Chapitre 21

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Cela faisait déjà un mois et je n’avais toujours pas réussi à sortir de la maison. Mais aujourd’hui, je voulais y arriver. Je voulais réussir à aller jusqu’à la place du village, pour mettre fin une bonne fois pour toutes à mes terreurs. Pour m’accompagner, Corine et Emma étaient là. Emma m’aida à me préparer tandis que sa mère attendait, dans le jardin, que je sois prête. Quand je réussis à faire le premier pas, les deux femmes me sourirent. Limitant les tremblements de ma main, je réussis à aller plus loin que la première fois. Je réussis à aller jusqu’au niveau des soldats.


— C’est super, ma grande. Tu peux y arriver, me complimenta Corine.

— Attendez, je dois faire quelque chose.

Respirant un grand coup, j’approchais du premier soldat et lui tendis ma main valide qu’il prit.

— Merci de sécuriser la maison, malgré ce qu’il s’est passé au château.

— C’est mon devoir, Votre Majesté. Mon grand frère a dévoué sa vie à votre protection et je compte bien faire de même. Qu’il ne se soit pas sacrifié en vain.

— Toutes mes condoléances pour votre frère. Si j’avais su…

— Vous n’aurez rien plus faire, Votre Majesté. Même avec du renfort et un combat sur deux fronts, ils étaient trop nombreux. Nous avons tous voté, à l’unanimité pour ne rien vous dire, pour votre protection. Personne n’a fui devant la menace qu’ils représentaient et ils se sont tous battus bravement pour vous. J’étais sur place. Nous avons fait tout ce que nous pouvions, votre protection étant notre priorité.

— Mais vous restez des êtres humains, vous auriez pu fuir, enchaînais-je les larmes aux yeux. Vous auriez dû fuir, je n’en vaux pas la peine.

— Je ne vous abandonnerais jamais, Madame, me coupa-t-il en oubliant la hiérarchie sociale. Je suis humain comme vous le dites. Mais je suis un homme d’honneur et un homme sur qui ont peut compter. En devenant Impératrice, vous nous avez sauvés, mon frère et moi d’une mort certaine. Nous allions mourir de faim. Il était pour nous, et c’est toujours le cas pour moi, normal de vous rendre la pareille. Vous nous avez sauvé la vie, à moi aujourd’hui d’en faire de même avec la vôtre.

— Ce que vous dites me touche beaucoup. Merci.

— Tout l’honneur est pour moi, enchaîna-t-il avec une révérence.

— Non, l’en empêchais-je. C’est moi qui devrais m’agenouiller devant vous.


À la place de la révérence, il me salua en se mettant au garde à vous, et fut imité par la dizaine d’autres soldats aujourd’hui présents pour moi.

C’est en souriant que je rejoignis Corine et Emma. Discuter avec ce soldat venait de m’enlever un poids énorme sur le cœur. Je n’étais pas responsable de la mort des soldats ou de leurs blessures. Ils avaient tous choisi de se battre pour moi. Ils n’avaient pas abandonné et je devais en faire de même. Même si c’était plus compliqué que prévu.

Aux côtes d’Emma et de Corine, j’avançais lentement jusqu’au centre du village. À notre passage, les habitants me saluaient, me souriaient ou m’applaudissaient. Mal à l’aise, je ne pouvais que baisser la tête. Je n’arrivais pas à les regarder. Eux qui s’étaient joints à Estelle pour me sauver avant d’être rejoints par ma femme.


— Tu n’as qu’un mot à dire et on rentre, chuchota Corine.

— Je dois y arriver.

— Ne te force pas, ma grande. Prends ton temps.


Pourtant je continuais d’avancer. Lentement mais sûrement. Quand on approcha de la place, ma main commença à trembler mais je le cachais en l’enfouissant dans la poche de mon jogging. Une fois arrivé, je me stoppais, le regard rivé sur mes pieds. Je sentais mon rythme cardiaque s’accélérer et ma respiration avec. Emma et Corine se rapprochèrent de moi et je fermais les yeux. Mes larmes coulèrent en silence et je commençais à mordiller ma lèvre inférieure.


