5. Surtout, garde la frite ! - Samira
버스를 따라 달려
가쁘게 올라 타
풀어진 머릴 다시 묶어
그의 시선이 향한 곳은
(난난나, 난난나, 난난난나, 난난나)
Courir après le bus
Monter à toute vitesse
Attacher ses cheveux défaits
Son regard se pose sur
(moi, moi, moi, moi)
f(X) - Step
Samedi 10 juillet 2021
Ali : bon courage pour ta première journée !
Sam : merci
Ali : tu termines à quelle heure ?
Ali : je passe te chercher
Sam : je peux prendre le bus, tu sais
Ali : non, tu vas être fatiguée, petite soeur
Ali : t’as pas l’habitude de bosser
Sam : gnia gnia gnia
Ali : Je suis si fier de toi !
Ali : Le petit poussin sort de son oeuf ! Enfin
Sam : Je te rappelle que je vis seule depuis un an, et que contrairement à toi, je ne compte pas sur maman pour mon linge et mes repas. Alors c’est qui le petit poussin ?
Ali : Ok, va mourir dans le bus !
Ali : et passe le bonjour à Zara de ma part
Sam : je pourrais lui raconter deux trois trucs sur mon cher grand frère
Ali : deconne pas…
Jamais je ne l’avouerais à Ali, mais je suis un peu stressée. L’entretien de jeudi s’est bien passé. J’étais crispée à l’idée de revoir Zara, mais elle est restée très professionnelle.
Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec elle, bien avant le service du midi, afin qu’elle m’explique tout le déroulement de la journée.
Comme je suis bien en avance, je fais un détour par la plage. Cela fait si longtemps.
Rien n’a changé. Je nous revois, Ali et moi, avec nos brassards jaunes, à faire les fous dans l’eau, sous l’œil amusé, mais vigilant de mon père.
Ce matin, tout est tellement calme, je m’avance et passe ma main dans le sable humide. Je me souviens de tous ces magnifiques châteaux que nous avons construits. Ma mère était tellement douée. Ces moments d’insouciance me manquent. Quand est-ce qu’on a arrêté de venir ? Surement lorsqu’on a estimé être trop grands. Quel dommage.
Je prends la plage en photo et l’envoi dans le groupe whats’app famille.
Samira : vous vous souvenez ?
Khadija : bien sur ! la plage de Somloup
Ali : d’ailleurs, on l’a jamais trouvé ce loup !
Samira : ^_^
Khadija : on a passé de bons moments sur cette plage
Samira : oui !
Mohamed : c’est toujours très joli
Khadija : Samira, bon courage pour ta première journée de travail
Samira : merci ! à ce soir !
Ali : surtout, garde la frite !
Samira : on dit garde la pêche !
Ali : pêche la frite ?
Samira : mais non, idiot ! Garde la pêche !
Khadija : je crois qu’on peut dire les deux
Ali : merci maman ♥
Je pourrais peut-être leur proposer qu’on vienne passer une après-midi ici, tous les quatre. Ça risque d’être un peu compliqué avec nos emplois du temps respectifs, mais l’idée me donne le sourire.
Mon regard est attiré par une silhouette gracieuse sur le ponton. Face à l’eau, une jeune femme fait des exercices. Tel un flamant rose en équilibre sur un pied, immobile. Puis, lentement, elle passe sur l’autre pied, le spectacle a quelque chose de captivant. Elle est grande, fine, la peau brune et une coupe afro. Ce n’est que lorsqu’elle se retourne que je la reconnais. Billie Langlois. Au lycée, elle avait les cheveux lisses. Elle est encore plus belle. Nos regards se croisent et mon cœur s’emballe. Gênée de l’avoir ainsi observée, je file vers la friterie.
Là aussi le lieu est désert, la friterie est encore fermée. Un grincement me fait sursauter, le tourniquet des jeux d’enfants tourne tout seul. L’endroit a un petit côté inquiétant de fête foraine abandonnée. Je commence à imaginer les monstres qui pourraient s’y cacher. Faut que j’arrête de lire du Stephen King…
Je vérifie l’heure sur mon téléphone, mon rendez-vous est dans dix minutes. Je me pose sur un banc.
Sam : je viens de voir mon idole du lycée
Axel : Clover des totally spies ?
Sam : t’es con….
Sam : Ma préférée c’était Sam ! pas Clover ! mais surtout, au lycée, j’étais passé à autre chose !
Axel : déjà, on sait que c’est pas un truc phallique
sam : ya des trucs phalliques très bien ! tant que ça reste des objets
Axel : j’adore quand tu te lâches
Je ris doucement, il n’y a qu’avec lui que je peux sortir ce genre de conneries sans avoir honte de ce que je raconte. La honte, c’est un sentiment totalement inconnu pour Axel. Je l’envie.
