Feu dans le Vermont
Le suicide social avait en vérité commencé en octobre 2012 aux Etats-Unis. J’attaquais mon treizième mois dans l’état du Vermont où les températures avoisinent les -20 degrés pendant l’hiver. J’étais baigné dans l’Université réputée (reconnue) de la région et tout défilait un peu trop vite pour moi. La saison 2011-2012 fut une réussite puisque j’ai validé ma première année mais c’était l’arbre qui cachait la forêt. Car si mon intégration au cœur des Américains fut douce comme du beurre, j’étais en vérité trop bien installé. Je me permettais tout. Les consommations d’alcool et de drogues débordaient tout juste à la limite de l’expulsion. J’étais le roi bulgare de Burlington. Avec mon colocataire du Colorado, nous possédions la chambre la plus attractive du bâtiment Harris Mallis. Les soirées s’enchaînaient avec même une queue pour sniffer des rails sur ma table. Le son à fond avec mes enceintes Bluetooth commandées depuis l’Europe dont j’étais très fier, des centaines de jeunes universitaires me saluaient en bien ou en mal tout au long de la journée. Le campus américain, c’est comme on le voit décrit à la télé. Et il faut suivre le trio ultra soutenu : études, sport et fête. Plus la baise qui m’échappera incroyablement malgré des dizaines de possibilités alors que je suis le petit frenchie en plus d’origine slave avec un accent à faire tomber. C’est moi qui tomberai alors que je partagerai ma chambre en deuxième année avec un toxico d’origine gréco-allemande, un certain Nick. En milieu d’après-midi d’un mi-octobre doux, il me fera découvrir le Xanax, ma première benzodiazépine avalée. Quatre ou cinq cachets pour m’endormir dans une maison chez les cassos du campus, Vers 19h, je me réveillerai vénère de me sentir au ralenti alors que vendredi soir commence. Je m’attaque donc au rhum, je sifflerai presque une bouteille entière. La suite est grave à l’époque, comique quand je la raconte aujourd’hui : nouveau black-out sauf le vague souvenir d’être sorti de ma chambre vers quatre heures du matin, d’avoir pris une poubelle de la salle de repos, la remplissant de tipex et allumant le briquet pour mettre le feu non à l’Université, mais à mon séjour dans le Vermont. J’étais au bout du rouleau submergé par la MDMA qui ne faisait plus effet et l’alcool. Et je savais que je n’allais pas valider ma deuxième année. Je voulais dire au revoir à ma manière.
Mon coup de folie a fait tout chambouler. Ambulances, pompiers, polices… toute la patrouille est venue éteindre le minuscule incendie et déloger les quelque cent-cinquante étudiants dans le bâtiment voisin. Quelques heures plus tard, je me réveille dans un autre lit la tête dans les nuages, toujours sous l’effet du Xanax qui préserve la présomption de passer à la trappe. Mais en voyant les visages de mes désormais ex-camarades, je comprends que je suis cuit. Avec mon bon ami Eric, je tente de me changer les esprits en l’accompagnant en voiture hors du campus pour prendre un petit-déjeuner difficile à avaler. Et il me suggère un alibi simple : je dormais au moment des faits et Nick le confirmera. Ce ne sera pas si simple. De retour sur les lieux du crime où je réalise que notre porte et celle d’en face sont abîmées, deux hommes me sollicitent : «Mister Stantchev ?». «Yes ?». «Could you follow us please ?». «Yes, sure !». Toujours confiant de m’en sortir, je me demande si je ne traversais pas une phase maniaque de ma bipolarité. Avant d’entrer dans le commissariat, les détectives remarquent deux détails perturbateurs : je ne possède qu’un feu dans mes poches et j’ai encore des traces de tipex sur les mains. Durant l’interrogation, je défends maladroitement mon alibi, je ne sais pas mentir. Je finis par craquer sous la pression des policiers. «Yes, it was me, and I did it with a one dollar bill (ce qui était faux)». Et je me mets à pleurer comme jamais en me réconfortant : «But I dress so well !». On me lit ma Miranda Rights et on me menotte les pieds. J’ai le droit à un dernier coup de téléphone. Je le passe à Nick en lâchant : «I will maybe do five years». C’est la fin du rêve américain et je vais devoir me préparer au week-end le plus douloureux de ma vie. Car étant arrêté un vendredi, je ne passerai en comparution immédiate que lundi. Je serai donc placé en garde-à-vue pendant trois nuits. Et ce n’est pas la France. Je me retrouverai sur le sol recouvert d’un vieux drap dans une cellule éclairée avec quatre autres individus. Les gros barreaux nous donnent un contact direct avec les surveillants. Mais c’est l’échange avec un vieil homme malsain, sûrement violeur qui m’accablera. «What did you do ?», me demande-t-il. Et il me regarde avec des grands yeux terrifiés quand je lui raconte. Je dois absolument trouver un plan. Je sympathise avec un Africain sans papier totalement perdu. Je lui demande de m’héberger pour éviter la case prison (une adresse est obligatoire)… sans succès. Et vu que je ne pourrai pas payer le bail astronomique de 20.000 dollars, il n’y aura qu’une seule destination possible. Devant la magistrate, l’avocate commise d’office s’emmêle les pinceaux et commet presque l’erreur monstrueuse de livrer mon passeport à la justice. Je vais devoir me baigner dans un monde, une société que j’ignore. Mais je m’adapte à tout (sauf aux femmes) et je comparerai ma punition à une cure de désintoxication dans une prison quatre étoiles !
