Rose 1

6 minutes de lecture

J'entendais le souffle du sanglier, il s'était éloigné du reste sa troupe. Les sangliers aimaient bien sortir le soir, juste avant le crépuscule. Celui-ci était à environ vingt mètres. Il ne m'avait pas repéré. Je bandais doucement mon arc, puis restais immobile à attendre le moment propice. Il s'était arrêté, je l'entendais manger. Au bruit de mastication, cela devait certainement être des champignons. Il était derrière un bosquet et je ne pouvais pas le voir, mais je pouvais le localiser très précisément. Le vieux Hibbert me disait qu'il fallait toujours voir sa proie avant de tirer, je n'ai jamais vraiment compris pourquoi il disait ça. Enfin, je pus apercevoir l'animal, Il s'était légèrement décalé sur la droite et une touffe de poils bruns apparue entre les feuillages. J'ajustais doucement ma cible, Je tirais mon bras jusqu'à sentir la tension maximale de la corde en chanvre de mon arc, puis relâchait. La flèche partit se planter sur le sanglier, dans l'endroit exact où j'avais visé. Dans un grognement de furie, le sanglier s'enfuit à toute allure. Je l'avais touché sur le flan, il était blessé, mais pas mortellement. Je sprintais dans sa direction, je me faufilais entre les arbres, sautais au dessus des racines. Je me rapprochais de la bête, son souffle parvenait jusqu'à mes oreilles, l'odeur de son sang se faisait de plus en plus forte. Quand soudain, une sensation de brûlure intense me parcourra la joue. je m'arrêtais net et mettais les genoux à terre. La douleur était si forte que les larmes me montaient aux yeux. Je posais ma main sur ma joue, puis regardais les gouttelettes de sang ruisseler sur celle-ci. Je levais les yeux, et découvrais la source de ma douleur. Une simple branche m'avait éraflé le visage.

Depuis quelques semaines, je sentais l'éveil du Don. Mes cinq sens devenaient de plus en plus affutés, mais en contrepartie, le moindre choc déclenchait des douleurs démentielles. Je pouvais plus dire si ce Don était une bénédiction ou une malédiction. Comment pourrais-je venger ma mère si la moindre petite branche suffisait à me terrasser. Je me sentais nulle et inutile. Je restais là, prostrée dans la forêt, à attendre que la douleur passe.

Après quelques minutes, j'avais moins mal, je me mettais donc en route pour rentrer. La nuit était tombée. Je regardais le magnifique ciel étoilé, j'entendais le bruit des vagues au loin. L'odeur de la soupe de carottes et de pommes de terre me montait aux narines. Nahabi m'attendait en faisant la cuisine. Je vivais seule avec lui depuis que les hommes de ma mère m'amenèrent ici. Nous étions installés dans une petite maison à l'écart du village de Millart. La vie sur l'île de Castalie était douce et monotone. Ils n'interféraient jamais dans les intrigues politiques de Théia, ils préféraient au contraire vivre tranquillement en étant ignorés du reste du continent.

J'entrais dans la maison, Nahabi tournait la soupe. Sans se retourner, il me parla de sa voix grave.

– Comment s'est passée la chasse Esper ?

– Pas très bien, je me suis fait mal en pourchassant un sanglier.

Il laissa la soupe pour le moment et se dirigeait de mon côté, son visage anguleux braqué sur moi.

– Combien de fois t'ai-je dit de ne pas courir dans la forêt ? C'est dangereux pour toi.

– Tout est dangereux pour moi de toute façon ! Je ne peux rien faire, et c'est de pire en pire. 

– Nous parlerons de cela une autre fois, pour l'instant, j'ai besoin que tu ailles au village.

- C'est toujours pareil avec toi, tu fais comme si tout allait bien.

–Ca suffit ! Cria Nahabi.

