Hugues 1

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Le tournoi de Carrinville commençait dans une heure. J'avais hâte que cela finisse pour que je puisse reprendre la route. Je détestais rester trop longtemps en ville. Je détestais les villes en fait, et surtout leurs habitants. Ils m'adulaient pour mes prouesses lors des tournois, et je les méprisais pour leur faiblesse. J'avais acquis une certaine notoriété dans le royaume de Popincourt grâce à mes talents de bretteur. Ils m'appelaient le chevalier sans-cœur. J'ignore pourquoi ils m'avaient affublé de ce sobriquet et je n'en avais cure. Seul m'intéressait les cinq-cents pièces d'or en récompense du tournoi à l'épée. J'avais regardé la liste des participants, je savais que j'allais gagner. 

Avant de me préparer, je partis faire un tour dans les écuries pour retrouver ma jument Providence. C'était mon compagnon de voyage et ma meilleure amie, ma seule amie pour ainsi dire. 

– Es-tu prêt pour ton combat Hugues ? Me dit-elle.

– Bien sûr, ça ne devrait pas durer très longtemps, je connais la plupart de mes adversaires, ils sont faibles.

– Tu ne devrais pas être autant sûr de toi, ça va te jouer des tours un jour.

– Un jour peut-être, mais pas aujourd'hui. Je t'ai apporté une pomme, je sais que tu en raffole.

Pendant que Providence se régalait de son mets préféré, mon regard se porta sur un palefrenier qui nous dévisageait. 

– Tu n'as jamais entendu un Popincourt parler à son cheval ? Lui criais-je.

– Non m'sieur, désolé de vous avoir dérangé.

Le garçon sorti de l'écurie le visage rouge comme une pivoine. 

– Tu devrais essayer d'être plus gentil Hugues, ce jeune garçon s'est bien occupé de moi. Dit Providence.

– Je n'aime pas qu'on nous regarde comme ça. Bon, je dois me préparer pour le tournoi, je reviens dès que possible.

Je sortais des écuries, je cherchais Enguerrand, mon écuyer. Il devait certainement être en train de flâner quelque part, ou de faire la cour à la première venue. Après quelques minutes, je le retrouvais sur la place du tournoi, une petite foule était rassemblée autour de lui. Je m'approchais discrètement pour écouter. Il contait ma vie aux villageois, ma jeunesse à Merville, où j'appris à manier l'épée, la bataille de fort-sommeil, où avec un petit contingent d'hommes, nous avions mis en déroute une petite armée dix fois supérieure en nombre, et enfin, les nombreux tournois où je m'illustrais comme la plus fine lame du royaume. Il ajoutait à sa guise des exemples, souvent erronés, pour montrer ma bravoure et ma force. Enguerrand adorait parler, peut-être même trop. Il n'hésitait pas non plus à exagérer son rôle dans mes péripéties, certainement pour s'attirer les faveurs d'une damoiselle écervelée. Cela fonctionnait, les pauvres gens buvaient ses paroles et la foule s'agglutinait pour entendre le récit du chevalier sans-cœur et de son fidèle écuyer. Il omettait forcément de raconter comment j'avais ruiné ma famille et que c'est pour cela que j'errais de villes en villes pour participer à ces tournois ridicules. 

Alors qu'il mimait comment j'avais désarmé d'un coup de pied le chevalier de Méricourt en finale du tournoi de Richebourg, le regard d'Enguerrand croisa le mien. Il bafouilla quelques paroles, puis expliqua à sa petite assemblée qu'il était temps pour lui de prendre congé. Il me regarda avec son grand sourire communicatif.

– Tu as fini de faire l'idiot Enguerrand ? Mon équipement est-il prêt ? 

– Oui, il est prêt. Et je ne faisais pas l'idiot Hugues. Grâce à moi, tous les habitants de la région parleront du chevalier sans-cœur. On écrira des chansons sur tes exploits et les enfants rêverons de te ressembler. 

– Je n'ai que faire de tes récits et des chansons, je suis là pour faire ce que j'ai à faire, et partir.

Enguerrand ouvrit la bouche pour répondre, mais comprit à mon regard noir que je ne souhaitais pas continuer cette conversation. J'avais un tournoi à gagner. Il me mena là où se trouvait mes armes et armures. Les règles du tournoi étaient strictes, tout le monde avait le même équipement. Un heaume, une cotte de maille, une épée émoussée et un bouclier en bois. Le seul signe distinctif entre les participants concernait les armoiries dessinées sur le bouclier. La mienne, comme tous les Popincourt représentait deux chevaux galopants de face sur fond bleu. Les combats se faisaient en duel dans des cercles d'environ huit mètres de diamètre. Sortir du cercle disqualifiait automatiquement le combattant, de même que tomber ou mettre un genou à terre. Sinon, il fallait dix points pour gagner le duel. Une touche à la tête rapportait trois points, tandis qu'une touche au torse en rapportait un. Si au bout de trois minutes de combat, les combattants n'avaient pas atteint dix points, celui qui avait le plus de point remportait le combat. S'il y avait égalité à la fin des trois minutes, la victoire se jouait à la mort subite. Jusqu'aux quarts de finale, les combats se déroulaient quatre par quatre. Ensuite, pour les phases finales, cela passait à un par un.

Nous étions trente-deux participants en lice, cela faisait donc cinq combats pour arriver aux cinq-cents pièces d'or. 

Le comte Robert de Carrinville et sa femme Aliénor étaient présents sur la tribune centrale pour assister aux combats. Aliénor et moi avions eu une liaison lorsque nous étions jeunes, et pour cela, le comte me détestait. Il allait encore plus me détester lorsque je lui ferais cracher ses cinq-cents pièces d'or. 