— Nous sommes là, Elena, chuchota Emma. Tu n’as rien à craindre.


Je réussis à relever les yeux et vis Emma en face de moi. Elle voulut me prendre dans ses bras mais c’est dans ceux de sa mère que je me réfugiais, lui faisant de la peine.


— J’ai compris, soupira-t-elle.

— Chérie, enchaîna Corine. Tu sais bien que…

— Non, maman, je ne sais plus. Je ne sais plus rien.

— Laisse-lui du temps, Emma. Elle reviendra vers toi.

— Je vous entends, vous savez ? Les coupais-je sans bouger.

— Alors tu sais ce que je pense.


Je l’entends s’éloigner et réussis à la rattraper.


— Emma, s’il te plaît. J’ai besoin de toi.

— Ce n’est pas vrai, Elena. En ce moment c’est de ma mère dont tu as besoin pas de moi. Je ne peux rien faire pour toi, elle si.


Elle s’éloigna définitivement et Corine prit sa place, entourant ma taille de son bras.


— Je l’ai vexé n’est-ce pas ?

— C’est compliqué pour elle aussi ma grande. Ne lui en tiens pas rigueur.

— Rentrons.


Sans même avoir regardé la place, je lui tournais le dos. J’étais toujours incapable de faire ce pas en avant, de dépasser ce qu’il s’était passé. Sans attendre Corine, je rentrais à la maison et m’enfermais dans la chambre. Dès qu’Océane fut rentrée, quelques heures plus tard, elle me rejoignit immédiatement et s’allongea dans mon dos.


— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Tu veux m’en parler ?

— Vous ne devriez pas m’aider, je n’en vaux pas la peine.

— Ne dis pas ça chérie, ce n’est pas vrai.

— Si c’est vrai ! Je vous oblige à vivre ici avec moi, j’oblige Corine à s’occuper de moi, comme si j’étais sa fille, je n’arrive pas à regarder les enfants dans les yeux et je fuis Emma. Je suis un poids pour vous. C’est à cause de moi que tous ses soldats sont morts ou blessés.

— Mon amour, soupira-t-elle. Tu n’es pas un poids. On s’occupe de toi parce qu’on t’aime.

— Je n’en vaux pas la peine, je ne le mérite pas.

— Mais qu’est-ce que tu racontes enfin ? Pourquoi tu as rechuté, qu’est-ce qu’il s’est passé ?

— Laisse-moi.

— Non.

— Je t’ai dit de me laisser tranquille. Va-t’en !

— Il en est hors de question.

— Alors c’est à moi de partir.


Repoussant ma femme, je sortis du lit, récupérais toutes mes affaires et les mis, en boule dans un sac. Je m’assurais de prendre tous mes médicaments avant de sortir de la chambre. Océane voulu m’arrêter mais elle ne le pouvait plus.


— Arrête ça et rentre tout de suite ! s’énerva Océane une fois dehors.

— Tu n’as aucun ordre à me donner.

— Tu vas aller où ? Hein, dis-moi ? Tu vas aller où, alors que tu n’es même pas capable d’envisager de revenir au château ?

— Ça ne te regarde pas !

— Arrête tes conneries, Elena ! Ressaisis-toi !

— Vous serez bien mieux sans moi.


Ignorant les appels de détresse de ma femme, je fuyais. Je marchais dans les rues de Glenharm, sans but, mon sac à la main, suivit par la dizaine de soldats qui assurait ma protection. Je pouvais échapper à ma femme mais je ne pouvais pas échapper aux soldats. Je ne le pouvais plus et ne le pourrais plus. Pas tant qu’Océane n’en aurait pas décidé autrement.


— Madame ? M’interpella un soldat, en s’approchant. Est-ce qu’il y a quelque chose que je peux faire pour vous aider ?

