Comment Mel et Jack ne parvinrent pas à leur destination

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Il faisait fort longtemps que Jack le Cachotier avait invité la belle Mel à le suivre dans une aventure qui figurerait assurément au sommet du panthéon des aventures qu’elle avait connu tout au long de sa vie, si courte fut-elle jusqu’à ce jour-là — panthéon que Mel jurait tout à fait réellement tenir, bien que personne d’autre qu’elle-même n’ait jamais eut vent de la moindre de ses si incroyables aventures.

Souvenez-vous, lecteur, lectrice, de cette auberge si prisée, nonchalamment posée au sein d’une sombre forêt ; de cette auberge dont nul n’a jamais compris l’intérêt, tenant compte du fait qu’aucune route un tant soit peu fréquentée ne daignait y mener. La Pattoune (c’est là son petit nom) avait eut à brusquement fermer boutique, dans la précédente partie de cette passionnante histoire, prenant la suite de chacune des auberges que visitait l’ivre Mel, faisant de cette jeune femme tout à fait extraordinaire l’antagoniste principal de l’économie de bien des lieux dont il est inutile de tenir compte, car là n’est pas le moins du monde le sujet de cet incroyable récit. Et n’oubliez pas, lecteur, lectrice, que cet incroyable récit fait suite aux folles et incroyables aventures de Mel et de ses compagnons et que, par conséquent, vous vous apprêtez là à lire un texte aussi peu compréhensible, bien que tout à fait relativement passionnant, que les précédentes péripéties vécues par nos héros. Vous voici à présent prévenus, car je suis aujourd’hui d’humeur prévenante — quelle chance pour vous, lecteur, lectrice, bouleau (je referme à présent le quatrième mur mais, sachez-le, je ne suis pas né maçon).

Nos charismatiques héros, à savoir les incroyables, les fabuleux, les légendaires Jack et Mel — ayant visiblement laissés leurs deux compagnons à leur triste sort, ne sachant aucunement quand, ou même si, ils allaient jamais les retrouver —, se trouvaient donc en route, droit, espéraient-ils, en direction du terrible Manoir Ganté qu’un personnage aléatoire et totalement inintéressant, puisqu’il n’interviendra sans doute plus jamais dans cette histoire, leur avait désigné comme étant un lieu effrayant mais cependant calme et idéal pour qui désire un tant soit peu d’intimité. Une telle incompatibilité dans les critères d’un quelconque lieu n’avait toutefois pas suffi à les dissuader de se mettre plus ou moins efficacement à sa recherche.

Quelque peu agacée d’avoir marché plusieurs heures durant sans jamais toutefois apercevoir le moindre manoir, ni même le moindre gant, Mel décida d’interpeller son guide autoproclamé, qu’elle supposait alors être un imposteur des plus doués.

— Jack, sais-tu au moins où nous nous trouvons ?

— Bien évidemment, que je le sais. Je connais ce pays autant que ma propre maison ! Il m’est impossible de m’y perdre d’une quelconque façon.

Jack l’Imposteur était particulièrement fier de cette imitation de guide talentueux : il était tant persuadé d’avoir convaincu sa future dulcinée, espérait-il, qu’il en avait presque oublié le fait qu’il était tout aussi perdu qu’elle, qu’il ne savait absolument pas où se trouvait ce manoir, ni même s’il existait seulement et, par-dessus tout autre chose, qu’il n’avait jamais eu la moindre maison.

Cependant, durant les quelques kilomètres de marche qui suivirent ce mensonge, que Jack avait jugé tout à fait légitime, il remarqua que le jour, en plus de s’être couché, puis levé, puis couché encore, une dizaine de fois à peu près, voici qu’il se couchait à nouveau. C’est alors seulement qu’il douta lui-même de sa propre tromperie ainsi que de sa légitimité ; puis il aperçut la belle Mel et la confiance lui revint aussitôt.

Hélas, tel ne fut pas le cas de la belle en question.

— Nous sommes perdus. N’est-ce pas, Jack ?

