Chapitre 3 : Elle a recommencé
Le téléphone sonne.
Atone.
Atone ? Atone…
Allongé dans son lit, par-dessus la couverture. Tout habillé. Il n’avait pas fermé l’oeil de la nuit. N’avait pas eu envie de le faire. Ni de dormir. Il n’y en avait pas eu besoin. Le noir va si bien à sa chambre…
Il resterait bien un peu plus pour attendre, mais personne ne vient. Personne n’était venu de toute la nuit, de toutes manières. Il souffle. Tout l’air qu’il y a dans ses poumons. Le pousse vers l’extérieur. Un soupir. Exhaler puis se souvenir. Dormir.
Dormir une bonne fois pour toutes.
Il rouvre les yeux. Ne se souvient pas les avoir fermés. Non, il ne dormirait pas puisque que quelqu’un le force à rester éveillé, de l’autre côté de cette vitre sans teint. Bien sûr, c’est lui qu’on observe.
Le téléphone sonne.
Dans la maison si grande,
Dans sa tête si petite.
Personne ne vient, alors il est peut-être le seul à l’entendre ?
Sa main se tend mécaniquement vers la table de nuit. Il ne regarde pas. Par peur de comprendre. De réaliser.
Pas ici.
Sûrement qu’il l’avait laissé tomber quelque part dans le désordre.
La mélodie résonne dans la pénombre, insistante.
Il a envie de se lever. Il doit se lever. Dans un instant, il se lèvera. Il se lève déjà.
Son corps reste couché. Inerte.
Ah… Je suis peut-être mort, tout compte fait…
Maintenant, il en a conscience. Ses yeux sont fermés.
Pour maintenant en tout cas. Il saurait le savourer, pourvu que ça dure. Il n’aurait rien pu demander de mieux. Quelqu’un joue du piano dans sa tête.
Non, c’est cette satanée sonnerie.
C’est pour ça qu’il ne voulait pas dormir. Il aurait dû répondre déjà.
Combien de temps cela faisait maintenant ? Seulement quelques secondes ? Une de ces autres minutes ? Une heure, peut-être bien ?
Peut-être bien.
Hier, il avait appris une de ces nouvelles histoires. Elle était si amusante ! Amusante et terrible à la fois… Un petit garçon qui s’était perdu sans le savoir. Un petit garçon perdu dans un corps de grand homme. Il avait attendu, lui aussi…
Peut-être que c’est lui qu’on attendait ?
Peu importe, on ne le ferait pas se lever.
Ce n’est pas son besoin. Ni son envie, ni sa vision.
Il fait froid soudain.
Ou non, il ne le remarque que maintenant. Il a toujours fait froid dans cette chambre. La fenêtre est ouverte sur la nuit flétrissante. Le soleil aime tant lui gâcher ce paysage…
C’est bientôt l’heure de dormir, croit-il.
Tu sais bien que c’est impossible, imbécile…
Sous le joug du roi jaune doivent régner joie et bonheur.
Répondre n’est pas une option.
Une obligation.
Voilà qu’il demande son meilleur acteur.
Le jeune homme enfile son plus beau sourire et se redresse. Ses pieds nus sur le parquet ont ce drôle de bruit qui le surprend. Il n’y avait jamais prêté attention avant.
Il y a des vêtements sales au pied de son lit. Deux tas distincts.
Un pantalon froissé dépasse du sien.
Poche droite, comme c’est drôle. J’aurais presque parié sur l’autre.
Le téléphone y est.
Il sonne toujours.
Satanée sonnerie.
Il devrait la changer un de ces jours.
Oui, un de ces autres jours.
Une mélodie qu’elle aurait choisie elle.
Il l’arrête d’un doigt. Glisse sur l’écran gris et blanc. Il ne lit pas les mots.
Personne ne l’avait appelé finalement.
La porte de sa chambre s’ouvre sans efforts.
Silence. Personne debout.
La salle de bains.
Le tapis de coton réconforte le bruit de ses pieds. Il n’avait plus envie de l’entendre. Il accroche sa main au meuble et tourne le robinet. L’eau coule. Froide. Sur son visage. À peine rafraichi, il se sent déjà sortir de sa stase. Bref coup d’oeil dans le…
Non, le miroir est cassé.
C’est vrai, il est cassé.
À défaut, il se palpe le visage, lentement, passe en revue chaque détail, caresse les cils de ses yeux, trace la ligne subtile de ses lèvres, ressent la finesse de son nez.
Ça a arrêté de trembler dans sa tête.
Une pression légère sur l’interrupteur.
Lueur faible. Faible mais suffisante pour remarquer les traces de peinture sur son bras.
Elle a recommencé.
Il se met à fredonner un air qu’il ne connaît pas.
Lorsqu’il descend les escaliers, il fait bien attention à ce que le bruit ne le suive pas. Des pas étouffés qui n’auront pas d’écho. Une phrase lui vient.
”I step on silent stairs in a quiet rest.”
Seule. Ça ne sert vraiment pas à grand chose, une phrase seule. Il la verrait bien autre part.
Dans la cuisine, il y a quelques tranches de pain de mie et du miel. Une tonne de briques de lait. Pourtant, il est le seul à en boire.
— Tu te lèves tôt pour l’école, on dirait !
Il ne regarde pas.
— L’école ? murmure-t-il pour lui-même.
Son père s’approche. La porte du frigo s’ouvre et il semble y trouver son bonheur. Tirant une chaise sans ménagement, il se laisse tomber contre le dossier, des poches grisâtres sous les yeux et la bouche tordue dans un coin.
- C’est drôle, moi je n’ai jamais été du matin, fait-il remarquer en plantant une cuillère dans son pot de yaourt.
Il se gratte la tête, jette un regard bref au tableau accroché au mur. Une peinture anonyme vendue dans un vide-greniers, paysage simple étendu sur un infini lointain. Il l’aimait bien.
Le jeune homme imite son père, prend place à la table avec une phrase si banale qu’il ne s’en souvient pas au moment de la prononcer. Puis, il se met à penser.
— Quel jour on est ? demande-t-il, cette fois à voix haute.
Son père prend un temps pour réfléchir, les yeux tournés vers le plafond, puis revient à lui.
- Lundi.
- Lundi quoi ?
- Lundi quoi ? Tu veux le chiffre ?
Il fait oui de la tête.
- Lundi 3. C’est le jour de ta rentrée.
- Lundi 3 quoi ?
Son père lève un sourcil, ne sachant s’il cherche à se moquer de lui ou s’il s’agit vraiment d’une question.
- Comment ça, Lundi 3 quoi ?
Ses yeux s’écarquillent.
- Aaaaaah… Tu tiens aussi à ce que je te dise le mois ?
Un autre hochement de tête.
- Septembre, mon fils.
Lundi 3 Septembre.
Le jeune homme frisonne.
Lundi 3 Septembre, mon fils.
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