Chapitre 5 : Laurence

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— Dites ! Vous pourriez faire attention tout de même ! s’indigna Laurence, les mains sur les hanches.

Comme une provocation puérile en réponse à sa complainte, une pelote de vêtements féminins sans appareillement quelconque vint s’écraser mollement contre le mur du fond de la chambre à coucher.

À la porte, un officier blasé à casquette gribouillait sur son registre, glissant quelques phrases succinctes à son talkie-walkie. L’autre, s’occupait de fouiller l’armoire. De fond en comble. Mécaniquement. Aucune sorte d’émotion… Laurence ne soupçonnait de toutes façons pas la police de faire dans la dentelle. Elle n’avait jamais eu une bonne image d’eux, et seulement des mauvaises expériences malencontreuses pour la confirmer.

Elle commençait à perdre patience.

Une nouvelle pelote informe passa à quelques centimètres de son visage, manquant de peu de l’éborgner. Prenant sur elle, la femme fit un pas vers la porte. Sur son passage, l’officier s’écarta et avec un regard de tristesse feinte, faillit lui dire une phrase stupide, qu’elle interrompit juste à temps pour ne pas avoir à lui foutre une gifle.

— Je vais bien, dit-elle. J’ai juste besoin d’un peu d’air.

Elle descendit les escaliers, aussi discrètement qu’elle le put. Elle ne tenait pas à attirer les conversations. Surtout si c’était pour avoir face à elle des têtes de déterrés, qui ne comprenaient pas ce qu’était la vraie peine.

Arrivée en bas, elle tourna délicatement la poignée de la porte d’entrée. Elle s’arrêta quelques instants, et avant de sortir, put saisir quelques mots de l’échange qui avait lieu dans la cuisine.

Ils en étaient encore à se prendre la tête par rapport à la signification de cette fichue lettre…
Il fallait toujours que ce soit compliqué. Pour quoi que ce soit qui avait un rapport avec… elle. Toujours aussi compliqué.

La porte se referma sans bruit. Au moins osa-t-elle le penser, puisqu’aucun de ces agents vêtus de bleu et de noir ne l’avait suivie pour mettre une main sur son épaule. Pour être complètement honnête, elle avait presque peur qu’on ne lui reproche quelque chose. Bien sûr, ce n’était en aucun cas de sa faute, mais on aurait vite fait de croire qu’elle n’était pas réellement affligée, ni triste, ou quoi que ce soit.

C’était sûrement débile, et pourtant…
Pourtant, elle ne pouvait pas s’en empêcher. Aussi clairement qu’un éléphant en plein milieu de la pièce. Son problème, c’était que même la mélancolie et le… le mot stupide qui commençait par un D et la forçait à acheter une nouvelle robe noire, ne pouvaient pas y faire grand chose. C’était encore pire dans ces moments, pour dire vrai.

C’était dans ces moments qu’elle pensait le plus à toutes les choses étranges et incongrues qui n’avaient pas lieu d’être. Comme le fait qu’elle n’invitait plus personne depuis des années, depuis qu’elle s’était mariée à… son mari, et qu’elle laissait des inconnus entrer et saccager comme s’ils étaient en droit de le faire. Ça lui rappelait également cette époque lointaine où, à défaut de pouvoir se comprendre elle-même, elle avait tenté de comprendre l’esprit des gens.

Laurence soupira.
Non pas par agacement.
Plutôt de la fatigue. Cette semaine avait été harassante.

S’éloignant un peu plus du porche, elle se dit qu’elle prendrait bien quelques pas en dehors de cette cloison qu’elle appelait ”maison”. La petite terrasse du jardin et son herbe fraîche la retinrent cependant. Elle opta pour une de ces chaises pliantes en bois de mauvaise facture et, après avoir libéré ses pieds de l’étreinte terrible de ses chaussures à talon, se laissa tomber, avachie. La pensée qu’on pourrait la trouver ici et se poser des questions quant à son attitude lui traversa l’esprit, mais elle la rejeta bien vite.

Au diable, les apparences…

Sa fille. Sa fille…
Laurence aimait bien l’imaginer, souvent, dans les situations dans lesquelles elle se trouvait elle. Sûrement parce qu’elle lui rappelait comment elle avait été dans sa jeunesse. Cette satanée peste asociale et retorse. Elle avait du caractère, c’est sûr.

Mais Laurence l’aimait beaucoup. C’était sa fille après tout. Elle l’aimait beaucoup et s’était mise à avoir peur qu’on puisse en douter. Elle aurait fait n’importe quoi pour le lui prouver un peu plus, mais parfois les mots ne voulaient tout simplement pas sortir. Les mots sont stupides. À quoi servent-ils si on ne peut pas les utiliser aussi bien que comme ils sonnent dans notre tête ?

C’est clair que si sa fille avait été là, cela ferait bien longtemps qu’elle aurait foutu cet imbécile qui fouillait dans ses affaires à la porte à grands coups de pied dans l’arrière-train.
Laurence imagina la scène dans sa tête, et ne put s’empêcher de glousser.

  • Ma fille, ma fille…
    Dans quelle galère t’es-tu encore fourrée ? murmura-t-elle.

Marre de ruminer, elle se redressa sur son siège, et alors qu’elle posait un pied à terre, histoire d’ensuite retourner à l’intérieur, un éclat de voix vint briser le calme du paisible petit quartier résidentiel.

— CHEF ! Je crois qu’on a trouvé quelque chose !

Son sang ne fit qu’un tour.
Elle ne prit même pas le temps de remettre ses chaussures.
Comme une furie, elle manqua presque de démettre la porte de ses gonds quand elle l’ouvrit à la volée. Un homme effaré, la trentaine, laissa tomber le vase qu’il portait, se brisant en morceaux sur le carrelage lorsqu’elle le bouscula sans ménagement. Se jetant à l’assaut de l’escalier, elle gravit les marches, vive comme une rafale. Dans l’embrasure, le gaillard à casquette se jeta de côté sans demander son reste.

Ses mots. J’ai besoin de ses mots.

Au milieu de la pièce, il y avait l’imbécile qui avait crié plus tôt et son supérieur. Elle arracha le tas de feuilles des mains du premier, jetant un regard noir au second.

— Madame, je pense que vous devriez me rendre… commença celui-ci

— Je suis sa mère, l'interrompit-t-elle, glaciale. Je pense avoir le droit de savoir tout autant que vous.

L’homme allait répliquer, mais se ravisa, levant les mains en l’air en reculant en signe de reddition.
Il fit signe à ses hommes de quitter la pièce, mais resta dans un coin.

— Vous comprendrez, j’espère. Ce ne sont que des précautions . Il s’agit de preuves à conviction.

Au contact du papier, la femme semblait avoir retrouvé un peu de son calme habituel. Son regard s’était empreint d’une lueur singulière. Comme un mélange de désespoir sourd et de résilience. Du bleu. Un bleu indélébile au creux de ses pupilles.

Fixée sur les pages, elle marmonna :

Peu m’importe, tant que vous me laissez lire ses mots.

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