— Non ça ira, merci.

— Vous savez où dormir ?

— Pas du tout non.

— Puis-je vous proposer un hôtel discret où nous pourrons facilement assurer votre sécurité ?

— Faites.


Sans croiser aucun regard, je suivis les soldats qui me prirent une chambre. Mon arrivée ne passa pas inaperçue mais ça m’était égal. Je voulais juste me coucher et faire taire la terreur et l’angoisse qui me brulait la poitrine. Une fois dans la chambre, je me réfugiais sous la couverture. Je restais immobile, les yeux fermés pendant des heures, incapables de m’endormir. Mes larmes coulaient en silence, inondant l’oreiller. Au bout d’un moment, je sentis quelqu’un monter dans le lit et je me recroquevillais sur moi-même. Quand un bras glissa autour de ma taille, je sursautais et tremblais comme une feuille.


— Chérie, chuchota alors la voix de ma femme que je reconnus.

— Laisse-moi. Va-t’en.

— Tais-toi, bon sang. Je t’interdis de parler, tu m’entends. On va rester là, sans bouger, sans parler. Tu vas respirer calmement et tu vas essayer de dormir.

— Océ…

— Tu vas la fermer oui ? Maintenant, c’est moi qui décide.


Écoutant ma femme, je me détendis dans ses bras. Je ne pouvais plus le nier. Je n’étais plus capable de réfléchir ni même de prendre soin de moi. J’étais redevenue une enfant qui avait besoin qu’on s’occupe d’elle. Malgré toutes les horreurs que je lui avais dites, elle était toujours là. C’était pour ça que je l’aimais. C’était difficile, pour moi comme pour elle mais elle ne m’abandonnait pas. Rassurée par sa présence, par son souffle dans mon cou et sa main dans la mienne, je parviens à m’endormir.

À mon réveil, elle était au téléphone et le petit déjeuner était sur la table. Quand elle remarqua que j’étais réveillé, elle raccrocha et s’assit sur le lit.


— Réponds-moi seulement par oui ou non. As-tu besoin que je prenne le contrôle de tout ? Que je dise quoi faire, quand le faire pour aller mieux ? Que je t’oblige à voir un psychologue, que je t’oblige à me parler et à m’écouter ?


Je réfléchis un moment et sus quoi faire quand mes larmes glissèrent sur mes joues. Océane était la seule à avoir assez de cran pour m’obliger à réagir. Elle était la seule à pouvoir me sortir de se calvaire et nous le savions toutes les deux.


— Oui, avouais-je en baissant la tête.

— Très bien, alors je vais le faire. Parce que tu en as besoin. Mais promets-moi que tu ne me le feras pas regretter quand tu iras mieux.

— Je te le promets.

— Alors habille-toi, mange et on sort. Tu as vingt minutes.


La suite allait être compliquée. Je venais d’autoriser Océane à contrôler ma vie, comme ma mère l’avait fait durant mon enfance. Quoi qu’elle me dise maintenant, je devrais l’écouter sans rien dire. Mais cette fois-ci, je l’avais choisi. Parce que je savais que c’était la seule façon de remonter à la surface.

C’est donc ce que je fis. Je troquais ma tenue de la veille pour une propre que ma femme avait sortie de mon sac. Un simple pantalon et un tee-shirt. Elle m’aida à retirer l’écharpe qui maintenant mon bras en place puis le tee-shirt. Comme depuis le début, elle m’aida à m’habiller. Je mangeais un petit pain au chocolat, n’ayant pas plus faim avant de me tourner vers ma femme.


— Et maintenant ?

— Maintenant, tu as rendez-vous avec le psychologue du palais. Il s’occupe aussi de tous les domestiques présents ce jour-là.

— D’accord.


Sans grande conviction, mais n’ayant pas le choix, je suivis Océane. Je glissais ma main valide dans la sienne et avancée vers le début de ma guérison. Je n’étais pas seule et je devais réussir à l’accepter.

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