Chapitre 6

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Le jeudi suivant, Lisa se rendit à l’atelier de Leonard. Le cœur en joie, elle circulait dans les rues escarpées et tortueuses de Florence le pas léger. L’atelier se trouvait dans une petite rue parallèle à la place del Duomo à peine 10 minutes à pied de chez elle. Elle avait refusé que Anna l’accompagne, provoquant une remarque acerbe de son mari mais qui la laissa faire quand même.

Les talons de ses bottines résonnaient sur les pavés de la rue. Du linge pendait aux fenêtres, des odeurs de soupe traversaient les murs épais. La vie explosait là à plein nez. Elle se sentait bêtement vivante, nourrit par l’ambiance. Un sentiment de liberté l’habitait. Devant la porte de l’artiste, elle frappa de petits coups comme si elle ne voulait pas déranger. Elle sembla attendre là une éternité avant que Léonard, lui-même, lui ouvrit la porte. L’atelier était d’une taille modeste. L’artiste semblait avoir déjà tout préparé. La chaise où elle poserait, la toile posée sur son tréteau, les crayons sur la table qui jouxtaient la toile. A côté de son siège, une petite table avec un panier rempli de raisins. Elle en arracha un grain de sa grappe et laissa couler le sucre juteux au fond de sa gorge. La saveur la renvoya dans son enfance. Le raisin avait toujours été son fruit préféré. Elle avait joué, couru dans les vignes. Souvent elle s’y était caché pour échapper au monde.

Sa rêverie prenant fin, elle s’installa sur la chaise qui n’attendait qu’elle. L’artiste exigeant, n’était pas convaincu de la lumière, il la fit bouger plus de 5 fois avant de trouver l’angle et la lumière adéquats. Elle se trouva de biais, le visage légèrement tourné vers Léonard. En même temps que le luth laissait virevolter les premières notes de musique qui devait la distraire, Léonard mit les premiers coups de crayons. L’atmosphère devenait intense sous le regard de Léonard. Lisa n’osait presque plus respirer de peur que l’artiste n’immortalise une mauvaise expression. Le temps était presque comme suspendu, arrêté. Le recueillement de l’instant plaisait à Lisa. Sa nature rêveuse était en pleine création. Elle imaginait sans se soucier de rien d’autre.

Elle n’entendit pas le claquement de la porte. Elle remarqua seulement le sursaut de Léonard qui laissa son crayon suspendu dans les airs. L’apparition qui venait de surgir aurait très bien pu faire partie de sa rêverie solitaire. L’homme, si tant est que la personne fut de ce genre, qui venait d’entrer, telle une tornade s’arrêta net, les yeux rivés sur son visage. Son allure avait quelque chose d’angélique. Ses boucles blondes tombant sur ses épaules, ses yeux bleus comme un ciel d’été, ses traits fins et sa bouche charnue n’auraient pas dépareillés comme image céleste sur la voûte de la chapelle sixtine. L’innocence du visage contrastait avec le charisme qui émanait de sa personne. Lisa n’eut aucun mal à le trouver beau. Yeux dans les yeux, ils se dévisageaient, le temps suspendu dans cet instant de contemplation. Léonard interrompit l’intense moment en invectivant le nouveau venu.

« Salai, tu es en retard. »

Lisa observait avec une certaine délectation, les émotions qui traversait le visage de ce « Salai ». Agacement, émerveillement et respect se faisait face.

« Dona Lisa, laissez-moi vous présenter Salai mon assistant. »

Salai se courba dans une révérence forcée. Léonard lui demanda d’observer la toile et ses premiers coups de crayon. L’homme ne bougeait pas et continuait à la dévisager d’une manière si intense qu’elle sentit ses joues la brûler. Les notes de musique intensifiaient l’instant. Finalement, Salai vint se placer derrière son maître. Il admira les premiers coups de crayon.

« Pour le moment cela ne lui rend pas justice »

Léonard haussa les sourcils aussi hauts qu’il le pu. Les choses lui échappaient.

