Chapitre 15

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En me réveillant ce matin, je savais déjà que cette journée allait être éprouvante. Le jugement de Mr Vincent avait enfin lieu et j’étais obligée d’y assisté en tant que victime, mais aussi pour représenter tous ceux qui ne pouvaient être présents.


— Tu n’aurais pas à dire quoi que ce soit chéri, me rassura Océane.

— Je sais bien, mais c’est un procès public. Je n’ai pas envie que tout le monde apprenne ce que ma mère m’a fait subir. Ni qu’il était là, à regarder sans rien dire.

— C’est son procès, pas le tien. Et je serais là, de toute façon.


Pour m’apaiser, c’est elle qui me coiffa. Ses doigts délicats dans mes cheveux, son souffle chaud et son parfum dans l’air étaient réconfortants. Tout comme sa présence. Dès qu’on fut toutes les deux prête, habillé et coiffé, il était l’heure de partir. Dans la voiture, ma main tremblait dans celle de ma femme. À notre arrivée, les journalistes étaient déjà là et les flashs commencèrent à illuminer la voiture.


— Je ne peux pas, Océ. Je ne vais pas y arriver.

— Ça va bien se passer, chérie. Respire calmement.


Quand Océane le jugea prêt, elle sortit de la voiture et vint m’ouvrir la portière. Main dans la main, on entra dans le tribunal, sou les flashs et les caméras des journalistes. Une fois entrée, je soupirais, libérant une partie de l’angoisse qui me tordait le ventre. Dans les couloirs, il n’y avait pas de caméra.


— Vos Majestés, merci d’être venu, commença l’avocat de l’accusation, notre avocat.

— Je ne suis pas la seule victime, Maître. Je suis là, même si c’est compliqué.

— C’est tout à votre honneur. Durant le procès, je serais le seul à intervenir. Votre seule préoccupation ne devrait qu’être les caméras et les photographes.

— Le plus compliqué à gérer.

— Nous savons déjà qu’il sera condamné. Son avocat va seulement négocier sa peine.

— C’est tout ce qui m’importe.

— Dans ce cas, je vais vous accompagner jusqu’à votre place. Si vous voulez bien me suivre.


Main dans la main avec ma femme, on suivit l’avocat et on s’installa sur la gauche du tribunal. Le banc de l’accusé étant à droite. Après nous, les journalistes, le public ainsi que Me Vincent furent autorisés à entrer. Quand Mr Vincent croisa mon regard, je déglutis et tournais la tête vers Océane. Celle-ci me sourit et posa sa main sur ma cuisse. Le juge et les deux assesseurs entrèrent et tout le monde se leva.


— Bonjour à tous. Nous sommes aujourd’hui là pour le jugement de Mr Vincent, mis en détention provisoire. Êtes-vous présent ? commença le juge.

— Oui, votre honneur, répondit-il.

— L’accusation, et donc les victimes sont représentées par Sa Majesté Elena De Stinley. Êtes-vous présente ?

— Oui, votre honneur, répondis-je nerveuse.

— Les deux parties sont là. Monsieur Vincent, vous êtes accusé de détournement de fonds impérial, participation à la dictature, non-assistance à personne en danger, séquestration, meurtre et dissimulation de corps. Seules ses charges ont été retenues contre vous parmi tant d’autres. Que plaidez-vous ?

— Non coupable.

— Est-ce que les avocats veulent bien s’avancer ?


Les poings serrés à cause de Mr Vincent qui plaidait non coupable, je regardais les avocats discuter avec le juge. S’il plaidait non coupable et que son avocat était doué pouvait-il échapper à une condamnation ? Cela ne devait pas arriver. Il devait payer pour tout ce qu’il avait fait subir, pour ne pas avoir arrêté ma mère.


Pendant deux heures, la première charge à être évoqué était la non-assistance à personne en danger. Soit tout ce qui me concernait directement. Il avait suivi ma mère alors qu’elle n’avait rien isolé, séquestrée dans ma chambre, privée de nourriture et de lien social, violenté physiquement et psychiquement en public comme en privé. Elle avait été mon bourreau, lui, sa marionnette. Avec tout ce dont il était accusé pour cette seule charge, il ne pouvait échapper à une peine. Plus mon avocat évoquait ce que j’avais subi, plus mon cœur se serrait dans ma poitrine et les larmes montaient. Si ma femme n’avait pas été là, j’aurais craqué il y a longtemps.


Les deux avocats étaient doués, il fallait le reconnaître. Celui de Mr Vincent arrivait à atténuer sa participation et je ne pouvais le contredire. Ma mère était terrifiante et personne n’avait pu l’arrêter, pas même son mari ni sa mère. Comment un simple diplomate, aussi puissant soit-il, aurait pu lutter contre elle quand même sa famille n’y était pas arrivée. Après deux heures de procès, le juge le jugea coupable et proposa une pause avant de passer aux charges suivantes. Mon avocat nous trouva une salle, hors des caméras pour que ma femme et moi soyons tranquilles. Dès que la porte fut fermée, je laissais mes larmes couler dans le cou d’Océane.


— Ça fait mal d’entendre tout ça, avouais-je. C’est tellement dur.

— Tu y arrives très bien, mon amour. C’est dur, mais il fallait que ça ressorte pour qu’il soit condamné le plus justement possible.

— Je sais bien. Mais j’ai essayé d’oublier tout ça, de me reconstruire après ma mère. Et en reparler…

— Pleure autant que tu veux, chérie. Le procès ne reprend que dans dix minutes.