Les gradins étaient remplis, les gens se bousculaient pour avoir la meilleure vue. De mon côté, j'étais prêt à en découdre. Mon premier adversaire était un chevalier local, Joffrey Coustille, que j'avais déjà rencontré et battu à maintes reprises. 

Lorsque j'entendis mon nom, je me mis en place pour mon premier combat. Je fixais les yeux de mon adversaire, et j'y vis la peur. Il avait déjà perdu avant même le début du combat. Il le savait. Le silence régnait, puis le son d'un cor signala le début du combat. Le chevalier Coustille restait en position, son bouclier braqué devant lui. J'avançais tranquillement jusqu'à lui. Il semblait trop sur la défensive. Je voulais le forcer à attaquer. J'entendais les encouragements d'Enguerrand, cela me fit sourire. Je m'arrêtais à environ un mètre cinquante du bouclier adverse. Sur celui-ci, on pouvait voir deux épées croiser le fer sur fond blanc. Comme il ne bougeait toujours pas, je baissais ma garde. Toujours rien. J'envoyais donc un coup de pied dans le centre du bouclier. Celui qui se disait chevalier recula et manqua de tomber sur les fesses. J'avançais pour l'acculer sur le bord de la zone de duel. Il se remis en place, bouclier devant lui. Je levais le pied une deuxième fois pour feinter un autre coup de pied, il crut y voir une opportunité, se décala et ouvrit sa garde pour tenter de m'asséner un coup d'épée à la tête. J'esquivais sans difficulté, et me servis de la vitesse de sa frappe pour lui infliger une balayette qui le mis immédiatement à terre. Le public hurla de joie de voir son chevalier préféré gagner aussi facilement. 

Mes deux duels suivants furent du même acabit. Le premier pris un coup de bouclier en plein torse et tomba a la renverse. Le deuxième tenta de me charger. Après avoir esquivé, je lui envoyais un coup d'épée sur l'arrière de son heaume qui l'envoya valdinguer dans la tribune principale. Il finit sa chute au pied du comte Robert de Coustille pour le plus grand plaisir de la foule. J'en profitais pour faire un clin d'œil à Aliénor qui la fit rougir de plaisir autant qu'il fit rougir le comte de colère.

Me voici en demi-finale. Mon adversaire était Richard Popincourt. Je n'avais jamais entendu parler de lui. Bien que je n'aie aucune idée du lien de parenté entre nous, affronter un autre possesseur du Don Popincourt me plaisait toujours. C'était un jeune fougueux qui s'était débarrassé facilement ses premiers adversaires. Le combat risquait d'être intéressant. 

Le cor résonna, et le duel commença. Richard Popincourt était doué, et il avait certainement étudié ma façon de combattre. J'allais devoir innover. D'un coup circulaire parfaitement exécuté, Je réussissais à le toucher à la tête. Trois points pour moi. Dans la foulée, il enchaina sur un coup d'estoc qui me frappa en plein poitrail. Ensuite, un coup de taille me surpris et me toucha aux côtes. Je menais trois à deux. Après quelques assauts non concluants, le cor résonna une nouvelle fois, indiquant la dernière minute de combat. J'adoptais une stratégie défensive pour conserver mon avance. Richard se démenait comme un beau diable, mais n'arrivait plus à percer ma garde. Alors qu'il ne restait plus que quelques secondes de combat, mon adversaire se stoppa. Son regard se porta quelque part derrière moi, puis revint vers moi. Il me sourit, puis s'élança dans une charge grossière et inutile, une ultime tentative désespérée de gagner notre duel. Je fis un pas en arrière pour déjouer l'attaque. Quelque chose heurta alors l'arrière de mon mollet gauche, je perdis mon équilibre. Richard en profita pour me rentrer dedans d'un coup d'épaule puissant qui m'envoya mordre la poussière. J'étais à terre, complètement abasourdi. Un gros chat roux me regardait avec satisfaction. C'était lui qui m'avait fait chanceler. Le matou s'était positionné derrière moi pour me faire tomber. Richard échangea un regard avec l'animal et il se carapata derrière la tribune. C'était son acolyte de Don Popincourt, c'était certain. J'étais furieux. Richard me tendit la main pour m'aider à me relever. Je la dégageais l'un coup sec. 

– Il a triché ! Criais-je.

Je regardais en direction du Comte, il ne me répondit pas, il riait comme un bossu. Le reste de la foule se gaussait également. La victoire fut décrétée pour Richard, et je restais là, en plein désarrois. J'étais empli de rage, j'aurais pu décapiter tous les manants qui se moquaient de moi si Enguerrand n'était pas venu me calmer.

– Partons d'ici. Dis-je.

Enguerrand m'aida à me mettre debout, puis je partis en direction des écuries retrouver Providence la tête basse et sous un ricanement général. Je voulais foutre le camp d'ici au plus vite.

Arrivé aux abords des écuries, je n'arrivais pas à me calmer. La vision du comte Robert s'esclaffant de mon malheur passait en boucle dans ma tête. Et ce tricheur de Richard. Depuis quand un Popincourt s'acoquinait avec un chat. C'était connu que les chats n'étaient pas dignes de confiance. Nous autre, les Popincourts, possédions le Don de parler aux animaux. Mais nous ne pouvions pas parler à tous les animaux, il fallait que l'animal fasse le premier pas, sans quoi, il nous est impossible d'instaurer le dialogue. Je ne pouvais pas laisser passer cet affront. Alors que j'allais entrer dans l'écurie, une idée germa dans ma tête.

– Finalement Enguerrand, je crois que nous assisterons au banquet de ce soir.

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