Chapitre 29

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— Elena ?


Au loin, la voix d’une femme inconnue m’appelait. Mais je n’avais pas envie de la rejoindre. Je voulais rester allongé sur ma plage, au soleil.


— Docteur ? entendis-je.

— Donnez-lui un somnifère. Qu’elle se repose un peu.


Les voix disparurent à peine quelques minutes plus tard. J’étais enfin seule et libre de tout souci. De toute émotion contradictoire. Finalement, je finis par me lever. Je marchais le long de la plage, les pieds dans l’eau. Le soleil rougissait ma peau, l’eau me rafraichissait et le vent faisait voler mes cheveux et ma robe. Cet instant de calme intérieur, cet instant de pur bonheur, c’était ce qui m’avait manquée depuis trop longtemps. La dernière fois où j’avais vraiment été heureuse, au point d’effacer tous mes problèmes, c’était à la naissance des jumeaux.


— Majesté ?


Plus j’avançais, plus une forme au loin avançait vers moi. Je finis par reconnaitre Kaitlyn. Souriante, elle m’invita à me joindre à elle, à marcher côte à côte.


— C’est magnifique ici. Tellement reposant, commença-t-elle.

— Comment…

— Ne pensez pas au comment, mais plutôt au pourquoi.

— Tu es morte, Kaitlyn. Je t’ai vu mourir et…

— Je sais que ma mort hante toujours vos nuits. Je ne peux malheureusement rien faire là-dessus. Mais vous oui. Vous devez passer à autre chose.

— Je ne peux pas. Tu es morte par ma faute.

— Ce n’est pas vrai. J’ai moi aussi choisi de protéger Bianca. Sa mort aurait été bien plus désastreuse que la mienne.

— J’aurais dû te protéger. J’aurais dû…

— Arrêtez de ressasser le passé. C’est fait, je suis morte, il n’y a plus rien à faire. Mais vous devez vous ressaisir. Vous devez repartir de l’avant. Ou tout abandonner.

— Je ne comprends pas.

— L’impérialisme n’est pas figé, Majesté. C’est un modèle politique parmi tant d’autres. Rien ne vous oblige à rester Impératrice. Rien ne vous oblige à rester au pouvoir, vous et votre famille. Si vous le désirez vraiment, vous pourriez tout abandonner et partir. Laisser le pouvoir au Conseil qui se chargerait de choisir le nouveau modèle politique.

— Mais ce n’est pas ce que je veux. Je ne veux pas mettre fin à l’Empire.

— C’est à vous de décider. C’est un choix parmi d’autres.


Mes pieds glissaient dans l’eau. Je continuais de marcher avec Kaitlyn, en silence. On finit par s’approcher d’une jeune femme brune. Elle dansait, ou plutôt elle volait. Ses gestes étaient minutieux, délicats. Elle ne nous voyait pas, elle était dans son monde, seule. Je ne la connaissais pas et pourtant, j’étais attirée par elle.


— Qui est-ce ? questionnais-je Kaitlyn.

— Je ne peux vous répondre. Mais je sais que vous êtes proche d’elle. Ou du moins, que vous finirez par le devenir.

— Je sens… je dois rester en vie, pour elle.

— Elle danse bien, je l’admets.

— Elle semble si paisible, si libre.


Au loin, une musique résonnait. La jeune femme dansait au même rythme. Ses pieds glissaient sur l’eau, son sourire n’était que douceur. Elle était encore jeune, j’avais envie de la protéger au péril de ma vie, sans même savoir qui elle était.


— Élia ! l’appella une voix de femme, sortie de nulle part.

— Quoi, encore ! soupira la jeune fille.

— Maman vient de rentrer. On a besoin de ton aide.

— Je ne vais jamais pouvoir entrer à l’Opéra-théâtre de Glenharm si vous m’interrompez sans cesse, toi et maman.

— Viens p’tit moineau. Je te ferais écouter ma nouvelle musique après.

— J’arrive.


Aussi vite qu’elle était arrivée, elle disparut. Je n’avais que son prénom. Ce prénom qui restait gravé dans ma tête. Ce prénom qui envahissait mon être tout entier rien qu’à l’entendre. Existait-elle ? M’attendait-elle ? Qui était-elle ? De nouvelle question qui naissait dans mon esprit à l’évocation d’un simple prénom. Élia.

Quand je voulus questionner Kaitlyn, celle-ci avait déjà disparu. Quelque part, dans un petit coin de ma tête, quelque chose me disait qu’il était temps de retourner à ma réalité. Si je voulais rester en vie pour un jour rencontrer cette jeune fille, je devais commencer dès maintenant. Écoutant cette petite voix intérieure, je rebranchais tout. Je fermais les yeux pour les rouvrir sur la même pièce que la dernière fois.


