa. Les filles qui vivent du « commerce de l’eau » ne sont plus d’honnêtes citoyennes, non ?

— Tu étais nouvelle. Je le savais. Mais j’avais besoin d’un prétexte pour te revoir, alors quand Noa m’a suggéré cette idée, j’ai sauté sur l’occasion.

Je fronçai les sourcils dans le noir. Noa. C’était donc elle qui avait fomenté ce plan.

— Tu aurais pu me demander directement.

— Tu m’avais déjà refusé une fois.

Il avait raison.

— J’avais peur, répondis-je en agrippant sa main. Mais quand tu me regardais dans ce restaurant... je ne dansais que pour toi, Hide.

Il baissa les yeux sur moi, presque timide. C’était la première fois que j’exprimais un quelconque intérêt envers lui. Jusqu’ici, je n’avais fait que fuir, le forçant à me poursuivre, à être celui qui demande, qui mène la danse.

— Lola...

Je le sentais prêt à dire quelque chose. Mais les mots moururent dans sa gorge, et dans la mienne. Alors, je vins chercher ses lèvres, pour dire avec le corps ce que je n’avais pas pu dire par la parole.

Hide répondit à mon baiser avec passion. Ce n’était que la deuxième fois que nous nous embrassions... Dans une relation tarifiée, le baiser n’est pas une option. Lui dire qu’il me manquait, que j’avais besoin de lui, et surtout l’embrasser, c’était faire basculer notre relation dans une nouvelle dimension.

Il me saisit sous les aisselles pour me remonter sur lui. Ses mains étaient partout sur moi. Ses longs doigts parcouraient mon corps, s’attardant sur mes côtes, mes hanches. Finalement, ils glissèrent sous l’élastique de ma culotte.

— J’ai envie de toi, souffla-t-il dans mon cou.

— Je croyais que tu étais fatigué ?

— Tu m’as réveillé.

Je répondis par un petit rire. J’étais évidemment ravie.

— J’ai très envie moi aussi, Hide, murmurai-je en mordillant son oreille.

J’osai un coup de langue le long de sa mâchoire, laissant les poils de sa barbe de deux jours me picoter. Sa peau était salée, musquée.

Ses mains pétrirent mes fesses, avant de descendre plus bas. Il explora mes replis intimes avec beaucoup plus de délicatesse que la dernière fois. Mais il gardait ce côté assertif qui me plaisait tant. Et lorsque la rosée de mon désir inonda ses doigts, il les remplaça par sa grosse queue bien raide, prête à forcer l’entrée de ma fente mouillée.

— Vas-y, l’encourageai-je en soulevant les hanches.

Puis j’accompagnai son mouvement, accueillant le pal en moi.

Hide grogna. Il saisit ma taille, alors que je me lançais dans de langoureux mouvements de bassin, les mains calées sur ses pectoraux.

— Qu’est-ce que t’es sexy, lui murmurai-je à mi-voix.

Il me jeta un regard un peu étonné, à nouveau. Aussi incroyable que cela puisse paraître, je devais être la première à lui dire ça. Même si les Japonaises étaient loin d’être étrangères au concept des hommes-objets, et capables de beaucoup de liberté dans leurs conversations sur ce sujet, jamais elles ne laissaient voir le côté assertif de la sexualité féminine à leurs hommes. Dire à un mâle digne de ce nom que son corps ou ses gémissements étaient érotiques, cela ne se faisait pas. D’ailleurs, c’était probablement le cas dans toute relation hétéro, même en dehors du Japon.

Heureusement, il en fallait plus pour démotiver Hide. J’avais beau le chevaucher avec autorité, il trouva tout de même de quoi s’occuper. Avec mes seins, qu’il caressait sous mon t-shirt. Ce dernier commençant à le gêner, il me l’arracha carrément et resta ainsi, les yeux légèrement brumeux et les mains sur ma poitrine, à profiter de la vue pendant que j’ondulais sur lui.

J’avais toujours eu horreur qu’on me tripote les seins. Cependant, avec lui, c’était agréable, désirable, même. Lorsqu’il se redressa pour happer mon mamelon dressé dans sa bouche, je me laissai faire avec un petit cri.

