2. Le diable et son train - Billie

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Let's raise a glass

Or two

To all the things I've lost on you

Tell me are they lost on you?

Just that you could cut me loose

Levons un verre

Ou deux

Pour toutes les choses que j’ai perdues avec toi

Dis-moi, sont-elles perdues pour toi ?

Juste pour que tu puisses me libérer

LP - Lost on You

Mercredi 7 juillet 2021

En mode automatique, j’avance dans la queue pour accéder au train. Malgré l’heure matinale, la plupart des gens ont le sourire et certains ont littéralement les yeux qui brillent. Les quais sont noir de monde, je slalome entre les groupes, trainant une valise dans chaque main.

Il y a beaucoup d’enfants, je peux sentir l’excitation des vacances. Le plaisir de quitter la grisaille parisienne pour le soleil. Les plus jeunes s’impatientent, en s’agitant, ce qui agace les voyageurs les plus aigris. Moi, j’envie ces enfants souriants, j’aimerais ressentir cette même euphorie. Connaitre de nouveau l’insouciance.

Tout n’est pas gris, je suis contente de rentrer, de retrouver mes parents et mes amis, mais je me sens vide et terriblement fatiguée.

J’arrive enfin devant le bon numéro de wagon. En attendant mon tour, je regarde mon téléphone. Je sors de ma semi-léthargie, lorsque je découvre ce message.

Charlotte : Tu me manques

Charlotte : j’ai envie de te voir

Mes doigts tapotent frénétiquement une réponse.

Billie : moi aussi, mais il faut vraiment qu’on parle

Je me décale pour laisser passer les autres passagers. Il est encore temps. Rien ne m’oblige à monter dans ce train. Je pourrais la rejoindre. Mon cœur s’emballe lorsque je m’imagine retrouver la douceur de ses lèvres.

Je fixe l’écran dans l’attente d’une réponse qui ne vient pas, pourtant elle a vu mon message.

Billie : Je sais que tu ne veux pas te prendre la tête, mais j’ai vraiment besoin qu’on discute

Billie : je ne sais pas où on en est

Billie : je ne sais pas où j’en suis

« Le train intercités 5951 à destination de Clermont-Ferrand, départ 7:02. Dernier appel. »

Des points apparaissent enfin, elle est en train de répondre et cela dure une éternité. Les autres passagers sont tous montés dans le train, il ne reste plus que cinq minutes.

Charlotte : ok

Ok ! ok ? C’est tout ? Mais ok quoi ?

Je fixe le téléphone avec intensité, espérant une suite.

Elle écrit de nouveau ! Mon cœur redémarre.

Charlotte : on se capte quand je rentre

Quand elle rentre ? J’étais prête à retraverser Paris, jusque chez elle, alors qu’elle n’est pas là !

Je me précipite à l’intérieur du wagon. Les portes se referment derrière moi. Par la fenêtre, je regarde la gare qui s’éloigne, partagée entre la tristesse de partir et la nécessité de fuir.

— Faut pas rester là, mademoiselle, me dit un agent de train.

Devant mon air perdu, il m’aide gentiment en trouvant une place pour mes valises. Le train est plein à craquer.

Je dérange tout le monde pour rejoindre ma place côté fenêtre. Je résiste à l’envie de lui répondre. Je mets mes écouteurs, cale mon gilet contre la vitre pour me faire un petit oreiller, puis les yeux fermés, je me laisse bercer par la musique et le mouvement du train.

Lorsque j’ouvre de nouveau les yeux, le paysage a bien changé. Le vert a remplacé le gris. Ça m’apaise, j’ai envie de me retrouver au bord du lac, au milieu des arbres. Mais là-bas, je serai loin d’elle.

Je relis notre conversation afin d’être certaine de ne pas avoir loupé quelque chose. Avec le peu de mots qu’elle a écrit, l’analyse est rapide. Encore une fois, je me suis fait avoir. Quinze jours qu’elle ne donne aucune nouvelle, et là, dix minutes avant le départ du train, le message qui fait mouche ? Ça ne peut pas être une coïncidence. Elle savait, j’en suis certaine. Mais dans quel but ? Est-ce qu’elle voulait que je reste à Paris ?

Et moi ? Est-ce que j’aurais encore cédé ?

Oui, bien sûr que oui, il s’agit de Charlotte.

Je m’attarde sur ses derniers mots en me demandant où elle est. Tout en sachant que je ne devrais pas, je me retrouve sur son compte Instagram. Sur la première photo, elle pose devant une cathédrale. Ce n’est pas le paysage qui me captive, mais bien elle, ses yeux de chat et son petit nez mignon. En lisant les infos, je découvre qu’elle est à Milan, une des capitales de la mode. Je rêve d’y aller depuis que je suis petite. Et, bien entendu, je lui en avais parlé. Lorsque je lui ai proposé qu’on y aille ensemble, ça ne l’intéressait pas, mais, vu ses commentaires, ça a changé. La photo suivante, postée il y a moins d’une heure, termine de m’achever. Elle est avec Mathias, un étudiant de ma promo. Le pire, c’est que c’est moi qui les ai présentés. Vu comme ils sont collés l’un à l’autre, ça ne laisse pas beaucoup de doutes sur la nature de leur relation.

