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Kaitlyn était nerveuse, cela se sentait. Pire que tout : elle ne parlait pas. En d’autres termes elle savait que quelque chose s’était mal passé. Je ne m’étais bien entendu pas attardé après que le type ait fini au sol. Je connaissais suffisamment mon entraînement pour savoir que c’était fini pour lui. J’avais filé avant que la plupart des gens ne réagissent. Heureusement, nous étions arrivés trop tard pour trouver de quoi nous garer à proximité. Heureusement car cela avait évité à Kaitlyn de me voir sortir en courant. J’avais calmé mes jambes cinquante mètres avant la voiture histoire de donner le change. Cela avait bien été la première fois que j’avais remercié ces années levé à cinq heures du matin pour aller se geler les os à trotter six kilomètres : pas une pointe de rougeur sur mes pommettes, pas un écart de souffle n’avait trahi mon échappée. Pourtant Kaitlyn savait. Elle n’avait pas vu la scène ni même le couteau, rien au moment où elle avait quitté la maison ne pouvait trahir le drame. Le sang ? Certes, ce genre de manœuvre est salissante. Je n’avais pas pris la peine de vérifier si une quelconque éclaboussure était venue tâcher mon uniforme. À vrai dire j’avais espéré en arrivant que Kaitlyn aurait repris sa place à l’arrière. Un petit jeu entre nous : elle s’était mise sur son trente-et-un ce soir là, aussi l’avais-je taquinée en l’appelant duchesse. Elle m’avait pris au mot en me faisant jouer les chauffeurs. Elle n’avait semble-t-il plus cœur à s’amuser : je l’avais retrouvée sur le siège avant en arrivant à la voiture. Tant pis, il faisait suffisamment sombre dans l’habitacle de toute manière. Par chance elle ne fit pas claquer la flamme de son briquet. Pas envie de fumer, ça aussi c’était mauvais signe : j’étais rentré depuis suffisamment longtemps désormais pour savoir qu’elle n’était pas contre s’en griller une. Peut-être que je m’inquiétais trop. Entre la fatigue et l’alcool il y avait des dizaines de raisons pour expliquer son mutisme. D’ailleurs, il fallait que je me détende moi aussi : ma conduite était trop crispée. Je n’avais personne aux trousses, cela ne servait rien d’éveiller les soupçons. Je mis la radio pour tuer le silence. Mauvaise idée. Tourner ce satané bouton me laissa des sueurs mal placées dans le dos, de celles qui viennent vous chatouiller lorsqu’on tente de dissimuler quelque chose.

*

Kaitlyn resta tout aussi muette une fois rentrée. Je la laissai dans sa chambre sans trop insister, histoire de filer à la salle de bains pour inspecter mes vêtements. Un long trait d’hémoglobine, comme une giclée de stylo, zébrait le tissu. Je me déshabillai rapidement et fourrai le tout dans le lavabo avant de laisser le robinet cracher de l’eau bouillante. Il y eut un craquement derrière moi. Kaitlyn était sur le seuil. Impossible de savoir depuis combien de temps elle se tenait là ni si elle avait aperçu la tache. J’inventai une excuse mal ficelée de verre de punch renversé sur ma chemise pour justifier mon empressement à me lancer dans une lessive. Elle ne releva pas.

— Tu me dirais s’il s’était passé quelque chose ? m’interrogea-t-elle gravement.

Je la pris dans mes bras et poursuivis dans le mensonge en avouant une simple bagarre entre moi et son soupirant histoire de lui apprendre la politesse. Au lieu de m’engueuler comme je m’y attendais elle se mit à pleurer. Je la reconduisis dans sa chambre pour l’aider à se mettre au lit.

— Tout ce que je voulais c’était que tu te changes les idées, que tu vois de jolies filles, que tu t’amuses un peu... sanglota-t-elle contre mon épaule.

— Ne t’en fais pas, je ne serai pas le dernier à lui mettre une paire de baffes, il s’en remettra.

Elle renifla en guise de réponse.

— Tu ne vas pas repartir, hein ? me demanda-t-elle les yeux brillants et le nez humide.

— Et puis quoi encore ? Pour que tu me piques ma chambre ? plaisantai-je faussement afin d’échapper à son regard.

Elle me repoussa sans répondre, prenant ses jambes dans les bras avant de jeter ses yeux dans le vide. Visiblement elle gobait difficilement mes mensonges.

— Mets-toi en pyjama et je te prépare une de tes potions magiques, négociai-je en sachant bien que j’avais toutes les chances du monde de la retrouver dans la même position à mon retour.

Je sais, vous allez me dire que ce n’est pas joli de droguer sa petite sœur mais moi je vous répondrais que c’est encore moins propre de la laisser voir griller son frère sur la chaise. Les médecins nous avaient filé une quantité de pilules avant de nous renvoyer chez nous, tout un cocktail pour chasser les mauvais rêves et les insomnies. Le plus long fut de lui faire avaler la mixture et je dus payer de ma personne en m’envoyant une flopée d’herbes à travers le gosier pour l’inciter à en faire de même. Après l’avoir glissée sous les draps je me préparai une valise en vitesse mais ne sachant même pas où j’allais filer je trouvai ça bête et laissai tout en plan, n’embarquant que mon uniforme qui, même essoré, n’arrêtait pas de suinter à travers le sac dans lequel je l’avais fourré. J’eus un blocage arrivé dans l’entrée. Pas vraiment le bon réflexe dans ce genre de situation : plus j’attendais, plus je risquais ma peau. Faut croire que je n’étais pas doué pour ce genre de truc. Laissant mon sac sur le carrelage je remontai dans ma chambre, décidé de laisser un petit mot à ma sœur. Au bout de longues minutes je parvins à lui laisser la seule phrase qui ne me faisait pas chialer : « La prochaine fois je reviendrai avec une médaille. » Elle allait me détester c’était sûr.

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