Axel : alors ? c’est qui cette idole ? Une winx ?
Sam : j’adorerais rencontrer une fée ! Surtout que je suis dans une belle forêt, un endroit un peu magique
Sam : mais non, je suis encore dans la réalité.
Axel : dommage, je t’aurai bien vue avec une fée
Axel : et du coup, cette apparition ? tu vas finir de cracher le morceau ? ou bien ?
Sam : ^_^
Sam : Il s’agit de Billie
Axel : Billy Idol ! ça fait sens !
Sam : Hein ?
Sam : non !
Axel : Billie Eilish ?
Axel : Billie Jean ?
Sam : non, une fille de mon lycée, magnifique
Axel : oh un ancien crush, j’aurai du y penser
Sam : pas vraiment un crush, mais je l’admirais beaucoup. C’était « la lesbienne du lycée », enfin celle qui s’assumait
Axel : une Queen
Axel : Queen des gouines ! Ca sonne bien !
Axel : je vois le tableau
Axel : les regards coquins et les rendez vous secrets dans les toilettes pour s’embrasser
sam : non ! et certainement pas dans des toilettes
Sam : j’ai jamais compris ce délire, c’est immonde
Axel : on est d’accord. Mais n’essaie pas de noyer le poisson dans la cuvette, je veux tout savoir !
Sam : ça va être court
Sam : elle ne sait pas que j’existe, elle était en terminal et moi en seconde
Sam : jamais je n’aurai osé lui parler
Axel : jusqu’à aujourd’hui ! c’est beau !
Sam : non même pas… j’ai fuis… lachement
J’aperçois Zara au bout du chemin, elle avance d’un pas déterminé.
Sam : je dois te laisser, ma responsable arrive
Axel : elle est sexy ?
Sam : idiot, tu crois que je vais draguer sur mon lieu de travail ?
Axel : pourtant, les moules-frites, c’est populaire
Sam : non… t’as pas osé ?
Axel : de quoi ?
Axel : cours la retrouver, je suis pas jaloux
Sam : en plus, elle est pote avec mon frère
Axel : bisous ma cherie
Axel : ♥♥♥
Après les salutations d’usage, Zara me remet mon uniforme : chemise et casquette jaune poussin. Je ricane intérieurement. Elle m’indique une toute petite pièce, à côté de la réserve, qui fait office de vestiaire. La chemise me comprime un peu la poitrine, et l’ensemble est aussi ridicule que je l’avais imaginé. Je prends la pose et envoie la photo à mon frère. La réponse ne tarde pas.
Ali : mon petit poussin !
À son tour, il me renvoie une photo, il a passé une robe jaune citron par-dessus ses vêtements.
Ali : soutien à la famille !
J’éclate de rire, puis entends la voix de Zara plus loin.
— Tu es prête ? me demande-t-elle sèchement. On a pas mal de choses à faire !
— J’arrive !
Zara m’explique, en détail, le fonctionnement et le nettoyage de chacune des machines : percolateur, friteuse de compétition et le fameux grill à panini.
J’observe avec attention, en espérant me souvenir de tout et surtout ne pas faire de conneries pendant le service.
— Ne t’inquiète pas, me dit-elle, comme si elle avait capté ma pensée. Il suffit de bien suivre les procédures.
Elle m’indique les fiches techniques accrochées au mur. Pour le moment, ça a l’air plutôt amusant. J’ai hâte de faire griller les premiers paninis.
— Les premières fois, je serais avec toi, ajoute-t-elle. C’est déjà pas mal pour aujourd’hui, on verra la caisse enregistreuse une autre fois.
— Merci, je pense avoir bien compris.
Je refais le tour des différents appareils, lorsque quelqu’un m’appelle.
En me retournant, je tombe face à un grand mec : cheveux châtains, anneaux aux oreilles, et un magnifique sourire.
— Ulysse ? Tu as grandi !
Il éclate de rire.
— Heureusement pour moi ! Ça fait quoi ? Au moins dix ans qu’on ne s’est pas vus.
Je confirme d’un hochement de tête.
Ulysse était notre voisin et le meilleur ami de mon frère. Pendant toute la primaire, ils étaient inséparables. À tel point que j’ai parfois été jalouse de leur lien.
Je ne remarque que maintenant qu’il porte le même uniforme que moi.
— Tu travailles ici ?
— Oui ! Et si je comprends bien, toi aussi maintenant. On va bosser ensemble ! C’est trop génial !
Il lève sa main devant moi, je claque la mienne dans sa paume. Je suis touchée par son enthousiasme.