Sans vraiment l’avoir voulu, elle sourit à Salai. Un sourire timide. Salai s’exclama :

« Voilà, c’est tout à fait ça. Il faut immortaliser ce sourire. »

Léonard regarda tour à tour son disciple et son modèle. Il acquiesça. Il venait de trouver l’essence du portrait.

Salai s’approcha d’elle. L’artiste qu’il était ne pouvait pas détacher son regard de la beauté froide qui lui faisait face. Il savait que Léonard avait besoin d’argent et qu’il ferait tout pour subvenir à ses besoins, y compris peindre des tableaux privés. Mais face à la beauté assise face à lui, il comprenait mieux son engouement pour celui-ci. Salai était de ces hommes qui ont une sensibilité exacerbée, presque féminine. Il s’approcha de la chaise où elle était assise, lui prit la main pour la porter à ses lèvres.

« C’est un honneur madame »

Et il s’éloigna retournant à ses occupations. Lisa le suivi du regard et passa la séance à l’observer de loin alors qu’il faisait des retouches sur un tableau dans le fond de la pièce. Son esprit curieux se posait milles et une question sur le disciple de Léonard. Elle ne pouvait empêcher ses yeux de se poser sur lui. Son charisme rayonnait dans toute la pièce. Par moment, il lui lançait des œillades rapides qui se voulaient discrètes. A chaque fois, Lisa détournait son regard faisant mine de ne pas le voir.

La séance se termina sans qu’ils n’échangent d’autres mots. Lisa fut surprise d’entendre Léonard demander au dénommé Salai de la raccompagner. Elle tenta de refuser mais visiblement Léonard avait promis à son mari de ne pas la laisser rentrer seule. Une prévenance compréhensible car avec le soleil tombant, les rues n’étaient plus sûres. Elle ne put faire autrement que d’accepter. Salai avait une conversation plaisante, assez volubile. Lisa l’écoutait en silence. Il la laissa devant sa porte exprimant son impatience à la revoir la semaine prochaine. Ce franc parlé la laissa interdite sur le pas de sa porte. Elle resta un moment à le regarder disparaître dans la pénombre.

La semaine de Lisa s’étendit entre rêve et réalité. Son esprit voguait dans le souvenir des regards échangés avec Salai. Elle cherchait à en comprendre la signification. Cette attirance lui était étrangère et la laissait perplexe. Elle craignait même que sa nature romantique s’invente une histoire impossible. Sa vie de famille remplissait le temps qui passait avec langueur. Sa réalité la rendait fatiguée. Rien ne venait allumer l’étincelle en elle. Pourtant, elle sentait bien le feu qui couvait à l’intérieur. Son seul problème était qu’elle ne savait pas pourquoi ce feu crépitait étouffé.

Le jeudi suivant, elle sortit de chez elle, le cœur battant comme une enfant impatiente. Son cœur se fit plus bruyant lorsqu’elle aperçut Salai qui l’attendait au bout de sa rue. Accoudé au mur, les bras croisés sur sa poitrine, il l’observait. L’intensité qu’il mettait dans sa contemplation lui fit rosir les joues. Lisa espéra qu’il ne le remarquerait pas. Arrivée à sa hauteur, son sourire énigmatique, lui montra qu’il lisait curieusement bien en elle. Elle entreprit le chemin vers l’atelier en l’écoutant bavardé.

Elle reprit sa place sur la chaise devant le chevalet. Sagement, elle observait Salai. Elle était étonnée de son attirance, c’était la première fois que cela lui arrivait. Elle n’avait jamais rencontré d’homme qui avait trouvé grâce à ses yeux. Et ce sentiment confus et brouillon qui l’habitait la troublait au plus haut point. Pourtant, rien n’y faisait, elle ne pouvait pas détacher ses yeux de l’aimable figure. Salai continuait de lancer des œillades à Lisa sans pour autant oublier sa mission. Il devait visiblement retoucher un tableau et faire les mélanges de couleurs adéquats. Sa concentration la fascinait. Salai s’adressait à Léonard la main sur l’épaule, la bouche collée à son oreille. Elle ne savait pas ce qu’ils se disaient. Elle aurait volontiers imaginé des conseils échangés mais les regards semblaient amusés. Quelque fois, elle se sentait mal à l’aise comme s’ils se moquaient d’elle. Ou comme si elle était de trop.

