1. Toute première pride - Sam
Est-ce qu’on va un jour en finir
Avec la haine et les injures
Est-ce que quelqu’un viendra leur dire
Qu’on s’aime et que c’est pas impur
Pour pas que j’pense à en finir
Vos coups m’ont donné de l’allure
Pour le meilleur et pour le pire
J’prendrai d’sa main un jour c’est sûr
Hoshi - Amour censure
Samedi 26 juin 2021
Je suis dans un état d’excitation incroyable. Le jour J est arrivé ! Après des semaines de préparation, nous allons enfin défiler dans les rues de Paris. Entourée des autres membres de l’association et de tous ces drapeaux arc-en-ciel, je me sens non seulement fière, mais également belle et forte.
Je jette un petit regard en direction d’Axel, lui aussi, a le sourire aux lèvres. Ceci dit, ça ne le change pas beaucoup, il sourit tout le temps. On s’est rencontrés à la fac, on suit le même cursus LEA anglais-espagnole. Je l’ai repéré dès le premier jour de cours. Il portait un T-shirt sur lequel était écrit : « Sorry girls, I’m gay ». Il m’a fallu plusieurs jours avant d’oser l’aborder. Puis enfin, j’ai réussi à bafouiller un bonjour et lui demander s’il connaissait une association étudiante LGBTQIA+. Il s’est avéré que j’en savais plus que lui sur le sujet. Oui, je l’avoue, lorsque j’ai choisi la fac dans laquelle faire mes études, la présence d’association queer a été un critère. Mais une fois sur place, j’ai eu la trouille d’y aller seule. Axel m’a accompagnée à la réunion de rentrée de l’association Arc-en-ciel. Nous nous sommes tous les deux inscrits et c’est comme ça que nous sommes devenus amis.
Axel ne prend pas vraiment ça au sérieux. Je crois qu’il s’est inscrit pour me faire plaisir. Et pour lui, l’asso c’est un divertissement, voire un lieu de drague. Son T-shirt du jour porte l’inscription : « Je peux pas j’ai Gay Pride ». Contrairement à moi, il est totalement out, et détendu sur le sujet. Certains diront qu’il en fait même un peu trop, moi je l’adore. Il est toujours tellement positif, sa bonne humeur et ses conneries me boostent au quotidien.
Pour moi, au contraire, cette inscription était très importante, le premier pas de ma nouvelle vie. J’ai compris que j’aimais les filles lorsque j’étais au collège, il m’a fallu du temps pour l’accepter. Dès que je voyais une lesbienne dans une série télé, j’essayais de voir si je lui ressemblais. Puis, j’ai eu mes premiers émois en lisant des romances saphiques. Enfin, je me suis intéressée sérieusement au sujet, j’ai lu des articles, des témoignages, mais j’avais besoin de rencontrer des gens qui vivent la même chose que moi. De pouvoir parler sans m’inquiéter de ce qu’on allait en penser. En fréquentant l’association, j’y ai rencontré tant de personnes et de parcours différents, des modèles inspirants et des amis.
Je ne suis là que depuis un an, je me sens comme un petit papillon coloré tout juste sorti de sa chrysalide. J’ai encore beaucoup de questionnements personnels, mais j’avance.
Aujourd’hui, pour la marche, Axel m’a demandé de le maquiller et je suis contente du résultat. Ses yeux sont entourés des couleurs du drapeau des fiertés, et ses joues parsemées de paillettes colorées qui se confondent avec ses taches de rousseur. Il porte ses lunettes de soleil remontées sur son front, comme un serre-tête. Il est adorable, du moins jusqu’à ce qu’il ouvre la bouche.
— Alors, Sam, enfin prête pour ton dépucelage ?
Il ricane en voyant mon air choqué.
— Ben quoi, enchaine-t-il, c’est bien ta première pride, non ?
— Oui, ma toute première pride, dis-je émue.
C’est une des raisons pour lesquelles je suis venue à Paris. Si je me suis tant éloignée de ma famille, ce n’est pas juste pour ce jour tant attendu, mais surtout pour ne plus avoir à cacher qui je suis.
Lesbienne.
Ce mot, il m’a fallu du temps, beaucoup de temps pour l’énoncer. Longtemps, je l’ai trouvé moche. Pourtant, c’est ce que je suis. Aujourd’hui, je ne me le suis pas encore totalement approprié, mais j’arrive à le prononcer sans en avoir honte.
Le cortège ne part que dans une demi-heure, mais il y a déjà du monde partout. Certains dansent au rythme de la musique. D’autres scandent déjà des slogans.
En regardant la foule s’animer autour de moi, je me sens à la fois joyeuse et intimidée.
Je suis à ma place.
Je suis fière d’être ici, fière du chemin parcouru.
— Ça va bien se passer, me dit Axel en me prenant chaleureusement dans ses bras. C’est jour de fête !
— Arrête ! protestè-je. Tu vas me mettre des paillettes partout !