Je meurs d’envie de lui demander pourquoi lui et pas moi. Mais je ne le fais pas. Je connais déjà sa réponse : « Tu comprends, c’est tellement plus simple ».

Non, justement, je ne comprends pas.

Comment peut-elle m’écrire que je lui manque, tout en étant dans les bras d’un autre ?

Lui est tout sourire. Je ne peux pas lui en vouloir, je sais à quel point elle est envoutante. J’aurai fait la même chose à sa place, ou probablement pire. Quand il s’agit de Charlotte, je n’ai plus de limites.

— Un petit biscuit ?

Je relève la tête et découvre la personne à côté de moi. Trop préoccupée, je ne lui avais accordé aucune attention. Une dame qui a l’âge d’être ma grand-mère, cheveux blancs coupés courts, des lunettes papillons rouges et des yeux bleus malicieux.

— Je les ai faits avec amour, ajoute-t-elle.

Elle me tend une boite remplie de petits gâteaux, une odeur sucrée chatouille mes narines.

— Merci, c’est très gentil, dis-je en en prenant un.

— Chagrin de cœur ? demande-t-elle.

— Euh…

— Pardon, je suis trop curieuse !

Je suis surtout étonnée par la pertinence de sa question. Habituellement, je suis plutôt forte pour cacher mes émotions. Pourtant, cette inconnue semble lire en moi.

— La distance vous fera du bien, conclut-elle.

Je l’observe tout en croquant dans le biscuit.

— Merci, c’est délicieux.

Elle acquiesce d’un air satisfait et pose la boite sur la tablette devant elle.

— Vous pouvez en avoir un autre si vous voulez !

Elle m’explique sa recette, dont le secret repose sur les pépites de chocolat. Mais attention, pas n’importe quelles pépites, des pépites de qualité au chocolat noir. Elle me parle ensuite de son fils à qui elle va rendre visite. Au départ, je lui réponds par politesse, mais très vite, je prends plaisir à discuter avec Alice. Elle est marrante et n’a pas sa langue dans sa poche. De mon côté, je lui montre des photos de mes créations qu’elle commente avec intérêt.

— Vous avez beaucoup de talent ! Cette robe est magnifique !

— Merci.

Elle s’abonne à mon compte Instagram et promet de me faire de la pub auprès de ses copines.

Nous arrivons à Clermont-Ferrand, je n’ai pas vu le temps passer. On se dit au revoir, puis je me dépêche de changer de quai pour prendre ma correspondance.

Ce train-là est moins chargé, j’arrive facilement à caser mes valises. La place à côté de moi est vide, j’ai une étrange sensation de solitude. J’ai discuté au moins deux heures avec Alice et je crois que j’aurais aimé continuer. Sa compagnie a rendu le voyage beaucoup plus agréable. J’aurais peut-être dû répondre à sa question et lui parler de Charlotte, lui demander conseil. On dit toujours que c’est plus facile de se confier à des inconnus. Mais à quoi bon ? Je sais déjà ce qu’elle en aurait pensé, et même si je ne la revois jamais, je ne veux pas donner cette image-là. Je préfère qu’elle se souvienne de moi comme celle qui fait de belles robes et non comme la pauvre fille qui court après une chimère.

Pour passer le temps, j’observe les autres voyageurs. Dans le carré, une famille avec deux jeunes enfants. Depuis que je suis arrivée, la mère s’occupe d’eux, alors que le père, les écouteurs sur les oreilles, regarde un film. Imperturbable, il mange son sandwich, qu’il n’a probablement pas préparé. Mon regard croise celui de la femme. Elle me sourit, un peu crispée.

— Désolée, ils font beaucoup de bruit.

— Non, non, y’a aucun problème ! Ne vous inquiétez pas.

J’aimerais lui apporter mon soutien, mais n’ai pas de boite à biscuits magiques comme Alice. Je n’ose plus la regarder de peur de la mettre mal à l’aise et elle n’a pas besoin de ça. C’est son mec qui devrait se poser des questions, pas elle. La seule fois où monsieur a levé le nez de son écran, c’était pour lui réclamer à boire. En fait, elle a trois enfants à charge.

C’est peut-être pas si mal d’être lesbienne. Enfin, sauf quand tu tombes amoureuse de filles qui trouvent ça trop compliqué.

De l’autre côté, un homme en costume cravate, a l’air particulièrement ému par le drama coréen qui se joue sur l’écran devant lui. C’est mignon. Je repère ensuite un couple avec les mains enlacées. Leur complicité me rend clairement jalouse.