Chaque fois que Salai la raccompagnait, il s’intéressait à qui elle était, ses états d’âme, son avis sur l’art. Elle prenait plaisir à cet échange. Personne ne s’était préoccupé de ce qu’elle pensait vraiment et Salai restait une exception agréable.

Plus elle participait à ces séances et plus elle s’attachait à l’ange Salai. Ses rêves prenaient des tournures à peine avouables. Ses confessions devenaient de plus en plus fréquentes. Mais rien n’y faisait. Salai s’était ancré dans son esprit, dans ses rêves et dans ses pores. Chaque frôlement, qu’il prenait plaisir à multiplier, était un véritable crépitement sur sa peau. Léonard semblait avoir repéré leurs subtils échanges et paraissait contrarié de la situation.

Ce jour-là, en la raccompagnant, Salai se fit plus insistant, du moins plus clair sur ces intentions. Il exprima clairement son attirance envers sa personne. L’éloge qu’il lui fit la laissa pantoise. Ses cheveux sombres aux reflets acajou le transportaient dans les couleurs d’automne qu’il affectionnait par-dessus tout. Ses yeux bruns veloutés l’ensorcelaient de leur tendresse. Sa bouche vermeille appelait les baisers les plus torrides. Bref, elle était une tentation pour lui. Elle ne répondit pas à cette déclaration, elle ne le pouvait pas. Elle était une femme mariée et avait juré fidélité. Pourtant, son corps semblait dire tout autre chose. Ses joues s’enflammaient, sa peau frissonnait, la moiteur de son intimité ne mentait pas. L’obsession qu’elle vouait à cet homme, la troublait au plus haut point. Pour conjurer cette obsession, elle s’était mise en tête de séduire son mari.

Elle le savait insatiable dans tout ce qui avait trait à la chair. Elle en avait souvent fait les frais. Elle espérait pouvoir ressentir les crépitements avec lui. Surtout, elle voulait qu’il lui fasse oublier le jeune homme qui l’intoxiquait. Elle s’autorisa à revêtir la plus fine et transparente de ses chemises et osa rejoindre son époux dans sa chambre. Il était étendu, faiblement éclairé par la lueur d’une bougie qui arrivait vers sa fin. Arrêtant la lecture qui l’occupait, il leva les yeux vers elle. Son regard était appréciateur et elle aima le plaisir qu’il lui procura. En la regardant, il se redressa sur l’oreiller, un sourire carnassier aux lèvres. Elle tremblait imperceptiblement. Sa confiance en elle était plus que limitée mais elle bomba le torse révélant sa poitrine qui pointait suggestive. Arrivée vers l’imposant lit sculpté, elle posa un genou sur le matelas. Son mari l’attira sur lui violemment. Relevant sa fine chemise au-dessus de sa tête. Il la bascula sur le dos et s’insinua entre ses cuisses sauvagement. Elle avait voulu des caresses, de la tendresse, du désir. Elle n’avait eu que l’envie brute et égoïste. Elle le laissa faire sans rien dire. Comment aurait-il pu en être autrement. C’était elle qui était venu à lui. Elle ne ressentit rien. Son esprit dériva vers Salai. Salai qui avec le plus petit effleurement déclenchait un volcan en elle. Son mari n’arrivait même pas à allumer la bougie. Dans un grognement, il s’abattit sur elle, mordillant son cou. Elle se tourna sur le côté, n’osant pas sortir du lit. Il se colla à son dos. Sa nudité la mettant mal à l’aise. Elle eut du mal à trouver le sommeil et quand il vint, son rêve l’emmena dans les bras de Salai.

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