— Je sais que tu adores mes câlins, ricane-t-il. Tu sais, ce n’est pas grave ni sale, je le dirai à personne !
— T’es vraiment idiot.
À quelques mètres de nous, je remarque une équipe télé. La journaliste, micro à la main, est en train de parler à une énorme caméra. Axel me répond, mais je ne comprends. Tout se met à tourner autour de moi lorsque je réalise.
On va me voir !
— Merde ! Mais quelle conne !
Alex se rapproche de moi, le visage grave.
— Hey Samsam, qu’est-ce qui t’arrive ?
Je serre les dents.
— Tu vas trouver ça con et te moquer de moi…
Un sourire malicieux se dessine sur son visage.
— Ça ne sera pas la première fois, me taquine-t-il.
Caché derrière lui, je lui indique l’équipe télé. Je me sens encore plus ridicule en voyant qu’ils ne sont pas les seuls à filmer l’évènement, plein de participants ont leur téléphone en main.
Comment j’ai pu ne pas y penser ?
— Je viens seulement de réaliser que je risque d’être filmée ou photographiée, expliquè-je, honteuse.
Il hausse un sourcil.
— Et t’as peur que ta famille tombe dessus ?
Je hoche la tête et me blottis contre lui. Il passe une main réconfortante dans mon dos. Puis, il me tend sa précieuse paire de lunettes de soleil.
— Prends déjà ça. On va également te trouver une casquette. Tu seras incognito, comme les supers stars !
— Merci, soufflè-je.
Je me sens idiote, mais surtout terriblement frustrée. Ça ne se passe pas comme je l’avais imaginé.
— Hey, faut pas que ça te gâche la journée ! Y’a des milliers de personnes, y’a peu de chance qu’on te voit et qu’on te reconnaisse.
— Je suis dégoutée, j’ai fait tout mon maquillage pour rien !
Le maquillage n’est qu’un détail, ce n’est pas ce qui me fait mal.
— Non, tu l’as fait pour toi et tu es magnifique ! Et puis, on voit toujours tes lèvres bleues et ta robe flashy !
Il me prend par la main et m’entraine à l’opposé des caméras. Il aborde un mec en tenue d’angelot sur un char et revient avec une jolie casquette violette.
— Et voilà ma star ! C’est ta journée et personne ne va te la voler !
— Merci.
Les amis d’Axel nous rejoignent et il fait les présentations. Tout d’abord, il y a Tristan, son soi-disant ex, dont j’ai beaucoup entendu parler ! Ensuite, Hicham, qui a l’air très cool, et enfin Ambre. Mon regard s’attarde sur les yeux de cette dernière. Ils sont ombrés de noir et or, et entourés d’étoiles argentées. C’est magnifique, sans parler de ses lèvres violettes et pulpeuses.
En discutant avec elle, le courant passe immédiatement. En plus d’être incroyablement sexy, elle est drôle et intelligente. Tous mes espoirs s’envolent lorsque je la vois embrasser Hicham à pleine bouche. Mais la déception est de courte durée, je dois admettre qu’ils forment un beau couple et ils ont l’air très amoureux. J’aimerais tant être à leur place. Aimer et être aimée. Cette année j’ai eu quelques expériences plus ou moins sympas, mais personne a vraiment fait battre mon cœur.
Ça arrivera. Chaque chose en son temps. Je ne dois pas m’inquiéter.
En tous cas, c’est ce que je me répète régulièrement, devant mon miroir, comme une formule magique. Les rencontres, mêmes éphémères, les baisers et le sexe étaient libérateurs. Je ne regrette rien. Bon sauf avec Julie, qui m’a ghostée dès le lendemain. Je vais suivre le conseil d’Axel et me méfier des hétéros-curieux.
Nous défilons, entourés de couleurs et de sourires. Les chars sont tous plus incroyables les uns que les autres. La musique donne le rythme, les passants nous applaudissent, le soleil nous accompagne, tout est parfait !
Au-delà des slogans politiques et de leur importance vitale ; Axel avait raison, c’est aussi une grosse fête. Il y a des ballons, des confettis, des paillettes et surtout des gens heureux.
Je suis particulièrement émue lorsque j’aperçois une fille qui porte un hijab arc-en-ciel. Elle est resplendissante. Elle n’est pas seule, ils sont un petit groupe de jeunes maghrébins. Libres et fiers.
Je m’avance vers eux, attirée comme un aimant. J’ai envie de les approcher, de leur parler, même si je n’ai aucune idée de ce que je vais leur dire. Peut-être, juste les saluer et les remercier d’être là et d’être eux-mêmes.
Mes pas s’arrêtent lorsque je reconnais Farid. Je rebrousse immédiatement chemin, en priant pour qu’il ne m’ait pas vue. Je cherche Axel dans la foule, mais ne le trouve pas. Je croise le regard d’Ambre, elle comprend que quelque chose cloche et se précipite vers moi.
