La foudre Stella

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Avec Stella sonne aussi la fin d'une ère. Cette jeune fille de 21 ans, 1m60 brune aux yeux marrons de lynx, flexible et bonne tout simplement, je l'ai connue via mon réseau d'amis bulgares.


Je n'ai eu aucun effort à faire pour me retrouver trois fois dans son lit à la Celle-Saint-Cloud (92). Car c'est ma personnalité qui avait triomphé. "Tu es un leader", m'avait-elle flatté lors d'un voyage à Anvers en Belgique avec sa soeur cadette, Raphaël et deux anciens camarades de classe du lycée français Victor Hugo de Sofia. C'est dire que ma confiance pointait au summum entre 2014 et 2018. On était sous champignons hallucinogènes. Elle et Kosta, ce spécimen, semblaient vivre un calvaire tandis que mon très bon ami grec Dimitris et moi déliraient dans le bon sens du trip. Pourtant sous LSD il y a quelques années avec Gautier, j'ai vu des organes en sang avant de dormir. Cette soirée-là, je trouvais l'ambiance rassurante, j'explosais de rires dès que quelqu'un ouvrait sa bouche où quand je fixais les yeux de Dimitris. Je le déformais en Vil Coyote du dessin animé avec Bip Bip. J'hallucinais sainement. Je naviguais dans les pensées des autres et la coquine bulgare a dû aussi analyser en trombe mes traits de caractère. Car je possède beaucoup d'atouts. Mais encore plus de faiblesses.


Pour ma mère, je suis drôle, original, adaptable, aimable, diplomate, fin observateur, sociable, cultivé, inventif, généreux, ponctuel, optimiste et bon vivant. Soit un être intelligent doté d'une excellente mémoire mais qui parle trop vite ("tais-toi jusqu'à la signature du contrat", me met en garde à chaque fois mon père) et multiplie les bêtises. Ne parlons même pas à quel point je suis têtu, immature, obsessionnel comme mon père, naïf, impatient, instable, anxieux, nerveux, envieux, rapidement complexé, faignant, hypocrite comme nous tous, manipulateur parfois malhonnête mais aussi influençable, vulnérable, peu fiable et souvent incohérent. Stella est tombée sous mon charme. Mais c'était une relation brève (trois semaines), toxique et extrêmement mal guidée par Stanislas.


Au milieu de la nuit à Rue d’Assas, fin 2016 plusieurs semaines après le retour d'Agnieszka en Pologne, je me retrouve seul avec Stella après que les autres invités soient partis me laissant l'occasion de faire crépiter ma testostérone. Sauf que je suis déjà très alcoolisé et ma supposée copine aussi. Pour anéantir l'ivresse, je propose et décide d'acheter un gramme de cocaïne à 70 euros. Avec Stella, on s'amuse généralement sous MD à la Concrète, boîte de nuit située sur une péniche vers la Gare d'Austerlitz qui fermera ses portes quelques années après. Mais le menu pour cette nuit : c'est la blanche. Une substance que découvrira Stella. Oh la drogue, je l'ai fait tester à une vingtaine de proches ! J'en étais presque fier. Il faut reconnaître aussi que je suis un influenceur quand il s'agit du monde festif.


La coke arrive express en vingt-cinq minutes et vers 3h30 du matin, Stella sniff son premier rail de caroline. Je l'imite naturellement et au bout de trois minutes, mon cerveau s'éveille. En vérité, j'étais presque dans un blackout éthylique avant de consommer la colombienne. Les effets ne peuvent se comparer à ceux de la D. Je ne suis pas un grand fan de la C. Certes, il y a le plaisir du sniff ; le goût étrangement agréable du kérosène ; les dents qui s'anesthésient ; une confiance, une énergie et une envie de parler qui grimpent ; une sensation de tout comprendre et d'être hautement intelligent s'impose ; et une endurance folle perdure. Mais la coke à Paris, il faut la sniffer toutes les trente minutes car elle est coupée et la descente s'avère rapide et perturbante (rien à voir avec celle vendue aux États-Unis, où deux rails suffisent pour dynamiser la soirée).