— Bonjour Elena. Prenez votre temps pour vous réveiller. Vous avez un verre d’eau sur la table de chevet, à votre gauche.

C’est en faisant attention que je me redressais. J’attrapais le verre d’eau et bus quelques gorgées avant de le reposer.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

— Votre femme s’inquiète beaucoup pour vous. Elle a décidé de vous emmener ici pour que vous puissiez vous soigner. Je vais tout vous expliquer. Mais avant souhaitez-vous manger quelque chose ?

— Je veux bien, oui.


En chemin pour le réfectoire, la femme se présenta. Elle était la Dr Cain. Mon nouveau médecin. Elle m’apprit que je n’étais pas en hôpital psychiatrique, comme je l’avais cru, mais plutôt dans une maison de santé. Personne hormis ma famille proche ne savait que j’étais ici.

— Voici votre plateau.


Elle m’indiqua ensuite où m’asseoir et s’installa en face de moi.


— Vous ne devez pas voir votre présence ici comme un abandon de votre femme. Quand vous avez fui, hier, elle a sincèrement eu peur pour vous. Vous êtes partie sans protection, vous ne répondiez pas à ses appels… qu’aviez-vous l’intention de faire ?

— Je ne sais pas vraiment. Mais je voulais abandonner ma couronne, le trône.

— Pourquoi ?

— C’est beaucoup trop de pression. Ce que je ne supporte plus.

— Pourquoi ne pas en avoir parlé à votre femme ?


Parler avec le Dr Cain était bien plus facile que je ne l’avais cru. Elle ne me connaissait pas, elle ne me jugeait pas. Contrairement à Océane et Emma qui savait même comment j’allais réagir face à n’importe quelle situation. Ma femme avait expliqué mon passé au Dr Cain, ce qui lui permettait de mieux me comprendre.


— Que faites-vous quand vous avez besoin de vous aérer l’esprit ?

— En ce moment, rien du tout. J’encaisse.

— Et en temps normal ? Avec l’attaque ?

— Je nage. Dans la propriété impériale, il y a un étang, bien entretenu. C’est là-bas que j’ai appris à nager, avec ma mère et c’est toujours là-bas que je suis allé.

— Ça fait longtemps que vous n’y êtes pas retourné, n’est-ce pas ?

— Je ne saurais pas vous dire depuis quand.

— Que pensez-vous de reprendre ? Nous avons une piscine à l’arrière du bâtiment.

— Avec plaisir.


Avant de partir nager, j’eus droit d’appeler ma femme. Océane était bien plus inquiète pour moi que je ne l’avais cru. Elle en pleurait même au téléphone et c’était rare qu’elle pleure. Je lui promis de faire des efforts, de me soigner, pour revenir au plus vite, pour notre futur bébé.

Plus les jours passaient, mieux j’allais. Avoir repris la natation me faisait un bien fou. Grâce à Dr Cain, j’ai enfin compris qu’il valait mieux parler plutôt que de tout garder pour moi-même et d’encaisser. Alors que je sortais de la piscine, après avoir fait plus de dix longueurs, le Dr Caine m’attendait.


— Votre femme veut que vous rentriez et je vous donne l’autorisation.

— Vraiment ? Que se passe-t-il ?

— Elle a dit : « bébé, aujourd’hui. » Je crois que c’est un code que vous devriez comprendre.

— Je comprends totalement, répondis-je avec un grand sourire.

— Dépêchez-vous de rassembler vos affaires. Elle vous attend à l’entrée.


Sans perdre une minute de plus. Je pris une douche et mis, en vrac, toutes mes affaires dans ma valise. Dès que je retrouvais ma femme, j’abandonnais ma valise pour la prendre dans ses bras. Sans parler, je respirais son parfum, ma drogue, les yeux fermés. Je l’embrassais ensuite, heureuse.


— Tu m’as manquée, commença-t-elle.

— Je t’aime aussi. Merci Océ.

— Je t’avais promis de ne pas te laisser tomber, mon amour.

— Bon, on va le faire se bébé ?


Océane m’embrassa à nouveau. D’une main, elle récupéra ma valise. De l’autre, elle attrapa ma main. C’est heureusement, rassurée, mais surtout avec l’esprit plus clair qu’on rentra au château. Là où j’avais toute ma vie, toute ma famille. Là où j’allais passer les dix prochaines années, avec trois enfants, à attendre le jour où l’un deux monteraient sur le trône à son tour.

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