7. Sable & paillettes - Samira
Penses-tu qu’j’suis responsable
Penses-tu qu’tu sors du tas
Penses-tu mais pour qui tu t’prends
Tu te crois saint, t’es juste insultant
Tiens pour une fois, reste sans voix
Et rassure-toi je ne contamine pas
Eddy de Pretto - Normal
Mercredi 14 juillet 2021
Ali déboule dans ma chambre.
— T’es pas encore prête ? Qu’est-ce que tu fous ?
Je suis sortie de la douche y’a au moins trente minutes et je suis toujours en peignoir. Affalée sur mon lit, mon téléphone à la main, je fais défiler des vidéos. Mes préférées : les chatons et les perruches.
— Je suis pas sure d’avoir envie d’y aller, dis-je en roulant sur ma couette.
— Hein ? Mais pourquoi ?
— Déjà… j’ai pas été invitée.
— Quoi ? Mais si, elle sait que tu viens !
— Avoue que c’est quand même bizarre. J’ai passé toute la journée avec Zara, et elle ne m’en a pas parlé, pas une seule fois !
— Non, mais là, tu chipotes ! Tu voulais un carton d’invitation ?
— Non, mais bon…
— On s’en fout. De toute manière t’y vas pas pour elle, si ?
— Non.
— Voilà, donc bouge !
Ali a raison. Pourquoi est-ce que ça me contrarie autant ? Zara et moi ne parlons pas beaucoup. Enfin si, on échange sur le travail, mais aucun sujet personnel. De plus, aujourd’hui, Ulysse était en repos, il a fait grand soleil, on a eu beaucoup de monde à la friterie. On n’a pas eu une minute à nous.
— Et aussi, j’ai un peu la flemme.
Il m’observe un sourire taquin aux lèvres.
— T’as fait quoi ? demande-t-il. Trois jours de boulot ? Et déjà t’es plus étanche ? Tu vois, je te l’avais dit ! À force de jouer les intellos, ton corps n’est plus capable du moindre effort physique.
Il se met à ricaner.
— Tu sais ce qu’il te dit mon corps ? bougonnè-je.
— Qu’il va se saper rapido ?
Il saute sur mon lit et me secoue.
— C’est une fête ! Samira Messaoui, depuis quand est-ce que tu refuses de sortir ?
Je retiens un sourire.
— … avec ton frère chéri en plus ? Ça fait tellement longtemps, tu peux pas m’abandonner !
Il me refait ses petits yeux de petit chat, puis me secoue de nouveau, plus fort.
— Rendez-moi ma sœur !
— Ok, ok, dis-je en le repoussant, je me prépare !
— J’aime mieux ça !
Je vire mon frère de ma chambre, puis enfile une robe courte, smockée sous la poitrine. Elle est noire avec des roses et des lys blancs. Encore une trouvaille d’Ali. Je l’adore, elle est à la fois jolie et confortable, et en bonus, elle me fait un joli décolleté.
Séance de maquillage et brossage de cheveux que je laisse détachés. Mes yeux sont entourés de noir, j’y ai ajouté des paillettes roses et argentées pour rappeler ma robe.
Ce que je vois dans le miroir de ma chambre me plait, mais je me demande si ce n’est pas too much pour ici. Je ne suis plus à Paris. Je fonce vers la salle de bain afin de me démaquiller. Dans le couloir, je manque de bousculer ma mère.
— Comme tu es belle ! me dit-elle.
— Tu trouves ? Même le maquillage ?
— Oui, c’est joli et joyeux ! Ça ne te plait pas ?
— Si !
— Alors c’est le principal !
La voiture du pote de mon frère empeste la weed. Assise à l’arrière, j’ouvre la fenêtre en grand et y passe la tête pour respirer. Le vent fait voler mes cheveux, c’est agréable.
— … pourquoi tu m’la pas présentée avant ? demande Kamal. Elle est grave fraiche !
Je déteste cette expression, on dirait qu’il parle d’une salade ou d’un bout de viande.
— Elle fait ses études à Paris, elle vient pas souvent, répond mon frère.
Attends… mais c’est de moi qu’il parle ?
— Vous savez que je suis là hein ?
— Comment l’oublier ? répond Kamal avec un sourire qui se veut charmeur. Suivi d’un clin d’œil via le rétroviseur.
— Je suis pas intéressée, lui dis-je.
— Elles disent toutes ça !
Il se met à ricaner suivi par Ali.
— Ok, je vois, les charos sont de sortie !
— Je suis pas un charo ! s’insurge mon frère ! On rigole !
Sam : au secours !
Axel : Sos amitié bonjour ! Que puis-je faire pour vous
Sam : mon frère m’a embarqué à une fête
Axel : ah, et y’a pas de jolies filles ?
Sam : je sais pas, on est pas encore arrivés
Sam : et puis, c’est pas ici que je vais faire des rencontres
Sam : bcp trop compliqué
Axel : :'(
Sam : nan le souci c’est le pote de mon frère
Sam : un gros lourdaud qui me drague
Axel : et je dois intervenir en tant qu’expert en lourdeur ?
