Jour zéro - Ce soir, son monde s'est écroulé.

  La fenêtre de la porte côté conducteur de la grosse familiale américaine était ouverte. Il sentait la brise légère et chaude parcourir sa nuque. L'automne était bien là, mais comme toujours dans l'ouest des Etats-Unis à cette époque de l'année, la nature ne semblait pas anticiper l'hiver qui s'annonçait.

Il enchainait les routes perpendiculaires de cette banlieue résidentielle typiquement californienne qu'il connaissait par cœur, puis s'enfourna avec empressement dans la petite avenue bordée de pelouses taillées au cordeau.

Le gros SUV s'immobilisa sur l'allée donnant sur la porte du garage. Le quadra écouta quelques secondes les chants d'oiseaux numérisés dans les hauts parleurs fixés aux grands palmiers du parc voisin. Pour une fois, les sifflements stridents des d'hélices des escadrilles de drones ne les couvraient pas.

Une sale journée qui s'achève enfin, se dit-il heureux de rentrer chez lui.

La stabilité offerte par sa vie de famille lui permettait de surmonter le stress et les responsabilités. Il regarda une dernière fois ses messages, puis arrivé sur le pas de la porte, le grand brun en costume beige leva la tête et admira la belle hacienda de style californien acquise par le couple il y a peu de temps.

L'esprit récemment accaparé par une situation professionnelle ascendante, il sentait bien que son couple s'essoufflait. Mais il se persuadait que cela était temporaire.

L'homme aimait profondément sa femme Cécile depuis leur rencontre douze ans plus tôt et avait une confiance totale en la force de leur couple.

Il poussa la porte :

- Papa !

Les enfants lui sautèrent au cou comme tous les soirs.

- Tu rentres tôt, tu as passé une bonne journée ? dit leur mère en embrassant son mari comme à son habitude.

- Ça va, mais je suis content que la semaine soit terminée.

- Mets-toi à l'aise, on va bientôt dîner.

Le grand brun gravit le large escalier blanc pour monter dans sa chambre et se changer. Assis sur le lit, le parisien immigré aux Etats-Unis regarda par la fenêtre le coucher de soleil sur la plaine. Un vol de drones livreurs, encore eux, gâcha un peu son bref moment de médiation contemplative. Depuis la construction de cet entrepôt à deux kilomètres, les oiseaux avaient déserté le paysage, effrayés par ces engins mécanisés volants.

Il enfila son pantalon de jogging gris délavé.

Il est un peu pourri ce jogging,
il va falloir en commander un autre, se dit-il.
Autant que ces maudits drones servent à quelque chose pour une fois.

Puis, il repensa aux projets de sorties en famille qu'il avait imaginés pour le week-end en réfléchissant à une stratégie pour les proposer à sa femme.

En redescendant, tout était prêt. La table était mise, des tenders de poulet fermier étaient cuits et disposés dans un plat sur la table. Tout le monde l'attendait sagement assis.

La petite famille mangea en regardant toujours les mêmes émissions à la télé. A table, le père observa avec amour ses enfants. Avec sa femme, ils échangèrent même plusieurs fois des regards complices en riant aux frasques des deux fillettes. Puis, une fois le dîner avalé, la table débarrassée, les petites couchées, le mari fidèle prépara le café comme à son habitude.

C'est alors, qu'au beau milieu d'une émission ridicule comme seules les chaînes populaires américaines peuvent en faire, il tenta sa chance.

- On pourrait faire une balade dans les bois vers Yosemite ce week-end avec les filles qu'en penses-tu ? Il fait beau, cela leur ferait plaisir non ?

Sa femme prit la parole et dit d'un ton monocorde :

- Stan... Je ne suis plus heureuse avec toi, je te trompe depuis quatre mois et je vais demander le divorce. Tu dois quitter cette maison qui m'appartient et te reloger rapidement...