Jack l’Égaré eut cette fois à reconnaitre que ce nouveau surnom, parmi ceux que l’auteur de talent inventait au fur et à mesure qu’il écrivait l’histoire, non sans une pointe de génie, mais sans la moindre ligne de conduite, était particulièrement adapté à la situation qu’il traversait alors.

— Il est vrai, très chère, que peut-être vous n’avez point parfaitement tort. Voyez-vous, peut-être ai-je effectivement été quelque peu optimiste quant aux capacités de mon très légendaire sens de l’orientation, à propos duquel d’aucuns disent pourtant qu’il ne se trompe qu’aussi souvent que la Lune est pleine, plus ou moins. Hélas pour vous, très chère, cette nuit est peut-être de pleine lune, peut-être d’ailleurs tout autant que les dix précédentes, à peu près. Peut-être dois-je me dire désolé de ne pas parfaitement savoir où nous nous trouvons avec la plus grande des précisions, ni avec la moindre précision du tout. Il s’avère que peut-être cette rencontre qui est la nôtre aurait pu sans doute mieux tomber. Pourtant, très chère, elle fut telle, c’est-à-dire qu’elle fut aujourd’hui, ainsi que les dix jours, à peu près, précédents celui-ci, peut-être. Ainsi, ces larmes qui, très chère, coulent le long de mes si belles joues sont peut-être le symbole de mon plus sincère regret, de mon plus immense désarroi face à cette situation qui est la nôtre, en ce moment même, très chère. Voyez-vous peut-être, très chère, je…

Face à l’évident désintéressement de son si faible auditoire, composé seulement d’une Mel bien peu attentive à sa si magnifique éloquence, Jack le Comédien jugea inutile de se donner tant de mal encore, et entreprit plutôt la tâche, non moins pénible et, surtout, périlleuse, de rattraper l’intégralité de l’avance que venait de prendre sa compagne de voyage alors qu’il récitait cette si grandiose allocution.

Cela lui prit au moins une bonne demi-journée, si l’on omet de prendre en compte l’entière nuit qui l’avait précédée, demi-journée durant laquelle Mel profita d’un silence amplement mérité, car supporter Jack le bavard n’était pas un don duquel tout un chacun était en mesure de se vanter sans se montrer, par la même occasion, relativement malhonnête. Mel avait beau être généralement, ou peut-être toujours, relativement malhonnête, il est prompt de lui accorder que, cette fois, dans cette situation très précise, et celle-ci seulement, elle ne l’était pas tant que cela.

Toujours est-il qu’elle savoura chaque seconde de ce silence.

Face à leur évidente incapacité à poser l’un de leurs pieds devant celui qui était son opposé de manière sensée et raisonnable, autrement dit, face à leur incroyable et terriblement inconcevable capacité à se perdre sans cesse, même là où quiconque aurait du mal à ne pas trouver son chemin à moins de réellement y mettre énormément d’énergie et d’entrain, Jack et Mel les Égarés prirent une décision sensée et raisonnable, ce qui, même s’ils en venaient à combiner leurs plus véhéments efforts, ne constituait pas pour eux une activité fort habituelle : ils décidèrent, conjointement, de concert, sans dispute aucune, ou du moins quasiment, de faire halte dans la première habitation habitée qu’ils viendraient à croiser afin d’y passer, enfin, espéraient-ils, une nuit véritable et réparatrice.

