Chapitre 34

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Les mois suivants s’étaient enchaînés à une vitesse folle. Quand tout allait bien, on ne voyait pas le temps passer. Après plusieurs séances de rééducation, j’avais retrouvé l’usage à la mobilité complète de mon bras et de mon épaule. Pourtant, ce matin, je me réveillais avec une pression dans la poitrine. La sensation que quelque chose n’allait pas. Je me redressais dans le lit et compris qu’Océane n’était plus là. Après avoir récupéré mon téléphone, je remarquais qu’il n’était que trois heures du matin. Après avoir récupéré ma robe de chambre, je sortis dans le couloir. Le garde m’informa que ma femme était à l’infirmerie. En arrivant devant la porte entrouverte, j’aperçus ma femme, allongée sur le lit, dos à l’entrée, une couverture sur les épaules. Je toquais à la porte pour signaler ma présence et entrais. Le Dr Langstone écrivait quelque chose dans un dossier.


— Elle s’est endormie il y a peu, chuchota-t-il.

— Que s’est-il passé ?

— Elle a perdu le bébé. Je lui ai donné un somnifère pour qu’elle se repose. J’ai préféré qu’elle reste ici pour la surveiller. Ce genre de protocole ne fonctionne pas à tous les coups et c’était votre premier essai. Ne perdez pas espoir.

— Merci. Je vais rester avec elle.

— Appelez-moi s’il y a quoi que ce soit.


Je m’allongeai à côté d’elle et la pris dans mes bras. Je restais plusieurs heures sans bouger. Quand elle se réveilla, elle se retourna, passa son bras autour de moi et enfui sa tête contre ma poitrine.


— Je suis désolée Elena, commença-t-elle.

— Mais non, ce n’est pas ta faute. On a encore le temps d’essayer.

— Je m’en veux si tu savais. Ça avait tellement bien commencé.

— Ce n’est pas grave, mon cœur. Ce n’était juste pas le bon moment.

— Mais on a que trois essais avant de devoir choisir à nouveau un donneur. Deux maintenant.

— On a encore deux chances comme tu le dis. Prenons notre temps. Tu as envie de quelque chose de particulier ? Pour te remonter le moral ?

— Une glace ?


Je l’embrassais et me relevais. Je retire ma robe de chambre pour la mettre sur ses épaules. J’attrapais sa main et l’accompagnais jusqu’aux cuisines. Elle s’installa sur l’une des tables des domestiques et je lui choisis une glace au chocolat dans le congélateur.


— Elena, j’ai l’impression d’être la seule à m’en vouloir, à en souffrir.

— Ça me fait de la peine aussi, mais ce n’est pas grave. On essaiera autant de fois qu’il le faut. Nous savions dès le début que la procédure risquait de ne pas fonctionne. Ce n’est pas aussi simple que de tomber enceinte naturellement. Mais si tu voulais tout arrêter, je comprendrais.

— Non. Je veux cet enfant. Il va juste me falloir un peu de temps.

— C’est qui tout à fait normal.


Assise à côté de moi, elle posa sa tête sur mon épaule. En silence, elle finit sa glace puis laisse ses larmes couler. Je la ramenais un peu plus contre moi. Ce qui me déchirait le cœur, c’était de voir ma femme pleurer. Elle qui était la plus forte de nous deux, elle avait toujours réussi à cacher ses larmes. Du moins, en ma présence. J’entendis une porte s’ouvrir et aperçus l’une des cuisinières. D’un signe de la main, je lui demandais de partir quelques instants. Je ne voulais pas qu’elle voie Océane si attristée.


— Océ, et si on allait courir, toutes les deux ?

— Tu n’as jamais couru.

— Apprends-moi. Il faut bien que j’occupe mes journées. Et ça te changera les idées.

— D’accord.


Elle passa plusieurs minutes dans sa garde-robe. Elle choisit sa tenue de sport avant de m’en choisir une. Si je voulais continuer de courir, j’allais devoir en acheter une. Contrairement à moi, Océane était bien moins couvert, vêtu d’un legging et d’une simple brassière. L’embrassant, je passais mes mains dans son dos, glissant sur peau douce. Mes doigts frôlant sa colonne vertébrale, elle frissonna.


