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Le soir ce fut un repas de fête, ce qui faillit me causer une sévère indigestion. Maman s’imaginant que ma seule nourriture durant toutes ces années s’était limitée à des haricots froids m’avait en effet déjà gavé tout l’après-midi de pâtisseries en tout genre au bon goût de cannelle et qui prennent leurs aises une fois arrivées dans l’estomac. En conséquence, j’ai sué comme jamais cette nuit là, à laisser passer les heures sans trouver le sommeil. Heureusement, mon corps savait mieux y faire que moi et, lassé de me voir gesticuler – ou plutôt tenter de le faire – il avait fini par me mettre K.O.

Au final, et malgré ce début difficile, j’aurais sans doute pu passer une nuit correcte si Kaitlyn ne m’avait pas tiré du lit au matin. À dire vrai elle avait l’air déçu de m’y trouver.

— Il paraît qu’il y en a qui mettent des semaines avant de pouvoir dormir dans un lit.

Je grognais en guise de réponse. Par chance elle avait les mains occupées ce qui l’empêcha d’être tentée de me tirer les draps.

— Le frère de Sara a passé onze jours à dormir sur le plancher avant de pouvoir retrouver un matelas, poursuivit-elle en posant son plateau sur ma table de nuit. Il n’avait pas passé une nuit sur un sommier depuis son départ, précisa-t-elle accusatrice.

Ses poings s’étaient collés sur les hanches, façon de me dire qu’elle attendait une explication.

— Je ne vois pas l’intérêt de gagner une guerre si ce n’est pas pour s’assurer un lit par la suite, répondis-je.

Elle leva les yeux au ciel, ce qui, la tête enfoncée dans l’oreiller, fut difficile à voir mais je la connaissais suffisamment pour le savoir.

— Qu’est ce que c’est ? lui demandai-je, l’œil rivé sur le plateau, l’autre encore endormi sous les draps.

— La solution à tes problèmes, me répondit-elle fièrement en me tendant une grande tasse pleine d’un liquide couleur rouille semblable à ce que les anglais pouvaient s’enfiler à longueur de journée. La seule différence était que nos cousins veillaient d’ordinaire à maintenir les herbes hors de la boisson. Ma remarque traversa Kaitlyn sans même la faire ciller et je dus me résoudre à faire passer le liquide au travers de ma gorge. J’eus l’impression d’avaler un barbecue mais compte tenu de l’effet salvateur que la mixture eut quelques instants plus tard sur mes boyaux l’expérience pouvait être considérée comme bénéfique.

*

— Tu aurais pu me ramener quelque chose, me reprocha faussement Kaitlyn tandis que le bacon croquait sous mes dents. Genre une médaille, ajouta-t-elle avant que j’eus le temps de finir de mâcher.

Sept ans de chamailleries à rattraper et elle ne prenait pas de retard.

— J’y penserai pour la prochaine, répondis-je avant d’aventurer mon index au fond de la bouche pour y décoincer ce qui semblait être une feuille de romarin.

Notre petit jeu ne fut pas du goût de notre mère qui fusilla ma sœur du regard, après quoi Kaitlyn m’adressa un de ses fameux clins d’œil. Je l’ajoutai à ma collection comme d’autres épinglaient les papillons.

— Tu lui as vraiment manqué tu sais, fit ma mère en s’essuyant les mains sur son tablier.

Son regard était gonflé d’inquiétude. Il resta collé à Kaitlyn même après que celle-ci eut disparu derrière les murs. Je me demandais combien de fois durant toute cette guerre ma mère avait ainsi fourré les mains dans son tablier les yeux faussement collés sur l’horizon. La réponse commença à me donner le cafard et comme je ne savais plus guère comment on sert sa mère dans les bras j’ironisai, le sourire encore plein de jaune d’œuf :

— Si tu savais ce qu’elle m’a fait boire ce matin tu ne dirais pas ça.

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