Le jour où Mel lança une pièce dans un bar 

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Pour le plus immense des bonheurs de nos lecteurs, rendons-nous dans le bar de « La Pattoune », perdu au beau milieu d’une obscure forêt dont le caractère horriblement cauchemardesque n’a d’égal que la cave à vins d’une auberge dont la torche aurait été éteinte par quelque malin garnement. Mais pourquoi diable se rendre dans un lieu aussi obscur que celui-ci ? Mel, Nate, Cédric et Jack le gladiateur n’en savaient rien, mais ils ne doutaient pas du fait qu’ils y passaient le meilleur des moments. C’est du moins ce qu’en déduisaient les quelques rares et téméraires buveurs qui n’avaient pas fui le bar face à la tempête de rires et d’insultes que déversait la bouche d’une Mel relativement ivre. Quant à la dizaine de jeunes et jolies dames et demoiselles sur qui Jack le Beau avait jeté tout son charme, elles n’avaient simplement pas remarqué que c’était peut-être bien là la dernière expérience professionnelle du pauvre barman.

« Garçon, un autre verre ! » avait lancé Mel avant que le garçon ne lui tende les clés de sa réserve personnelle qui contenait tout ce qu’il restait au bar ce soir-là et, sans doute, pour tous les autres soirs. « Ne penses-tu pas qu’il serait plus raisonnable de rentrer, à présent ? ». Par ce commentaire, Cédric démontrait une fois de plus l’étendue de son génie et, par son refus, Mel démontrait une fois de plus l’étendue de son irraisonnée détermination — qui se faisait tout particulièrement ressentir dès lors qu’il s’agissait d’alcool. Alors qu’elle aidait le barman à débarrasser sa cave de ses dernières bouteilles (corvée évidemment indispensable avant de remettre un commerce), Cédric eut à admettre sa surprise en constatant que son estomac conservait encore tout ce qu’elle parvenait à avaler.

Non loin du désastre qui allait sans doute porter un important coup à l’économie de la sombre forêt, à savoir de l’autre côté de la pièce, se trouvait Jack désormais le Séducteur, et autour de lui la dizaine de jeunes et jolies dames et demoiselles que nous avons plus tôt évoquées et qui, sans que Jack le Bienveillant ne puisse comprendre la raison de ce surprenant fait, portaient des tenues aussi colorées que légères — peut-être trop, si l’on tenait compte du fait que ce bar était, pour le moment, ouvert au public, bien qu’un public relativement rare à une heure si tardive de la nuit, pourrait-on dire matinale ; mais toujours est-il que ce n’étaient pas là de convenables tenues pour des demoiselles de leurs âges, aussi matures et responsables puissent-elles être ; nul ne doute que leurs pères seront aussi ivres que Mel, mais cette fois de colère, en les accueillant, le matin suivant, sur le seuil de leur maison, les bras croisés et le regard féroce, prêts à leur rappeler quelle était leur place ainsi qu’à proférer une interdiction qui ne sera évidemment pas respectée, car les jeunes filles de nos jours sont parfaitement irresponsables et irrespectueuses envers leurs aînés, ce qui est bien évidemment tout à fait inadmissible, et cette phrase doit immédiatement cesser, parce que la totalité des lecteurs ont ici subi une terrible rupture d’anévrisme. Disais-je, celle de ces jeunes et jolies dames et demoiselles qui était la plus mystérieuse, et aussi la plus vêtue (une affirmation qui, en dehors de ce contexte précis, perdrait de tout son sens), s’approcha de la soyeuse oreille de Jack l’Enthousiaste afin de lui murmurer ces quelques mots :

— Savais-tu, beau gladiateur, qu’à deux pas de ce bar se trouve le manoir de l’oncle Pixou, celui qui était autrefois le propriétaire de toute cette forêt dans laquelle nous nous trouvons ? Il était très riche, avant qu’il ne disparaisse, malhonnête qu’il était, emportant avec lui toutes ses richesses ; à l’exception de son manoir qui, à ce jour, et surtout à cette nuit, est des plus effrayants. On raconte que, malgré le fait qu’il soit inhabité, des ombres s’y aventurent parfois, fermant les portes et renversant le peu de décoration que Pixou a laissé là. Certains disent même s’y être aventurés, mais ne jamais en être revenus, tant cet endroit est dangereux. Sans doute ont-ils été mangés par de terribles fantômes…

— Non, lui répondit Jack.

— Comment ça, non ? s’indigna la jeune et jolie demoiselle, ou peut-être dame. Je le sais, je l’ai vu de mes yeux !

— Bien sûr, dit Jack. Mais je ne le savais pas.

— Je vois. Tant mieux : on raconte parfois que c’est là que se rendent les jeunes amoureux désireux d’apprendre à mieux se connaitre à l’abri des regards indiscrets.

Il n’en fallut pas davantage à Jack le Pressé, qui déboula sous le nez rouge de celle qui l’avait quelques jours auparavant enlevé à sa terre natale : l’ivre Mel.

— Je te lance un défi, Mel ! Lance une pièce. Si c’est pile, …

Une pièce dont Jack le Perplexe ne pouvait déterminer la provenance (et, au fond, il valait mieux que cela en soit ainsi) tourbillonna dans l’air imbibé d’alcool, tant qu’elle atteignit ivre la main de Mel, après quelques majestueuses acrobaties dont seules pouvaient se vanter les pièces les plus expérimentées dans le célèbre mais exigeant sport du pile ou face. Il fut décidé, ce jour-là, que la pièce exhiberait sur le poignet de la jeune fille son plus beau profil.

— Pile ! lança Mel, peu soucieuse de savoir ce à quoi cela l’engageait, simplement très heureuse d’avoir effectué un lancé aussi peu gracieux.

— Alors, suis-moi, lança Jack le Satisfait tellement fort que chacun des occupants du bar de La Pattoune se sentit visé par l’injonction, laissant le pauvre barman à son désarroi et à sa faillite.

— Que faisons-nous ? s’enquit Mel, qui peinait à se débarrasser de ceux qui les suivaient en détournant l’attention de chacun sur ce qui pourrait peut-être potentiellement l’intéresser.

Jack le Cachotier décida de garder cette cruciale information pour lui, afin que la surprise de Mel en sorte grandie. Cette expédition au manoir ganté de l’Oncle Pixou — c’est ainsi qu’il avait décidé de le surnommer, sans vraiment savoir pourquoi — devrait se faire un souvenir bien ancré dans leurs mémoires, et il mettrait tout en œuvre pour que cela en soit ainsi. Il espérait simplement que l’imprévisible Mel ne mette pas ses plans en péril. Mais il s’en inquièterait plus tard : à présent, il devrait trouver ce manoir ganté et, ce pays lui étant tout à fait inconnu, il ne pouvait savoir combien de temps cette tâche lui prendrait.

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