— Mon amour, concentre-toi.

— J’aurais essayé, jouais-je.

— Tu ne perds pas le nord. Promis, je serais tout à toi après.

— Youpi !

— Tu préfères courir à l’intérieur de l’enceinte du château ou à l’extérieur ?

— À l’extérieur.

— En route.


Mais dans la main, on marcha jusqu’au jardin. On commença alors à courir, côte à côte en dépassant le grand portail Océane avait réglé son allure sur la mienne. Je dus pourtant arrêter au bout de quinze minutes, à bout de souffle. Tandis qu’elle continuait de courir, je retrais en marchant et pris une douche pour me revigorer. À mon retour elle était là, souriante.


— Merci, ça m’a fait du bien.


Elle fila dans la salle de bain prendre une douche à son tour. Seulement vêtu de ma serviette, je fermais la porte de la chambre à clef et l’attendis, allongée dans le lit, un livre à la main. Je l’entendis sortir de la douche puis de la salle de bain. Elle s’étouffa en croisant mon regard.


— Depuis quand ai-je une femme si entreprenante ?

— Depuis que tu as une femme qui privilégie son propre bonheur avant tout le reste.

— J’aime cette femme, ajouta-t-elle en approchant.


Je me redressais, posais mon livre et emmêlais mes doigts dans ses cheveux quand elle arriva au-dessus de moi. Je sentis son souffle chaud sur ma clavicule et fermais les yeux, prenant conscience de la chance que j’avais de l’avoir dans ma vie.


— La course, ce n’est pas fait pour toi, mon amour. Pourquoi ne pas reprendre la natation, dans une vraie piscine ?

— Tu viendrais avec moi ?

— De temps en temps, si ça peut te faire plaisir, oui.

— Je vais y réfléchir.


Le regard d’Océane glissa le long de mon cou pour s’arrêter sur ma poitrine. Cette fois-ci, je pourrais utiliser mes deux bras et comptais bien en profiter.


— Merci de m’avoir changé les idées, murmura-t-elle en embrassant mon cou. Merci de m’avoir fait comprendre que ce n’était pas ma faute.

— Je recommence quand tu veux, soufflais-je en agrippant son dos.


Depuis que j’avais repris ma vie en main, je me sentais bien plus à l’aise avec moi-même. Plus libre de faire ce qui me plaisait réellement. Que ce soit avec mes enfants, ma femme ou tout simplement pour moi-même. Je n’avais plus peur de me retenir, parce que désormais, le regard des autres, l’opinion publique ne m’importait plus. J’étais une femme libre, qui avait réussi à se décharger du poids de la couronne pour son bien être personnel.


— Tu as prévu de t’occuper comment aujourd’hui ? me questionna-t-elle.


Océane était allongé sur le dos, le drap recouvrant sa poitrine. Ma tête était posée sur son épaule, son bras dans mon dos. J’entendais son cœur battre en rythme régulier. Son souffle faisait bouger quelques mèches de cheveux. Les effluves de son parfum volaient à travers la pièce, dans les draps, jusqu’à mon nez. Sous mes doigts, sa peau délicate frémissait à mon passage.


— Je ne sais pas encore, lui répondis-je. Est-ce que le dossier d’inscription au collège a été terminé ?

— Pas encore non. Il manquait quelques documents que j’ai reçus hier. Je déteste la paperasse.

— Je vais m’en occuper alors.

— Tu es sûr ? Je ne voudrais pas…

— Ce net pas du travail Océ. J’aimerais éviter de courir à la rentrée parce que leurs inscriptions ne sont pas complètes.

— C’est pour ça que j’ai besoin de toi. Tu es bien plus consciencieuse que moi.

— C’est l’expérience.


J’embrassais ma femme avant de repousser les draps. La poitrine de ma femme se découvrit, mais je détournais les yeux pour rester concentrer. Une fois apprêté, je sortie et retrouvé, comme je m’y attendais, Ben à la bibliothèque.


— Bonjour mon grand.