— Comment va Ali ? me questionne-t-il.
— Bien ! Maintenant, il travaille au marché avec mon père.
— C’est pas trop dur ?
— Les horaires sont intenses, mais ça lui plait bien.
— Tant mieux.
— Attends, j’ai une idée !
Je prends un selfie de nous deux et l’envoie à mon frère qui répond aussitôt.
Ali : Tu t’es déjà fait un copain poussin !
Ali : je suis si fier de toi !
Ali : Attends…
Ali : C’est Ulysse ?
Ali : on dirait trop lui ?
Sam : oui, c’est bien lui, c’est mon collègue de travail pour l’été
Ali : Trop bien !
Ali : Raison de plus pour que je vienne te chercher !
— On s’y met ? demande Zara derrière nous. Les clients ne vont pas tarder à arriver. Et on a encore pas mal de choses à faire !
Je grimace légèrement.
— Oui, Cheffe, lui répond Ulysse avec un large sourire.
Il me tapote légèrement l’épaule et me fait un clin d’œil.
— Tu vas voir, ça va bien se passer !
On a tout juste le temps de tout mettre en place, que les premiers clients arrivent. Et à partir de là, ça ne s’arrête plus, on enchaine. Zara prend les commandes et tient la caisse, Ulysse prépare les paninis, je m’occupe de leur cuisson, ainsi que des frites. Vers quinze heures, ça se calme.
— Samira, m’interpelle Zara, c’était pas mal pour une première fois. Pour les barquettes de frites, il faut les remplir toujours de la même manière. Certaines de tes barquettes manquaient de frites, alors que d’autres débordaient.
— Ah bon ?
— Oui, et il faut veiller à être équitable avec tous les clients.
— Euh, ok… c’est noté.
— Bien ! Je vous laisse, j’ai une réunion avec mon père, ensuite, je dois faire les commandes. Ulysse, je te laisse faire la fermeture ?
— Pas de problème, répond-il. À demain !
J’attends qu’elle soit partie pour interroger Ulysse.
— Son père ?
— Oui, Monsieur Rahmani, le directeur de la base de loisirs.
— Ah je comprends mieux ! dis-je d’un ton mauvais.
— Oh, ça c’est mesquin ! s’amuse Ulysse. Et pour le coup, pas vraiment justifié. Bon ok, ça l’a surement beaucoup aidée pour obtenir le poste, mais Zara est une bonne responsable, la meilleure que j’ai jamais eue et de loin. En plus, son père ne lui fait pas de cadeaux. Il est bien plus exigeant avec elle qu’avec ses autres employés. Du coup, elle aussi est exigeante, mais tu verras, elle sait aussi faire confiance. Et surtout, elle est juste !
Je hoche la tête en me sentant un peu bête. Ulysse a l’air de beaucoup l’apprécier. Elle n’a fait que me donner des instructions, ce qui est tout à fait normal. Et puis, chez nous aussi, on travaille en famille.
Pendant l’après-midi, nous continuons de servir des glaces et des boissons, mais nous avons le temps de souffler et de papoter.
Ulysse me fixe avec trop de sérieux.
— J’ai un truc à te demander… de la plus haute importance.
— Euh… d’accord.
— Est-ce que tu manges toujours autant de cornichons ?
— Tu te souviens de ça ? m’exclamè-je.
— Disons qu’une gamine qui mange des cornichons au gouter, c’est pas si courant… Je crois que tu es la seule sur terre !
On éclate de rire.
— J’avoue ! Il m’arrive encore d’avoir des crises aigües de cornichons et de vider un pot, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Et quand j’en ai plus, c’est le drame !
Une annonce sonore informe les visiteurs de la fermeture imminente de la base de loisirs. Ulysse m’aide à nettoyer les différents appareils. Puis je passe un coup sur le comptoir et les tables extérieurs, et vide les poubelles, pendant qu’il fait la caisse.
— Et voilà, première journée terminée ! annoncè-je fièrement.
— Rassure-moi, tu reviens demain ?
— Oui, c’est prévu que je fasse les week-end et le 14 juillet.
— Génial !
Nous retrouvons Ali sur le parking, à l’entrée. Ulysse et lui sont tout heureux de se retrouver, c’est touchant.
— T’es grand ! s’exclame mon frère.
Ulysse se marre.
— Vous êtes vraiment connectés, ta sœur m’a dit la même chose. Bon, maintenant, y’a prescription, vous pouvez avouer que vous êtes jumeaux.
On se met à rire tous les trois.
— Cette vieille blague ! s’exclame mon frère.