Rien que pour ça, j’étais contente qu’elle soit venue avec moi. Elle aussi était une victime de ma mère. Océane était celle qui me comprenait le mieux. Pendant ces dix minutes, je pus libérer toute la frustration et l’angoisse qui me tordaient le ventre depuis le début de la journée. Quand le procès reprit, j’allais mieux. La suite n’avait plus de lien direct avec moi, mais avec Océane et toutes les autres victimes. Ma femme était beaucoup moins affectée que moi par la situation. En même temps, elle était la plus forte et celle qui avait le mieux réussit à se relever.


Le procès dura toute la journée. Nous avions des pauses de dix minutes toutes les deux heures. À midi, on a eu droit à une pause d’une heure. Pour notre avocat, la situation était en notre faveur. Avec tout ce dont il avait été reconnu coupable, il serait condamné à un minimum de trente ans de prison. Mais son âge avancé risquait de lui faire obtenir une réduction de peine. Mais nous ne devions pas oublier qu’il s’agissait d’un tribunal exceptionnel, jugeant des actes exceptionnels avec des procédures et des sanctions exceptionnelles. En tant qu’Impératrices, nous n’avions d’ailleurs aucun pouvoir sur ce tribunal. La peine de mort médicamenteuse pouvait être prononcée, au choix du juge et de ses deux assesseurs.


— Toutes les charges retenues ont été évoquées et vous avez été déclaré coupable. Nous allons donc nous retirer pour discuter de votre condamnation.


Pendant la délibération des trois juristes, nous attentions tous en silence dans la salle. Mon ventre se tordait, mes doigts tremblaient, mais j’essayais de les cacher entre mes jambes. Je savais les caméras braquées sur moi. Je devais faire attention à mes réactions, à mon image. Cet homme, en suivant ma mère, avait détruit ma vie, à peine commencer. Il m’avait privé de mon enfance et de mon adolescence. Je revoyais son sourire pervers sur son visage pendant que ma mère me battait. Je revoyais la joie dans ses yeux, quand ma mère ordonnait mon isolement dans ma chambre, sans repas pendant une semaine. Aussi loin que je m’en souvienne, il avait toujours été là. Même si je n’avais pu mettre un nom sur son visage qu’à mon accession au trône. C’était seulement à ce moment-là que j’avais compris son importance dans le gouvernement de ma mère, mais aussi au quotidien, lui qui avait voulu acheter toute la capitale pour me faire tomber.


Quand les trois juristes reprirent leurs places, Océane attrapa mes mains dans les siennes. Je tournais la tête vers elle et elle me sourit. Les prochaines minutes allaient être les plus angoissantes. Sa condamnation allait-elle être à la hauteur de mes attentes ?


— Nous avons délibéré. Sachez, Mr Vincent, que votre tentative de pot-de-vin n’a pas fonctionné. Au contraire même. Que vous soyez l’homme le plus riche de l’Empire n’y change rien, commença l’un des trois.

— Vous êtes déclaré coupable de toutes les charges retenues, ajouta un autre. Toute votre fortune et votre titre vous seront retirés et donnés à l’Empire. Elena De Stinley, en sa qualité d’Impératrice, décidera seule de la redistribution du titre et de l’argent. Étant donné qu’il s’agit d’un tribunal exceptionnel, vous êtes condamné à la peine de mort, comme aurait été la condamnation de Julie De Stinley. Et comme a été la condamnation d’autres traîtres avant vous. C’est notre dernière décision.


Tout était enfin fini. Il allait payer pour toute la souffrance qu’il avait laissée autour de lui. Envahies par un surplus d’émotion, j’explosais et mes larmes inondèrent mon visage. Océane me prit dans ses bras et je posais ma tête dans son cou. J’allais pouvoir passer à autre chose, je libérer de mon passé. J’allais pouvoir continuer à vivre, Mr Vincent étant le denier à pouvoir être jugé par ce tribunal de la Dictature.


— On a réussi, Elena. Il va payer pour tous le mal qu’il a fait. Il ne pourra plus s’en prendre aux enfants ni hanter tes rêves. Le cauchemar est enfin terminé.

— Vous pouvez respirer, Vos Majestés, intervint notre avocat. Je vous l’avais dit.

— Merci Maître. Merci d’avoir accepté de défendre ma femme et toutes les victimes de sa mère, enchaîna Océane.

— C’est normal. Nous avons tous été des victimes, chacun à des degrés différents.


Petit à petit, la salle se vida jusqu’à ce qu’il ne reste plus que le juge, les deux assesseurs, Océane et moi. Grâce à ma femme, je réussis à me remettre de mes émotions. Océane discuta quelques instants avec le juge avant qu’on ne rentre au château. Quand les enfants, qui étaient rentrées avant nous, remarquèrent mes yeux rouges, ils s’en inquiétèrent. Ils ne savaient pas ce qu’il s’était passé aujourd’hui, mais Océane leur expliqua tant bien que mal, sans leur donner trop d’information. Contrairement aux enfants, elle expliqua tout à Emma qui me prit dans ses bras une fois l’explication terminée.


— Heureusement que tu étais là pour elle, Océ, ajouta Emma.

— Oui, répondis-je. Je ne sais pas comment j’aurais fait pour tenir, seule, toute la journée.

— Le principal c’est que maintenant, tu vas pouvoir passer à autre chose. Tu vas pouvoir avancer.


Emma, comme Océane, était mes piliers. Ma défense était un château de cartes. Cartes que j’avais chaque jour ajoutées, mais qui restaient bancaires. Emma et Océane étaient les fondations de ce château. Même si tout devait s’écrouler, je savais qu’elles seraient toujours là pour m’aider à le reconstruire. Elles m’avaient aidée à le construire une première fois, chacune à leur arrivée dans ma vie et elle serait là encore longtemps. Du moins, je l’espérais.

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