— Oh salut. J’ai entendu dire que maman avait été à l’infirmerie cette nuit. Il s’est passé quelque chose ?

— Rien de grave ne t’inquiète pas.

— Je devrais aller la voir.

— Non ! Enfin… elle va bien. Pas besoin d’aller lui en reparler.

— Mais…

— S’il te plait, chéri.

— Bon d’accord. Tu me dirais si elle était malade de toute façon ?

— Bien sûr. Rassure-toi, elle n’est pas malade.

— Cool. Tu voulais quelque chose d’ailleurs ?

— Une sortie en ville ça te tente ?

— A la librairie ? enchaîna-t-il intéressé.

— Si tu veux.

— Carrément !

— On se fait ça cet après-midi alors.


Voir ce sourire radieux sur le visage de mon fils enveloppait mon cœur dans du coton. Notre relation était encore légèrement fragile, je me devais de l’entretenir. Je devais éviter de revenir en arrière, quand nous ne parvenions ni à nous parler ni à nous voir. Je le pris dans mes bras, tandis qu’il rouspétait puis partit travailler au bureau. Océane était arrivé avant moi. Assise devant son ordinateur, elle avait mis ses écouteurs. Elle ne voulait pas être dérangée. Sur la table qui nous servait de bureau commun, destiné à regrouper tous les dossiers en cours de traitement, je récupérais celui destiné au collège des jumeaux. Pendant plus d’une heure, je fis bon nombre d’aller-retour entre l’imprimante et mon ordinateur.


— Océ ? l’interpellais-je ?


Elle se retourna rapidement et retira ses écouteurs.


— Un problème ?

— Ils demandent une deuxième personne, autre que nous, à contacter en cas d’urgence. Je peux mettre ton frère ?

— Bien sûr. Je le préviendrais, au cas où ça devrait aller. Tu as mis Emma ?

— Oui, j’ai pensé à elle en première.

— Tu devrais mettre Bianca aussi. On ne sait jamais, il vaut mieux trop que pas assez. On les inscrit certes dans un collège d’élite, mais ils restent nos héritiers. Bianca aura bientôt le permis, elle pourra les récupérer si personne ne le peut.

— Bonne idée. Je vais noter les coordonnées du Dr Langstone aussi dans ce cas.


J’étudiais les autres documents qu’il me fallait, mais soupirais, m’adossant à ma chaise.


— Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Pour être certains de l’identité de leurs élèves, ils demandent leur filiation, donc le livret de famille que j’ai déjà photocopié. Mais ils demandent aussi nos filiations.

— Donc la preuve que tu es la fille de Julie Stinley, soupira-t-elle. A-t-on vraiment besoin de prouver nos identités ? Tout l’Empire sait que nous sommes les Impératrices.

— Je n’ai jamais eu prouvé un quelconque lien avec elle. J’ai toujours essayé de la repousser et voilà que… je ne sais même pas où je peux trouver mon livret de famille ou certificat de naissance.

— Tu les as pourtant fournis lors de notre mariage.

— C’est mon père qui les a apportés. Mais il ne m’a pas donné les originaux. Sous prétexte qu’ils n’étaient pas en sécurité au château.

— Ce qui se comprend. Leur destruction aurait eu de graves conséquences. C’est pour ça que j’ai fait faire deux originaux de tout ce qui concerne les enfants et que Nathan garde pour nous.

— Tu as raison.

— Tu vas devoir appeler ton père. Sauf si tu préfères que je le fasse à ta place ?

— Non, je le ferais. Donne-moi les documents te concernant et ça ira.

— Je te photocopie ça dans l’après-midi.


L’heure du déjeuner arriva plus vite que prévu. Au moment où je quittais le bureau, Océane le referma derrière moi, en restant à l’intérieur.


— Océ ?


À travers la porte, j’entendis les sanglots qu’elle essayait d’étouffer. Je m’appuyais contre le mur, les bras croisés et attendit. Une dizaine de minutes plus tard, une lingère traversa le couloir au moment où on entendit ma femme laisser échapper un cri.


— Est-ce que tout va bien, Votre Majesté ? s’inquiéta-t-elle.

— Oui.