Ali et moi n’avons que neuf mois d’écart. Du coup, il y a une période de l’année où nous avons le même âge. On s’amusait alors à dire qu’on était jumeaux, puis quelques mois après, nous ne l’étions plus. Les autres enfants, mais également certains adultes, ne comprenaient rien et ça nous faisait beaucoup rire.
— Viens manger à la maison, un soir ! propose Ali.
— Avec grand plaisir !
— Après, on pourra jouer à la console, comme au bon vieux temps ! T’as encore tes Playmobil ?
— Euh non, malheureusement.
— Dommage ! Comment vont tes parents ?
— Ça va… répond Ulysse d’une voix pourtant hésitante.
Son beau sourire a disparu et, fort heureusement, mon frère n’insiste pas.
— C’est incroyable que vous travailliez ensemble ! reprend Ali. Du coup, tu connais Zara.
— Oui, très bien ! J’en déduis que toi aussi.
— Oui ! Je suis pote avec son cousin Kamal !
— Oh… je vois. Je dois filer, je vous dis à demain ?
— Tu veux que je te dépose quelque part ? demande Ali.
— Non c’est bon, c’est gentil.
Une fois dans la voiture, mon frère ne s’en remet toujours pas.
— C’est incroyable que tu aies retrouvé Ulysse. Tu vois, j’ai bien fait d’insister pour que tu prennes ce boulot.
— Oui, et le taf est cool, c’est prenant, mais intéressant.
Ça me fait plaisir de voir Ali si heureux. Il a beaucoup de potes dans le square, mais l’amitié qu’il partageait avec Ulysse était forte. Ça a été très dur pour lui quand son ami a déménagé. Ils se sont revus quelques fois, mais ça n’était plus pareil. Ils ne partageaient plus leur quotidien.
— Est-ce que toi aussi tu as senti le malaise quand j’ai parlé de ses parents ? me demande-t-il
— Oui, clairement. Il n’avait pas envie d’en parler.
Ali acquiesce avec sérieux.
— Merde, j’espère qu’un de ses parents n’est pas malade ou un truc du genre.
— J’espère aussi.
À peine sommes-nous rentrés que les questions fusent.
— Alors ? demande mon père ?
— Ça a été ? ajoute ma mère. Pas trop dur ?
— Ça s’est très bien passé ! Et vous ne devinerez jamais avec qui je travaille…
— Ulysse ! s’exclame mon frère.
— Idiot ! Tu gâches tout.
— J’ai le droit ! c’est mon pote.
— Arrêtez de vous disputer comme des enfants, nous sermonne ma mère, et je ne veux pas entendre d’insultes dans cette maison.
— Oui, maman, répondons-nous en cœur.
— Ulysse le petit voisin ? demande mon père.
— Oui, répond Ali, toujours enthousiaste. Mais il est super grand maintenant !
— Un très gentil garçon, dit mon père, très poli ! Pas comme tes autres copains…
— Il faut qu’il vienne diner à la maison !
Ali et moi rions en cœur.
— Ali l’a déjà invité ! expliquè-je à ma mère.
— J’ai anticipé, car je savais que tu allais proposer.
— Parfait ! Et en parlant de diner, on va bientôt passer à table, dit-elle.
— Je vais juste me prendre une douche vite fait, je sens la friture.
— Ouf… ricane mon frère. J’osais pas te le dire !
Je l’ignore et continue de parler à ma mère.
— Et pitié, dis-moi qu’on ne mange pas de frites.
— Non, pas de frites.
Elle me regarde avec un grand sourire énigmatique.
— Des sushis ! s’exclame Ali.
— Oh, mais c’est vrai que tu ne sais pas tenir ta langue, le gronde gentiment ma mère.
— Des sushis ? J’adore ça ! dis-je enthousiaste.
— Je sais, me répond-elle avec un sourire chaleureux.
— Mais… ça a dû te couter une fortune, fallait pas.
— Je les ai faits moi-même, annonce-t-elle fièrement, et ton frère m’a aidé.
Il sourit à son tour, tout content de lui. Je suis tout émue.
— C’est super gentil ! je ne savais pas que tu savais faire ça !
— Tu te souviens, l’atelier de cuisine dont je t’ai parlé ?
— Oui ! Au centre socioculturel !
Elle hoche la tête pour confirmer, puis reprend.
— J’ai demandé si on pouvait faire des sushis et une dame qui savait les faire, nous a très gentiment appris !
— C’est génial, tu me montreras ?
Elle rit.
— Attends quand même d’y avoir gouté. Ce n’est pas comme ceux que tu manges à Paris.
Les sushis préparés avec amour par ma famille sont les meilleurs que j’ai jamais mangés.

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