— Doucement... protestai-je craintivement.

Mais il se montra doux comme un chaton. Et de nouveau, il me fit basculer sur le dos, au bout du lit. Il me pénétra comme ça pendant quelques minutes, très lentement, puis se retira et entreprit de m’embrasser le ventre... avant de descendre plus bas, tout en me maintenant les cuisses écartées.

— Ça non plus, j’ai jamais fait, glapis-je, un peu embarrassée.

Hide ignora ma protestation pudique. Il avait compris que j’en avais envie. Je croisai mes jambes sur son dos et m’abandonnai à ses caresses.

Le contact de sa barbe de trois jours sur ma peau délicate avait quelque chose de terriblement excitant. Mais le vrai plaisir arriva avec sa langue, et sa bouche. Je mis une main devant la mienne, dans l’idée d’étouffer mes cris. L’autre attrapa ses cheveux. C’était trop bon.

C’est pas les filles du soapland qui lui ont appris ça, pensai-je tout de même.


*


Quelques orgasmes plus tard, je reposais à nouveau dans ses bras. Il était plus de trois heures du matin. Comme à chaque fois, nous avions fait l’amour toute la nuit.

— Désolée, m’excusai-je. Tu vas être épuisé demain...

— Ne t’excuse pas. Si je suis là, c’est que j’en avais envie.

— De baiser ?

— De te voir, corrigea Hide.

Je me blottis plus près encore contre lui. Il attrapa son paquet de Hope sur la table de nuit, s’en alluma une. Je tirai une taffe sur sa clope, alors que j’avais arrêté de fumer quelques années auparavant. Par la fenêtre ouverte, une bise légère vint apporter une fraîcheur bienvenue à nos corps trempés de sueur. J’entendis alors le claquement sec d’une main sur la peau mouillée.

— Taku ! jura Hide.

— Les moustiques ?

Il acquiesça par un grognement.

— C’est bizarre qu’ils te piquent toi... normalement, ils prennent le plus jeune !

— Ça dépend du groupe sanguin, fit Hide très sérieusement. T’es quoi ?

La question m’amusa. Je savais qu’au Japon, les groupes sanguins étaient pris très au sérieux.

— Je suis A. Et toi ?

— O. C’est peut-être pour ça qu’il m’a piqué. Les O sont rares, et la majorité de la population japonaise est A, m’expliqua-t-il.

— J’irai acheter de l’encens à moustiques demain, me résolus-je.

Hide tira sur sa clope en silence.

— Pas la peine. J’en ai plein à la maison.

— Tu vas en ramener ?

— Ou tu pourrais venir chez moi, lâcha-t-il en soufflant sa fumée, sans me regarder.

J’en restai interdite.

— Tu veux que je vienne à Karuizawa avec toi ? demandai-je en tentant d’attraper son regard.

Gros silence. Visiblement, j’avais mis les pieds dans le plat. Qu’est-ce que Hide essayait de me dire ?

— Je préfèrerais que tu viennes habiter là-bas pendant quelque temps, finit-il par avouer. Au moins le temps qu’on mette la main sur Li Intyin.

— Li Intyin ?

— C’est le nom de ce tueur.

Son regard fou revint comme un flash devant mes yeux. Le « tigre » avait désormais un nom. Li Intyin.

— Ce sera plus facile pour te protéger, ajouta Hide, se méprenant sur mon silence.

— Pour me protéger ? C’est tout ?

— Et pour autre chose, admit-il en me reprenant dans ses bras.

Il écrasa sa clope tandis que je cherchais sa bouche. Notre baiser dégénéra évidemment en une nouvelle étreinte fiévreuse, et bientôt, nous étions prêts à repartir. Cependant, beaucoup plus tard, juste avant que l’aube ne dissipe la noirceur de la nuit, je me surpris à repenser à ce tueur chinois. Li Intyin. Sorti du néant, ce nom flottait dans la pièce comme une invocation. Je me pelotonnai contre le grand corps chaud d’Hide, qui me serra par réflexe dans son sommeil. Sans trop savoir pourquoi, j’avais atrocement froid.

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