Sam : clairement tu pourrais !
Sam : mais je voulais surtout me plaindre
Axel : tout mon soutien
Axel : :-*
Sam : bisou
Axel : s’il t’emmerde trop, dis lui que ton mec va venir lui peter la gueule.
J’éclate de rire. Ali se tourne vers moi et me sourit.
— Ça va ? demande-t-il.
— Oui oui. Axel vous passe le bonjour !
— Ah oui ? Euh… ben passe-lui le bonjour aussi.
— C’est qui ça ? Une copine à toi ? Elle va nous rejoindre ? Elle est aussi jolie que toi ? Blonde ? Ou mieux… rousse !
Il s’arrête jamais ?
— Loupé, rigole Ali. C’est Axel au masculin, c’est son mec.
— Ah… Ok…
Ils se mettent à parler foot sans plus faire attention à moi.
Sam : merci t’es un génie
Axel : par contre, je préfère te prévenir, je sais absolument pas me battre. ET je suis non violent !
Sam : ^_^
Lorsque je relève la tête de mon téléphone, nous sommes sur le parking de la base de loisirs.
— Mais qu’est-ce qu’on fait là ? demandè-je.
— On va à la plage ! s’exclame Ali, tout content. La fête se passe là-bas !
— Mais c’est fermé !
— Pas pour les VIP !
Nous traversons la base de loisirs, à part quelques lapins, c’est totalement désert. En arrivant à proximité de la plage, on entend de la musique, puis apparait un feu de camp, et les silhouettes d’un petit groupe de personnes.
— Pourquoi tu m’as pas prévenue que c’était ici ? demandè-je à mon frère. Avec mes sandales, j’ai du sable partout.
— T’as qu’à les enlever ! Et avoue que c’est quand même cool !
Je râle pour le plaisir, mais je suis ravie d’être là. La plage en pleine nuit a un côté enchanté.
On dépose les bouteilles qu’on a apportées sur une table bancale. Zara vient à notre rencontre et après nous avoir brièvement saluées, elle croise les bras sur sa poitrine.
— J’avais bien précisé : pas d’alcool fort, dit-elle en pointant les bouteilles.
— Je ne savais pas, se défend mon frère. Désolé.
— Oh ça va ! intervient Kamal. Tu vas pas commencer à me casser les couilles !
— Pardon ?
— T’es chiante. Quoi qu’on fasse, tu fais toujours la tronche. On est là pour s’amuser. Tu devrais essayer de te décoincer !
Il prend une bouteille de whisky, l’ouvre et boit au goulot.
— Voilà ! Tu vas faire quoi maintenant ?
Kamal lui fait signe de dégager. Zara semble vraiment contrariée, mon frère bafouille quelques excuses.
— J’étais pas au courant… tu veux qu’on les mette dans la voiture ? lui demande-t-il.
— Laisse tomber.
Elle tourne les talons et retourne près du feu.
— Y’a de l’ambiance entre les cousins, murmurè-je à mon frère.
Il se pince les lèvres, son regard va de Kamal à Zara.
— …Tu vois j’avais raison, elle fait des histoires pour rien. On est entre adultes, chacun prend ses responsabilités et personne ne l’oblige à boire.
— Je sais…
Il continue de l’observer.
— Tu veux boire quoi du coup ? plaisantè-je.
Ali se sert un coca, je prends une bière et Kamal a disparu avec sa bouteille.
En observant les gens, mon regard s’arrête immédiatement sur Billie. Elle est avec Ulysse, un brun que je ne connais pas, et sa copine aux cheveux bleus. Je l’ai revue cette semaine à la friterie. Déjà au lycée, elles étaient inséparables. Billie est resplendissante. Elle porte un tailleur-pantalon gris. La veste est brodée de roses. On est assorties ! Nos regards se croisent, elle me fait un petit signe de la main et je me sens rougir en y répondant. C’est à la fois agréable et flippant, mon frère est juste à côté de moi. Heureusement il n’a rien remarqué, trop occupé à s’excuser de nouveau auprès de Zara. Le charme est rompu par le retour de Kamal.
— Qu’est-ce qu’ils foutent là ? beugle-t-il en pointant Billie et ses amis.
Il attrape le bras de sa cousine, qui se dégage aussitôt.
— … non, mais ils ont rien à faire ici ! insiste-t-il. Ils ont cru que c’était carnaval ?
— Quel est le problème ? demande Ali, les sourcils froncés.
Kamal se met les doigts dans la bouche, et fait mine de vomir.
— Ne laisse pas ce mec t’approcher ! C’est juste le plus gros suceur de bite de la région !
— Hein ? Mais qui ? panique Ali.
Mon frère bloque sur Ulysse. Kamal crache par terre et marmonne des mots en arabe. Et moi, j’ai juste envie de m’enterrer.
Zara, les bras croisés sur la poitrine, fixe son cousin avec sévérité.
— Ils sont là parce que je les ai invités. Et arrête de te donner en spectacle, tu es ridicule !
