Li Intyin

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Entre les bagages, les bouchons, et les restrictions de vitesse sur la route, il était déjà tard dans l’après-midi quand nous arrivâmes dans la banlieue de Machida. Comment allait Sao ? Est-ce qu’elle tenait le coup ? Avait-elle retrouvé Kouma ? Depuis son dernier coup de fil, en tentant de la rappeler, je tombais direct sur répondeur. Pourquoi ? Je me faisais un sang d’encre. Et Masa qui restait nonchalant au volant...

— On ne peut pas aller plus vite ? le pressai-je alors qu’il s’engouffrait sur la voie express. On roule comme des escargots !

— Officiellement, depuis la nouvelle loi anti-gang de 2010, ni Kazu-san ni moi n’avons le droit de posséder de véhicule. Ce n’est pas le moment de se faire remarquer par la police.

Je pestai, impuissante.

— Je croyais que les yakuzas avaient tous les droits ?

— Plus depuis la révision de la loi anti-gang. On est devenus des parias coupés de la société, répondit Masa de son ton tranquille habituel.

Je me précipitai hors de la voiture dès qu’elle s’arrêta devant le portail de Sao. Masa me rattrapa en jurant, posant une main autoritaire sur mon épaule.

— Attends !

Mais je m’étais déjà précipitée vers la porte. Elle s’ouvrit avant même que je ne pose le doigt sur la sonnette, dévoilant la silhouette nerveuse d’un jeune chinpira décoloré en jogging velours.

Li Intyin.

Masa réagit immédiatement, sortant un flingue de sa ceinture. Mais c’était trop tard. Vive comme un serpent, la main du tueur chinois se déplia sur mon avant-bras, m’attirant à l’intérieur. La porte claqua derrière nous.

— Dis à ton gorille de jeter son arme vers moi, murmura-t-il de son étrange voix douce, me maintenant collée contre lui. Ou je te coupe l’oreille.

Je sentis l’éclat froid d’une lame contre ma joue. Il ne rigolait pas.

— Masa... glapis-je. Il me tient !

Du bout de sa tennis Feiyue, Li Intyin entrouvrit la porte. Masa était derrière, une colère froide affichée sur le visage, son arme braquée sur nous.

— Je suis désolée, murmurai-je.

— Jette ton arme, répéta Li.

Masa grogna, se mordit la lèvre de dépit. Puis il s’exécuta. De nouveau, Li écarta l’arme d’un mouvement souple du pied.

— Relâche-la, enfoiré, menaça-t-il. Tu sais ce qui va se passer, sinon !

Li Intyin, qui me tenait toujours étroitement serrée contre lui, jeta un œil dehors.

— C’est ta voiture ?

— Celle du boss, répondit Masa avec réticence.

— Ôkami ? Parfait. Je la lui emprunte, avec sa nana.

Masa serra les poings.

— Qu’est-ce que tu vas faire ?

— Donne ton téléphone. Je donnerai mes instructions au loup directement.

— C’est le Si Hai Bang qui est derrière tout ça ? grinça Masa. Je croyais qu’on avait trouvé un accord !

Un lent sourire apparut sur les lèvres du type. De près, avec ses yeux noirs brillants et son rictus habité, il avait l’air encore plus psychopathe.

— Aujourd’hui, je ne représente pas le Si Hai Bang. J’agis de ma propre volonté.

Baka tare ! s’écria Masa en se débarrassant de son flegme habituel. Tu vas le regretter ! Ton boss ne le pardonnera pas. Le mien non plus, d’ailleurs !

Ignorant la mise en garde, Li Intyin resserra sa prise sur moi.

Donne ton téléphone, répéta-t-il, la voix métallique. Ou je fais une petite rayure sur la love-doll de ton patron !

— Connard ! sifflai-je en français à travers mes dents, outrée.

Mais j’étais terrifiée, au point de ne presque plus sentir mes jambes.

Masa obtempéra. Il tendit son téléphone à Li Intyin. C’est à ce moment-là que j’entendis la petite voix de Kouma retentir derrière moi :

— Ro-chan !

Kouma ! Il était sain et sauf, Dieu merci. Li, contrarié, jeta un œil derrière lui, permettant à Masa de plonger en avant. Li me relâcha pour l’empêcher de récupérer l’arme à feu, juste assez pour me permettre de lui mettre une bourrade et bondir en arrière. Je pris Kouma au vol et filai dans le couloir, m’enfermant à double-tour dans la salle de bain.

— Kouma, où est ta mère ? sifflai-je en m’agenouillant devant lui.

Insultes, brisures, coups... Derrière la porte nous parvenaient les bruits inquiétants d’une lutte à mort.

— En haut, murmura le petit garçon terrifié.

— Est-ce qu’elle va bien ? Ce taré ne lui a rien fait ?

— Il l’a attachée sur une chaise, répondit-il, les larmes lui montant aux yeux. Il a dit que... si elle ne t’appelait pas... il me couperait les oreilles !