Je me sens bizarrement crispé sous cette drogue, contrairement à la D qui me rend zen. Et plus on carbure à la C, plus on parle sans s'écouter. Mais Stella semble apprécier son état. Moi je suis bloqué, même avec deux bouteilles de blanc sur la table. Le pire dans tout ça ? On travaille dans quelques heures. Et le meilleur ? Son poste de serveuse se trouve à 500 mètres des locaux de Footmercato. Elle commence une heure plus tard que moi. Je ne veux pas la laisser seule dans l'appart car elle est bien trop arrachée. Sur un coup de folie, on jaillit tous les deux sur mon lieu de travail. On est samedi, le directeur n'est pas là. Alonzo, stagiaire charmant, accepte la présence de Stella. Seulement voilà, elle tombe deux fois dans les pommes. Alonzo lui donne une boisson énergisante. Cet expert du football ibérique s'aperçoit, avec un léger sourire gêné, que l'on n'a pas tourné qu'à l'eau. Stella se redresse et me regarde écrire comme si j'étais Marcel Proust. Mais son regard est inquiétant. On lui propose qu'elle aille se reposer dans une chambre au bout de cet ancien appartement, localisé à dix minutes du métro Pigalle (qui dessert la ligne de ma vie, la 12).


Pendant son sommeil réparateur, je descends siffler deux pintes fortes du Carrefour City à toute vitesse. Je remonte et un autre journaliste se présente sur les lieux. Évidemment, toute l'équipe sera mise au courant de l'évènement dangereux et loufoque qui est en train de se produire. J'entre dans la chambre et je surprends Stella sur son téléphone. Il est 13h, temps de partir, mais sans oublier une dernière trace de coke. On décolle, tête baissée. J'ai ramené une fille défoncée et j'ai sniffé au travail, l'entreprise ne m'oubliera jamais. Stella doit s'excuser à son patron en mentionnant une grippe. Elle était plus intelligente que moi sur ce coup-là. En rentrant chez moi, on essaie de faire l'amour mais "ton cœur bat trop vite", s'alarme Stella. Trois heures plus tard, Gautier et Kosta sonnent à la porte.


Ce dernier est un vrai cas social, un marginal, un original, limite imposteur. Malgré la manière dont je le décris, je reste quand même son bon poto depuis huit ans. Fils de mafieux bulgare, il compte sur l'argent de son père pour frimer car, ça, il adore le faire. Physiquement, il est imposant. Très brun, tel un slave montagnard au caractère citadin, portant une barbe mystique, il pourrait attirer les filles mais il est trop maladroit. Lui, c'est cannabis tous les jours. Et je voulais absolument éviter ce drôle de personnage en ce samedi dramatique. Car quand je suis mal, il y a certains individus qui s'en frottent les mains. En plus chez moi. La honte. Donc j'appelle Alice pour un nouveau gramme de caroline, mais je n'ai pas d'argent. Je prie pour un crédit mais le dealer n'est pas banquier. Il sonne et, stupéfait, m'envoie balader. Stella est toujours là. Comme par hasard, Kosta s'est presque invité à ce moment précis pour montrer qui est sain dans l'histoire. Le malsain. Mais je l'aime bien au fond, il est cash comme un Bulgare et a raison. "Tu as mis Stella en danger. Tu vois, c'est pas bien la drogue forte", dit-il en roulant un énorme joint. La pire drogue possible pour moi vu mon état déjà noyé dans la paranoïa. Il reste du vin mais ça ne suffit pas. Je n'ai plus rien à dire à Stella, je sens la fin d'une aventure. Les trois voient clairement la déchéance à travers mes yeux. À 21h, Kosta chauffeur Uber reconduit Stella chez elle ; et Gautier, très silencieux en ce soir chaotique, prend son métro habituel.


C'est la merde mais j'ai des médicaments pour dormir car je côtoie un psychiatre addictologue à Sainte-Anne depuis septembre. J'ai de la quétiapine, régulateur d'humeur qui éteint mon énergie, mais aussi de la sertraline, un antidépresseur qui n'aurait jamais dû être prescrit car je suis bipolaire. C'est ce médicament qui me fait prendre des risques hallucinants car je ne suis toujours pas considéré officiellement bipolaire ni donc soigné. La sertraline agit comme une mini MD sur moi, je déborde d'endurance, je dors peu, j'envisage des projets inatteignables et je surconsomme des psychotropes. La sertraline (ou Zoloft) aggrave mes phases hypomaniaques de ma maladie mentale. Mais la quétiapine que je boude un soir sur deux est là, je m'endors en vingt minutes et tourne la page Stella. Pour une nuit.

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