La voix forte de Nahabi fit naitre une migraine sur le devant de mon front. Sans ajouter mot, je partis me réfugier dans ma chambre. Nahabi du s'en rendre compte et ne me retînt pas. Je m'allongeais dans mon lit, en position fœtale, les yeux fermés, les mains sur les oreilles, et j'attendais que mon mal de tête passe. Nahabi entra discrètement dans la pièce. J'ouvrais un œil. Il me tendais un bout de tissu. Je le pris dans mes mains et Nahabi sorti de ma chambre sans rien dire. J'observais la pièce de tissu, c'était une sorte de cagoule de laine renforcée par du liège au niveau des oreilles, par un morceau de bois pour les yeux et avec un pince-nez intégré. Elle était complètement fermée à l'exception d'un interstice au niveau de la bouche, pour me permettre de respirer je suppose. J'enfilais de suite la cagoule. Je commençais les exercices de respiration que m'avait enseigné Nahabi pour calmer la migraine. La cagoule fonctionnait bien. Elle atténuait fortement ma vue, mon odorat et mon ouïe. Je continuais de travailler sur mon souffle pendant quelques dizaines de minutes, en lâchant quelques larmes au passage à cause de la douleur. Puis, lentement, la migraine se dissipa. Elles étaient de plus en plus fréquentes et de plus en plus intenses. Nahabi me disait que c'était en lien avec l'éveil de mon Don. Mes sens étaient si puissants qu'ils envoyaient trop d'informations à mon cerveau, ce qui engendrait les maux de tête.

Je sortis penaude de ma chambre. Nahabi m'attendais sur une chaise au coin du feu.

– Tu voulais que je passe au village ? Dis-je.

– Il est trop tard aujourd'hui, nous ferons cela demain. Ce n'est pas grave. Qu'as tu pensé de mon isoleur de sens ?

– La cagoule tu veux dire ? Oui, c'est super, merci Nahabi.

– Tu as faim ? La soupe est prête.

- Non désolé, la migraine m'a complètement coupée l'appétit.

– Es-tu suffisamment en forme pour une leçon ?

Mon sourire suffisait à répondre à sa question. J'adorais les cours d'histoire de Nahabi. Je prenais une chaise et me mettais en face de lui devant la cheminée. 

– Il y a fort longtemps, un astre empli de magie percuta notre planète. L'astre était immense et provoqua une catastrophe phénoménale. Il en résulta un nuage de poussière qui recouvrit la planète. Au fil des siècles, cette poussière s'aggloméra pour former la lune que nous connaissons. Comme tu le sais, je suis un Inkola, un peuple magique et immortel. Nous habitions Théia bien avant l'arrivée des hommes, nous étions installés à Khanda, au nord du continent . Nous possédons la capacité d'utiliser la magie de la lune. Cependant, pour utiliser cette magie, nous avons besoin de morceaux de lune, que nous appelons pierre de lune. Jadis, ces pierres de lune foisonnaient sur Théia, et les Inkolas puisaient leur magie sans se limiter. Malheureusement, une fois que la magie contenue dans une pierre de lune s'épuisait, celle-ci se transformait en simple roche. Ainsi, les réserves de pierres de lune se firent de plus en plus rare. Il en résulta nombre de conflits entre les cités Inkolas. 

Nahabi se leva et alla chercher un verre d'eau. Il semblait troublé par son propre récit. Il revint à sa chaise et reprit :

– Le conseil des six décida que nous devions stopper l'usage de la magie, car le désir pour les pierres de lune finissaient par corrompre nos âmes. Beaucoup d'Inkolas se rebellèrent contre cette décision, et furent exilés de Khanda. L'un d'eux mis la main sur une grande quantité de pierre de lune. Pour se venger, il décida de créer des monstres grâce à sa magie. Ces monstres étaient des êtres humanoïdes, blancs, sans aucune bouche, avec des énormes griffes à la place des mains. Il mena sa terrible armée sur les cités Inkolas. N'étant pas un peuple combattant, nous n'avions aucune défense. La plupart des Inkolas furent massacrés, le reste s'enfuirent par la mer. Nous sommes allé chercher l'aide des hommes, qui répondirent présents. Ensemble, nous avons repoussé l'ennemi. Les hommes ont non seulement exterminés les monstres, mais ont aussi récupérer la pierre de lune de l'Inkola rebelle. Afin de les remercier, nous avons décidé de bénir les plus vaillants des combattants ainsi que leurs descendants. Voilà comment furent créées les six lignées qui donnèrent leurs noms aux six royaumes de Théia.

Quand il prononça la dernière phrase, je sentis une vibration dans sa voix, comme de la tristesse.

– Tout va bien Nahabi ? Lui dis-je.

– Oui, Ester. J'y étais tu sais. C'est moi qui ai donné la magie à ton ancêtre Lys Fendil. Elle était une guerrière redoutable, et une personne attachante. Je suis resté avec elle jusqu'à sa mort, puis j'ai continué à veiller à ma façon sur la lignée Fendil. 

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Awa ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0