Mais il ne lâche pas si facilement.
— Est ce qu’on est obligé de subir ça ? demande-t-il. Déjà qu’on peut plus regarder une série tranquille. Y’en a partout ! Ces pervers ! Qu’ils fassent ça entre eux !
— Ça quoi ? lachè-je.
— Ben tu sais ! Deux femmes encore, ça passe… mais les mecs qui s’enfilent c’est vraiment dégueulasse. Y’a plus de respect !
Il mime un geste de pénétration avec ses doigts.
— Le seul qui manque de respect ici, dit Zara, c’est toi Kamal ! Tu es venu avec de l’alcool fort, alors que j’avais demandé de ne pas en prendre !
— Putain, tu vas me souler longtemps avec ça ? Le problème c’est que toi, tu invites ces pervers ! C’est haram !
— Calme-toi… tente mon frère.
— Pour commencer, poursuit Zara avec aplomb, à ma connaissance, aucun d’eux n’est musulman, donc pas concerné par ce qui serait haram ou hallal.
— Fais pas semblant de pas comprendre. C’est juste gerbant !
Son ton se fait menaçant, mais elle ne se laisse pas démonter. Elle est impressionnante !
— Et je vois toujours pas le problème ? demande-t-elle. On peut même être musulman et homosexuel. Ce n’est pas un choix !
Mon cœur s’emballe. J’ai limite envie de la prendre dans mes bras et de la serrer fort contre moi.
— T’es malade ou quoi ? Bien sûr qu’on a le choix. Tout le monde le sait que c’est péché !
— Alors je t’invite à penser par toi-même et à relire le coran. Quand tu auras trouvé une interdiction sur l’homosexualité, on en rediscutera.
Zara the Queen.
— T’es complètement folle ! Je plains ton pauvre père. La hchouma !
— Laisse mon père en dehors de ça ! Quant à toi, tu peux partir maintenant.
Elle repart vers un autre groupe, la tête haute.
— Je me casse ! hurle Kamal. Ali, viens, on bouge ! On a rien à faire là !
Mon frère se fige, regardant tour à tour Kamal et Zara. Je lui attrape le bras.
— On reste ! affirmè-je.
— Ah, je vois, vocifère Kamal. C’est ta sœur qui décide pour toi. T’as pas de couilles.
Il s’en va et je respire beaucoup mieux. Ali reste là, les bras ballants et la bouche ouverte, à le regarder s’éloigner.
— Mais comment on va faire pour rentrer ? gémit-il. C’est lui qui a la voiture.
C’est vraiment tout ce qui l’embête ?
— On trouvera une solution. T’as insisté pour que je vienne, alors on reste !
Ulysse nous rejoint et nous salue chaleureusement. Ali essaye de ne pas montrer qu’il est gêné, mais je le connais par cœur. Il est en train d’observer son ami d’enfance à la recherche d’indices sur « sa culpabilité ». Collier en perles, chemise colorée, boucle d’oreille. Me voilà, moi aussi à le détailler, j’ai envie de me gifler.
— Ça va ? demande Ulysse.
— Oui, tout va bien, répond Ali. Je vais essayer de retrouver Zara. À plus !
Il fuit et me laisse là.
— Ali va bien ? s’inquiète Ulysse. J’ai entendu l’autre… hurler, mais je préfère l’éviter…
— Je te comprends. Kamal est un gros connard ! Il est parti.
Ulysse sourit, rassuré.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
Je suis bien incapable de répéter les mots de Kamal sans me mettre à pleurer ou à hurler, du coup, j’improvise.
— Hum… Zara et son cousin se sont embrouillés à propos de bouteilles d’alcool. Et on s’est un peu retrouvé au milieu.
Il hoche la tête.
— Y’a un an, jour pour jour. On était ici, à faire la fête. La soirée a failli mal se terminer. Y’a un mec qui avait trop picolé, il s’est jeté dans l’eau et a failli se noyer. Heureusement Kloé était là. Elle est maitre-nageuse, elle lui a sauvé la vie. Zara a eu très peur, et elle s’en est beaucoup voulu, alors qu’elle n’y était absolument pour rien.
— Je comprends mieux.
Je me sens un peu merdeuse de l’avoir si mal jugée.
— Et Kloé, c’est ton amie aux cheveux bleus, c’est ça ?
— Oui ! Attends, je te présente.
Il m’entraine auprès de ses amis
— Voici Kloé, Milo et Billie. Et donc Samira, la sœur d’Ali, dont je vous ai parlé.
Kloé est habillée comme la dernière fois que je l’ai vue, à la friterie : un haut de maillot de bain et un bermuda à fleurs. A son poignet, je remarque un bracelet : magenta, bleu et violet. Le drapeau de la fierté bisexuelle.
— Enchantée, me dit Billie.
Sur ses tempes et le devant de sa tête, ses cheveux sont tressés, plaqués sur le crane, le reste est libre avec un effet mouillé. Et surtout, sa chevelure est couverte de paillettes violettes. Je fonds. J’adore les paillettes.

Annotations
Versions