Une petite ferme parmi les plus typiques qu’il était possible de trouver dans la région dans laquelle ils en étaient venus à s’être perdus, et dont ils ignoraient tout du nom ou de la localisation exacte dans le monde entier, fut ainsi la première habitation habitée qu’ils vinrent à croiser. Cette fois parfaitement résignée à ne plus laisser Jack l’Aléatoire mener leurs infinis déboires, sans toutefois obtenir de lui la moindre permission — non qu’il ne lui ait pas accordée, cela il était évident qu’au moins il aurait considéré sa requête, qu’au moins, ou plus, il l’aurait formulée lui-même ; mais plutôt qu’elle se passa bien de lui adresser la moindre requête —, Mel entreprit de s’aventurer dans la si étendue, si haute, si inquiétante propriété qu’elle en vint à se demander s’il ne s’agissait pas là du tant convoité Manoir Ganté. Le vieux — disons âgé — propriétaire lui confirma néanmoins que cela n’était aucunement le cas — non qu’il le lui ait confirmé ; mais simplement qu’il ne portait aucun gant, et que tout un chacun sait pertinemment que les noms qui sont accolés aux lieux de ce monde, aussi loufoques ou étranges puissent-ils paraitre, sont néanmoins toujours bel et bien fondés sur une quelconque vérité, du moins cela est-il ce que Mel avait appris, ou plutôt pensait avoir appris, car sa mémoire n’était pas des meilleures, lorsqu’elle était une toute jeune enfant et qu’elle suivait, non sans une certaine lassitude, les cours dispensés aux enfants de son village par la douce et délicate — si ce n’était avec Mel elle-même — dame Tilky, ou Valdy, ou Remy, elle avait oublié son nom exact mais savait, ou pensait savoir, qu’il devait se terminer par une voyelle proche de celles-ci ; si lointaine cette douce époque puisse-t-elle être. Toujours était-il que de telles pérégrinations au fin fond de ses obscurs souvenirs l’avaient largement détournée de son objectif premier, laissant tout le loisir à Jack le Sociable de reprendre le flambeau de la responsabilité — ce qui ne le rendit pas peu fier.

— Nous voici donc logés, nourris et nettoyés, tels de véritables rois et reines, princes et princesses. Et gratuitement, qui plus est !

Sans doute pensait-il qu’une telle nouvelle réjouirait tant sa compagne de voyage qu’elle lui offrirait mille baisers, mille tendresses, mille nuits en sa charmante compagnie, et peut-être mille, ou au moins dix des pièces d’argent qui devaient se terrer au fond de sa bourse. Pourtant, sans qu’il n’en comprenne le moins du monde la raison, elle paraissait davantage en colère, du moins inquiète, qu’elle ne pouvait paraitre reconnaissante.

— Gratuitement ? Comment donc as-tu obtenu pareille faveur ? Qu’as-tu là encore négocié ?

Jack l’Honnête, passablement hébété par un tel comportement, se sentit passablement confondu et tenta par la suite de passablement s’expliquer.

— Rien, voyons ! Rien qui ne risque d’aucune façon que ce soit de nous porter un quelconque préjudice ! Aucun préjudice physique, cela est certain. Du moins si les termes de l’accord sont entièrement respectés.

Mel se montra toutefois bien insistante.

— Qu’as-tu convenu avec cet homme ?

— Rien, t’ai-je dit. Du moins n’a-t-il été mentionné rien de bien particulier. Et, de plus, ce brave homme a-t-il proposé, insisté même, de nous offrir, en son immaculée bienséance, ce pour quoi nous devrons bien évidemment, il est certain, lui montrer mille gratitudes, car c’est là un acte parmi les plus bienveillants qu’il puisse…

Ce fut la douce et véhémente main de Mel qui parvint, enfin, à faire cesser cette succession incessante et agaçante de mots chacun plus incohérent que celui qui le précédait immédiatement. Durant un très bref instant ensuite, aussi bref peut-être qu’un orage qui gronde, éclate, éclate à nouveau puis enfin se calme sans toutefois parfaitement se dissiper, Mel resta silencieuse, visiblement désireuse et angoissée à la fois à l’idée de découvrir, dans leur absolue entièreté, les termes du mystérieux accord dont il était ici question.

— Qu’a-t-il proposé exactement, Jack ? lui demanda-t-elle sur un ton qui ne supposait pas la moindre répartie. Et, cette fois, parle peu, mais parle suffisamment. Dis-moi tout, mais rien de plus. Relate-moi les termes de votre accord, mais sans t’aventurer au-delà. Explique-moi tout, mais n’extrapole pas. Parle, mais laisse donc de côté ces étonnantes envolées lyriques exaspérantes. Réponds.