— Dois-je faire venir quelqu’un ? Madame Emma, par exemple ?

— Surtout pas. Vous n’avez rien entendu, me suis-je bien fait comprendre ?

— Mais…

— Je vous ordonne de n’en parler à personne !

— Excusez-moi, Votre Majesté.


La tête baissée, elle s’éloigna. Dix minutes plus tard, Océane sortie enfin du bureau, les yeux rougis, mais les larmes sèches. Elle s’immobilisa et je lui tendis ma main.


— Je sors avec Ben cet après-midi, ajoutais-je faisant fi de ce qu’il venait de se passer. On va faire un tour à la librairie. Tu as besoin de quelque chose ?

— Je veux bien que tu renouvelles ma pile à lire. Je t’enverrais ma liste.

— Je demanderais à Elise aussi. Autant en profiter.

— Tu as bien raison.


Même si elle n’osait pas me le dire, je voyais bien que la perte de l’enfant l’affectait plus qu’elle ne me l’avait fait croire. Ce qui était totalement compréhensible. Durant le repas, elle ne prononça pas le moindre mot, ce qui ne cessa d’inquiéter Ben qui savait pour son séjour à l’infirmerie. Il n’arrêtait pas de me questionner du regard, mais je ne voulais pas qu’il en parle. Océane avait besoin de temps et il n’aurait pas compris. Nous n’avions dit à personne que nous avions commencé les démarches pour avoir un troisième enfant. Ceci resterait notre secret aussi longtemps que possible.


— Bon, qu’est-ce qu’il se passe vraiment avec maman ? me questionna mon fils, entre les rayons de la librairie.

— Je ne peux pas t’en parler.

— Pourquoi ? s’agaça-t-il, attirant tous les regards sur nous.

— Ce sont des problèmes d’adulte, Ben. Et je te rappelle que tu n’as que dix ans.

— Pourtant, avec Elise, vous ne faites pas de différence. Elle, elle a droit de vous aider avec l’administratif, mais moi je ne peux rien savoir. Pourquoi ?

— C’est… c’est un problème de couple, Ben. Ce qui ne te regarde pas.

— Vous vous êtes disputés ?

— Ce n’est pas ce que j’ai dit.

— Parle-moi maman ! Pourquoi tu ne veux rien dire ?

— N’insiste pas !


Sachant pertinemment ce qu’il faisait, il croisa les bras et bloqua son regard dans le mien.


— Ben, repris-je plus calmement. Il faut que tu comprennes qu’on ne peut pas tout te dire avec ta mère. Elle… c’est quelque chose qu’elle doit, pour le moment, gérer seule. Je suis là pour l’aider alors tu n’as pas à t’inquiéter.

— Il n’y a vraiment rien que je puisse faire ? J’ai vu ses yeux rouges et Élise aussi. On est vraiment inquiet pour elle, maman. Surtout qu’on sait qu’elle travaille beaucoup et…

— Si vous voulez faire quelque chose, changez-lui les idées. Dites-lui que vous l’aimez, proposez-lui des sorties. Mais surtout, ne lui parlez pas de ce problème.

— D’accord. Je ferais ça.

— Merci mon grand. Dépêche-toi de choisir tes livres.


Ben venait de me rappeler que nous étions une famille unie. Ce qui affectait l’un d’entre nous affectait toute la famille. Nos enfants avaient remarqué qu’Océane n’allait pas bien et Ben avait tous fait que je lui dise pourquoi. Je comprenais son envie d’être mis dans la confidence, mais je ne voulais pas le voir déçu, comme ma femme. Nous savons toutes les deux que ce n’est pas un processus simple. Nous savons qu’elle pouvait faire plusieurs fausses couches avant que l’embryon soit correctement implanté. Nous savions dans quoi nous nous engagions avant de commencer. Les enfants, eux, n’auraient pas compris. Tout ce qu’il aurait retenu, c’était qu’il allait avoir un petit frère ou une petite sœur. Ils étaient trop jeunes pour comprendre tous les sacrifices, physique comme moral que nous allions encaisser, tout le chemin que nous avions à parcourir avant de pouvoir agrandir notre famille.

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