Mon regard s’attarde sur une jeune femme brune à la peau mate, assise tout au fond du wagon. Elle doit avoir mon âge, ou peut-être moins. J’ai toujours été nulle à ce jeu-là. Elle porte un top bleu lumineux, une jupe bleue à fleurs blanches, des anneaux dorés aux oreilles, et la touche finale : un rouge à lèvres carmin sur des lèvres parfaites. Elle sourit tout en pianotant sur son téléphone.

Quelqu’un l’attend.

Je laisse échapper un long soupir. Moi aussi, je devrais profiter de mon été, sourire plutôt que de me morfondre, je vais retrouver le lac et les copains.

Décidée, j’attrape mon téléphone et ouvre la conversation de groupe intitulée : Les flamants roses.

Billie : coucou les crevettes

Kloé : tu t’es trompé de groupe ^_^

Kloé : c’est rose aussi ! mais la taille au dessus !

Billie : pardon les flamants

Kloé : y’avait longtemps !

Kloé : comment va la parisienne ?

Billie : ça va

Billie : dis, la baignade ouvre à quelle heure demain ?

Kloé : demain ? Attends, mais tu arrives quand ?

Billie : je suis dans le train

Kloé : génial !

Kloé : 10 h

Billie : j’ai hate♥

Je n’ai plus beaucoup de kilomètres à faire, mais je commence à en avoir marre. Le trajet est long, le train dessert toutes les gares.

De plus, je ne vois plus la jolie inconnue, est-ce qu’elle a déjà disparu ? Je me décale sur le siège à ma droite. Elle est toujours là ! De gros écouteurs sur les oreilles, elle chante silencieusement. Elle est vraiment mignonne. Les anneaux qu’elle porte aux oreilles dansent avec elle. Sa jolie bouche forme chaque syllabe, j’ai envie de m’approcher, de découvrir ce qu’elle est en train de chanter, mais je n’ose pas.

Ulysse : Billie, tu seras là demain ?

Kloé : ayé tu te réveilles ?

Ulysse : désolé, mais y’en a qui bossent ici !

Kloé : et y’a celles qui arrivent à faire deux choses à la fois:p

Billie : Et oui, je serai bien là

Ulysse : ok ! donc demain soir les filles, on sort !

Ils me font rire, ça va me faire du bien de les retrouver. Je connais Kloé depuis le collège, on faisait partie du groupe considéré comme bizarre. Pendant l’été, elle travaille à la plage de la base de loisirs en tant que maitre-nageuse sauveteuse. Ulysse, lui, travaille à la friterie, on l’a rencontré il y a deux ans, pendant l’été et on a très vite sympathisé.

Après plus de six heures de voyage, j’arrive à bon port, enfin, plutôt à la bonne gare. Je souris en voyant la chanteuse se préparer également à descendre. Elle a l’air nerveuse, elle va retrouver son prince charmant.

J’imagine alors leur histoire. Ils se sont rencontrés en ligne et après des mois de discussion, ils vont enfin se rencontrer IRL. Ils ne se sont jamais vus, mais ils se connaissent déjà si bien.

Sur le quai, j’aperçois un jeune homme, les joues roses, un bouquet de roses à la main. Je suis à la limite de sortir mon téléphone pour filmer le moment où elle va se jeter dans ses bras. Mais à ma grande surprise, elle poursuit son chemin. Encombrée par mes deux valises, j’accélère malgré tout le pas pour ne pas la perdre de vue. Heureusement, la gare de Mirevant est toute petite. Elle rejoint un type aux cheveux gris qui l’enlace tendrement. Je n’aurai pas mon spectacle romantique, mais j’apprécie malgré tout leur complicité. Ça doit être son grand-père. Je les regarde s’éloigner vers le parking. J’aurais dû lui parler, trouver un prétexte pour échanger nos numéros. La revoir, et peut-être même l’habiller. Je l’imagine déjà défiler avec aisance. Trop tard, j’ai loupé ma chance.

À mon tour, je cherche une tête connue dans la gare. Ce n’est pas un visage que je reconnais, mais un uniforme, celui du domaine de Somloup. Il est porté par un jeune homme brun qui se tient droit comme un piquet. L’air concentré, il fouille la foule du regard.

— Bonjour, dis-je en arrivant à sa hauteur.

— Mademoiselle Langlois ? demande-t-il avec espoir.

J’acquiesce. Il se précipite pour prendre mes valises. Mais j’en garde une des deux.

— Désolé, j’aurais dû prévoir une pancarte, je n’y ai pensé qu’une fois arrivée. Je suis nouveau, votre père m’a envoyé vous chercher.

— Appelle-moi Billie. Si ça te va, on peut se tutoyer, on doit avoir le même âge.

— Euh, d’accord. Comme vous voulez.

— Tu.

Il esquisse un petit sourire.

— Pardon ! Comme TU veux. Je m’appelle Miloslav, mais tu peux m’appeler Milo.

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