Finalement la douce et véhémente main de Mel quitta-t-elle la tout aussi douce et véhémente mâchoire de Jack l’Abasourdi. Il lui avait très soudainement pris la très forte envie de faire remarquer à la contrariée Mel qu’elle venait d’elle-même se laisser emporter par une étonnante envolée lyrique exaspérante mais, se remémorant les heures les plus sombres des mouvements de son pied en sa direction, il préféra, judicieusement sans aucun doute, se contenter d’accéder à sa requête.

— Eh bien, vois-tu, ô grande Mel, il s’avère que ce brave… que ce bon… que le fermier qui vit ici nous a très amicalement… nous a proposé de nous emmener, en toute… de nous emmener découvrir son lieu de baignade favori, et par ailleurs, de nous débarrasser de nos sales vêtements afin de nous les rendre bien plus propres.

— A-t-il posé d’autres conditions ? N’oublie pas, le menaça-t-elle d’un air on ne peut plus menaçant, de te montrer aussi concis que possible.

— Non.

Mel, cette fois passablement hébétée par une telle annonce très suffisamment concise et précise, se sentit passablement confondue et tenta par la suite de passablement regagner tout le calme dont elle était capable à l’égard de son compagnon de route — c’est-à-dire un calme tout à fait relatif —, calme avec lequel elle se mit en route en direction de la charmante ferme dans laquelle vivait ce tout aussi charmant fermier, un homme que l’aspect rondelet rendait d’autant plus attachant et, il était vrai en réalité véritable, bienséant. Jack et Mel eurent cette fois bien plus de difficulté à se perdre, malgré qu’une telle activité soit pour eux quotidienne et intuitive, étant donné le fait que la ferme se trouvait à une distance plutôt faible du lieu de leur récente altercation — plus précisément, à une dizaine de pas de là, mais des pas tout passablement complexes puisqu’ils reposaient sur un sol de terre quelque peu irrégulier.

Toujours fut-il qu’ils parvinrent à gagner le lieu sans plus de difficultés ; lieu dans lequel allait prendre place une nouvelle série d’aventures tout aussi palpitantes que banales et qui, lecteur, lectrice, bouleau, boulette, vous seront contées avec tout le soin et toute l’incomparable clarté que vous connaissez à l’auteur de grand talent que je me trouve être devenu à la suite de décennies, que dis-je, de siècles d’un apprentissage digne des plus difficiles entrainements que l’on voit dans certaines œuvres de fiction parmi les plus moyennement qualitatives — je parle bien entendu de ceux qui se trouvent bien trop rapidement expédiées, lors desquels le héros ou l’héroïne ou le bouleau passent de l’enfance à l’âge adulte sur le temps d’une chanson encourageante, et à l’issue de laquelle ils sont devenus le héros ou l’héroïne ou le bouleau charismatique décrit dans le résumé ou la bande-annonce de l’œuvre de fiction dont il est là question —, à l’issue duquel je suis donc devenu celui que je me trouve être en ce jour béni. Ainsi, les aventures palpitantes vous seront relatées par mes doux et tendres soins lors d’une prochaine nouvelle, étant donné le fait que celle-ci excède d’ores et déjà tous les standards qui m’ont été imposés lorsque Mel voyagea au pays de Jack le Gladiateur. C’est pourquoi le vous laisse enfin, après cette étonnante envolée lyrique tout à fait fabuleuse, et vous promet que Mel et son compagnon adoré seront de retour, je n’ose dire bientôt, car à présent vous savez qu’une histoire d’une pareille complexité, d’une pareille perfection, d’une parfaite grandiosité, ne peut aucunement être réalisée en un jour — ni en deux, ni en trois, mais peut-être en mille, bien que j’en doute.

— Pouvons-nous finalement entrer ? La nuit est désormais bien installée et je suis transie de froid. Cesse donc de divaguer de la sorte et conduis-moi à l’intérieur de cette ferme dont tu vantes tant les mérites.

Et ainsi entrèrent-ils.

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