Dans la caravane policière nous emmenant au centre de détention, une musique de rock nostalgique résonnait de la radio. Je contemplais par la fenêtre le soleil couchant avec désarroi mais aussi espoir. L’espoir de se sentir mieux qu’en garde-à-vue, l’espoir de bien dormir ce soir et l’espoir de vite pouvoir communiquer avec ma famille et l’avocat. Après la fouille corporel où je dois me déshabiller entièrement, je pénètre dans l’arène et je suis emmené dans une petite chambre à deux lits superposés. Dans le jargon, le bas est réservé au plus ancien. Je m’installe donc en haut et, libéré enfin des menottes, je souffle. Mon colocataire, chauve et bête comme ses pieds, regarde le catch américain sur la petite télévision. Il ne comprend rien à ma double nationalité franco-bulgare mais semble soulagé par ma timidité et amusé par mon délit. Car foutre le feu à une poubelle dans une université passe beaucoup mieux que de violer une fille mineure dans le ghetto. Et en plus je suis étranger. Tout est réuni pour que je sois bien accueilli. Je le serai. Je passerai même dans les infos ce qui fera ricaner toute la galerie. Dans la prison, sans argent, je fumerai quelques taffes de cigarettes, de cannabis, je goûterai au Subutex sniffé dans une culière, je perdrai souvent eux échecs, je regarderai des matches d’Arsenal mon club de cœur depuis 2003, je recevrai gratuitement des soupes chinoises à réchauffer pour le soir car l’horaire du dîner est juste hallucinante : 16h00, je resterai trois semaines à l’intérieur avant de sortir pour la promenade et redécouvrir l’odeur de l’herbe tout en tapant le ballon de football et je terminerai mon séjour dans une cellule avec un meurtrier antillais ultra maniaque mais respectueux. Jamais insulté, jamais agressé, j’ai simplement piqué au vif quelques détenus la veille de mon procès (gagné d’avance selon mon nouvel avocat bien reconnu dans l’État). Car, anxieux de revenir en Europe pour affronter mes parents – que j’ai affronté difficilement aux parloirs - et mes nombreux amis de l’époque, je lâchais : «I want to stay with you guys». Une phrase à ne pas dire pour ces gaillards fragiles qui me font comprendre que la liberté n'a pas de prix. Le procès s’avéra expéditif ce qui ne m’empêchera pas de verser des larmes en lisant devant le magistrat la lettre d’excuse que j’ai écrit auquel il répond : «How can someone who writes this well is capable of doing such a thing?». Le deal entre l’avocat, le procureur et le juge est clair : retour en France dans une cure de désintoxication et interdiction de retourner dans l'État du Vermont jusqu’à nouvel ordre. Toujours mieux que les «deux à cinq ans» souhaités au départ du dossier ! Car l’avocat a nuancé subtilement le délit : «Il n’a pas voulu brûler l’université, mais a brûlé une poubelle dans l’université sans motif réel et sous l’influence de psychotropes». Il restait encore un périple à contourner : la prison des immigrés en Californie. Mon avocat me demande de prendre le bus pour Montréal et de faire bouche-bé à la frontière (je pars en vacances) et d’expliquer que j’ai des assez d’affaires en France. Après trente jours incarcéré, la libération est jouissive comme la première cigarette que je n’arrive même pas à terminer en attendant le bus. Je pleure dedans et je passe la douane sans souci. Je monte ensuite dans l’avion pour Paris et un jeune couple d’étudiants est assis à côté de moi. Je leur confie que je me suis fait virer de l’Université du Vermont et je commande un pichet de vin avant de m’endormir et de dire au revoir à l’Amérique. Mon père me récupérera à Roissy et grisonne déjà des cheveux. J’ai fait souffrir tout le monde, et le porte-monnaie aussi. Dans une brasserie, il se questionne : «si tu veux devenir criminel, c’est ton choix». Tout cela après avoir découvert aussi que j’avais vendu un gros livre de collection de mon grand-père (qui fut architecte pour le sénat) deux mois plus tôt pour une valeur de huit-cent euros. Tout ce bif pour la drogue et l’alcool. J’étais loin d’être un ange avant de chuter.
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