Je le pris dans mes bras.

— Tout va s’arranger, Kouma, je te le promets.

Je fouillai dans ma poche, dans l’idée d’appeler les secours. Mais mon portable n’y était pas. Il devait être dans mon sac, tombé au moment où le tueur m’avait attrapé.

Je me redressai et regardai autour de moi. Pas de téléphone en vue. Il y avait bien une petite fenêtre scellée, vraiment minuscule... Je saisis une serviette, entourai mon poing avec et la brisai, nettoyant les morceaux. Même ainsi, elle était trop petite pour moi.

— Tu crois que tu peux passer ? demandai-je à Kouma.

Il hocha bravement la tête.

— File chez la voisine... non, au kôban du coin de la rue, rectifiai-je. Dis au flic qu’il y a un méchant chez toi, et que ta mère est attachée en haut. Dis-lui bien que l’agresseur est armé !

— D’accord, acquiesça-t-il. Mais maman...

— Je m’occupe d’elle, lui assurai-je.

Je l’aidai à monter sur la machine à laver, puis le portai à bout de bras pour qu’il puisse atteindre la petite fenêtre. Une détonation sourde creva mes tympans, laissant place à un silence oppressant. Je m’assurai que Kouma était bien passé... oui, il était dehors. Lorsqu’il se retourna dans l’interstice séparant sa maison de la cour arrière de sa voisine, je lui fis un signe de la main :

File ! lui intimai-je silencieusement.

Dans la maison, il n’y avait plus un bruit. À l’exception, peut-être, de semelles souples sur du verre brisé. En les entendant se rapprocher, je me collai derrière la porte, suspendant mon souffle.

Cette façon de marcher, à la fois prudente et dansante... ce n’était pas Masa.

Soudain, le claquement brutal d’une porte qu’on ouvre à la volée. La cuisine.

Je jetai un œil vers la fenêtre. Et si j’essayai de passer... Les pas avaient repris. Pourquoi marchait-il si lentement ? C’était comme un chat qui jouait avec une souris. Cette image terrifiante me tira de ma stupeur, et je m’empressai de grimper sur la machine à laver. En mettant ma tête de côté, je pouvais la passer... mais comment franchir cet interstice minuscule sans rien pour m’arquebouter ? Mes mains griffèrent le mur extérieur, cherchant désespérant une prise. C’était pas la porte des toilettes que je venais d’entendre claquer ? Nouvel effort vain. Je transpirais à grosses gouttes. Un coup sourd faillit me faire dégringoler en arrière. On y était... le tueur était là, et il s’acharnait contre la porte. Deuxième coup. Bandant tous les muscles, je passai péniblement mes épaules. J’allais tomber la tête la première, mais c’était sans doute mieux qu’être rattrapée par ce psychopathe... est-ce qu’il avait tué Masa ? Troisième coup. Mes pieds glissaient contre le mur, tentant de me hisser. Est-ce que ma poitrine, mes hanches allaient passer ?

Puis la porte céda.

Je me sentis brusquement tirée par la cheville.

— Non ! hurlai-je. Au secours ! À l’aide !

D’une traction, le tueur me fit dégringoler en arrière. Dès la réception, il m’asséna une claque brutale, qui me laissa sonnée.

Ta gueule, souffla-t-il en posant sa main sur ma bouche, les yeux agrandis.

Ses doigts froids avaient le goût du sang. Il me plaqua contre lui, me tira par les cheveux pour dégager ma gorge. Il avait le téléphone de Masa. Avec, il fit un selfie rapide, qui me montrait maintenue contre lui, la lame sous ma gorge rougie. Puis il l’envoya. Le destinataire était Hide.

— Maintenant, tu me suis sans faire d’histoires !

Il me fit retraverser la maison, collée contre lui. L’entrée était littéralement détruite. Je vis un impact de balle dans le mur en placo, au pied de l’escalier. Et Masa, qui gisait au sol, inconscient ... ou pire.

— Est-ce qu’il est...

Nouvelle claque.

— Ne pose pas de questions et marche.

Dehors, le jour finissait. Est-ce que Kouma avait eu le temps d’aller prévenir les flics ? J’en doutais.

Li Intyin me traina jusqu’au coffre, qu’il ouvrit sans se préoccuper des regards éventuels du voisinage.

— Monte, ordonna-t-il.

Mue par une terreur dévastatrice, je me débattis avec toute la force du désespoir.

— À l’aide ! Aidez-moi !

Li jura, puis il me poussa dans le coffre. J’avais beau résister de toutes mes forces, ce fut inutile.

— Ça ne sert à rien, ricana-t-il. Personne ne viendra à ton secours. Ces Japonais sont lâches : tout ce qu’ils savent faire, c’est regarder derrière leurs rideaux bien fermés.

Et il referma le coffre sur mes cris hystériques.

J’étais foutue.

J’allais finir comme Miyabi.

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