— Ça va ? me demande-t-elle.
Je n’arrive plus à bouger, tétanisée. Est-ce qu’il m’a vue ? Est-ce que c’était vraiment lui ? Je n’ose pas me retourner pour vérifier.
Ambre m’attrape doucement le bras.
— Sam ? Tu veux qu’on aille à l’écart ?
Je fais non de la tête.
— J’ai vu quelqu’un que je connais… un ami de mon frère.
— Il est problématique ? s’inquiète-t-elle.
Elle semble se grandir et se rapproche de moi en mode reine guerrière protectrice. Elle est incroyable. Je me laisse aller contre elle. Hicham nous rejoint.
— Il est où le gars ? gronde-t-il.
Lui, qui semblait si doux, a maintenant une étrange lueur dans les yeux.
— Non, c’est rien.
Ils m’entourent et leur présence est vraiment rassurante.
— Désolée de vous avoir inquiétés, expliquè-je. Je me suis tapé un coup de stress toute seule. C’est juste que j’ai peur qu’on me voie ici. Il risquerait d’en parler à mon frère… Ma famille n’est pas au courant.
Hicham hoche la tête pensif, et Ambre passe sa main dans mon dos.
— Est-ce que tu es en danger ? demande-t-elle.
— Non, ma famille n’est pas… comme ça. C’est juste qu’homosexualité et Islam, c’est…
Je fais des gestes avec les mains, sans même savoir ce que je cherche à mimer.
— C’est compliqué, ajoute Hicham.
— Oui ! Enfin, même pas. C’est le sexe en général qui est tabou. Pour vous donner une idée, quand on regarde un film en famille et que le couple s’embrasse sur l’écran, on zappe. Et je parle de couple hétéro.
Ambre ouvre grand les yeux.
— Ah oui, à ce point-là ?
J’acquiesce tristement.
— Chez moi, reprend-elle, c’est carrément l’inverse ! Faut que j’essaye de ne pas tomber sur mon père qui embrasse son mec ! Et l’appartement n’est pas grand !
J’éclate de rire.
— Tu veux qu’on aille dans un café ? propose-t-elle. Ou qu’on te raccompagne chez toi ?
Je grimace.
— Je ne pense pas qu’il m’ait vue, mais si je le croise de nouveau…
— Y a beaucoup de monde, dit Hicham. Et avec tes grosses lunettes et la casquette, peu de chance qu’on te reconnaisse.
— Oui, c’est vrai. Le camouflage de star, c’est une idée d’Axel.
— Tu ne devrais pas trop te prendre la tête. Le pote de ton frère, s’il est à la marche des fiertés, c’est que c’est un allié, comme nous.
— Je sais pas, depuis tout à l’heure, je me pose la question. Ça ne colle pas ! J’ai la sensation d’être entre deux mondes qui se percutent. Des mondes qui n’ont rien à voir et que je voulais garder bien séparés.
— Ça doit pas être facile à vivre.
Je hausse les épaules.
— Ma famille est loin. Mais dans quelques jours, je retourne chez moi pour l’été et je crois que j’angoisse un peu.
— Tu es obligée d’y aller ? Si jamais tu as besoin d’un endroit où dormir…
— Merci Ambre, c’est adorable, mais je dois rentrer. Mes parents ne comprendraient pas… et puis c’est ma famille. Je ne les ai pas beaucoup vus cette année. J’ai aussi envie de revoir mes amis. Faut juste que je prenne sur moi.
— Tes amis non plus ne savent pas ? s’étonne-t-elle.
— Non, mis à part David, qui m’a servi de faux petit ami au lycée, je n’en ai parlé à personne avant de monter à Paris.
À bien y réfléchir, je ne suis pas sure d’avoir encore des amis là-bas, mais c’est entièrement de ma faute. Trop occupée à vivre ma nouvelle vie, je n’ai pas donné de nouvelles.
Ambre m’ouvre ses bras.
— Si jamais tu as envie d’un câlin. Ça ne résout pas tout, mais ça fait du bien.
Sans hésiter, je me blottis contre elle. Son contact est vraiment réconfortant. Dommage, je ne pourrais pas l’emmener en vacances avec moi.
— Ça va beaucoup mieux, merci pour le câlin magique !
J’arrive à profiter du reste de la marche sans trop y penser. Et lorsque nous arrivons Place de la République, je regrette que cela soit déjà terminé.
Cette journée a été riche en émotions. Je regarde les visages souriants autour de moi. Ça me donne de la force tout autant que ça me serre le cœur.
Parmi les copains de l’asso, certains ont eu des parcours très difficiles. Des gens qui se battent pour exister. Il y a ce couple d’étudiants russes, ils ont fui leur pays. Aujourd’hui, ils peuvent s’embrasser dans la rue. J’admire leur courage. Moi, je n’en ai aucun, je ne fais que me cacher et mentir.

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