Chapitre 4 (2)

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— Pardon, tu disais ? je secoue la tête en concentrant de nouveau mon attention sur lui.

Du menton, il désigne mon visage avant de répondre.

— Tu ne m’écoutais donc pas. (Il marque une pause) Tu pensais à quoi ?

— A rien. Rien du tout, je m’empresse de répondre.

Je tente de soutenir son regard peu convaincu mais je craque, une main passant dans mes cheveux.

— Ok, je pensais à toi.

Il hausse un regard appréciateur.

— A moi ? Dis-moi tout, ça m’intéresse.

Le brun boit une énième gorgée de café et vu comme il penche la tasse, j’ai la certitude que c’est la fin. Il m’observe ensuite, une lueur que je ne suis pas certaine d’interpréter correctement dans les prunelles et un sourire satisfait sur les lippes.

— Tu sais très bien à quoi je pensais.

— Je ne lis pas encore dans les pensées des autres, alors je vais avoir besoin d’un indice.

Sa voix chaude vibre dans mon oreille puis il pourlèche sa lèvre inférieure. Il a très bien compris, il sait ce qu’il fait.

Ces pensées me troublent depuis des semaines et, pas une seule seconde, j’ai imaginé en parler de vive-voix avec Aaron. Je saute alors sur l’occasion, au risque de regretter.

— Tu ne te demandes jamais pourquoi on a fait ça ?

— Uhm, parce qu’on en avait envie ? Ça me paraissait évident.

Tout a l’air si simple pour lui. Il ne dégage aucun remords, aucune culpabilité. Comme si ce qu’on avait fait n’était pas la pire chose qu’on puisse faire subir à Cassie.

— Oui, oui. Je le sais, ça. Ce que je veux dire, c’est que tu ne t’ais jamais dit qu’on avait fait une connerie ?

Mes dents mordillent l’intérieur de ma joue alors que, les mains dans les poches, je joue avec mes cuticules. Aaron réfléchit un instant et j’appréhende la réponse.

— Tu sais, les regrets et vivre dans le passé, ce n’est pas vraiment mon truc. Puis on n’a fait de mal à personne en couchant ensemble à Halloween-

Je plaque une main contre la bouche d’Aaron, l’autre contre sa nuque et lance des regards brefs autour de nous afin de vérifier que personne ne l’a entendu dévoiler notre secret à voix-haute. Notre tout petit secret.

Je l’entends marmonner contre ma paume et je la recule d’un centimètre pour le laisser finir.

— Puisque personne n’est au courant…

— En fait, tais-toi. Je ne veux plus t’entendre.

Mon cœur bat si fort que je le sens pulser dans ma cage thoracique, dans mes veines, dans mes tempes. Ma respiration anarchique se mêle à celle d’Aaron et nos regards se croisent, s’attrapent et ne se lâchent plus. Toujours ce mélange perturbant d’amusement et de défi qui se lit dans les prunelles du jeune homme alors que les miennes doivent refléter l’état mitigé dans lequel je suis. Coincée entre la culpabilité et … Quoi ? La convoitise ? L’exaspération ? Même moi, je n’en ai pas la moindre idée.

Toucher la peau chaude d’Aaron, me retrouver si proche de lui, sentir son odeur masculine me ramène dans le passé et mon esprit se rappelle l’effet de ses lèvres, de ses doigts sur mon épiderme. De la facilité qu’il avait à me faire perdre pied. De la chaleur ardente qui me consumait totalement.

Sans me quitter des yeux, Aaron lève doucement la tête pour se défaire de mes doigts sur ses lèvres, qui glissent sur son menton.

— Tu devrais arrêter de me regarder comme ça, murmure-t-il d’une voix tentatrice.

— Comment ?

— Comme si tu voulais que je te reprenne ici, contre la barrière.

L’oxygène se bloque quelque part entre ma bouche et mes poumons mais je reprends vite contenance lorsque la poitrine d’Aaron commence à trembler. Est-ce qu’il est en train de rire ? Je le repousse violemment, agacée.

— Tu trouves ça drôle, abruti ?

— Ça va, c’était pour déconner ! dédramatise-t-il en reprenant son équilibre.

Il vient ensuite poser ses mains sur mes épaules et me force à le regarder, une mine qui se veut rassurante sur le visage.

— Tu te prends vraiment trop la tête. Personne n'est au courant et personne ne le sera jamais à moins que l’un de nous ne le dise. Alors on ne craint rien, ok ? (je hoche doucement la tête, l’intérieur de la joue coincée entre les dents.) Maintenant, arrête de me fixer comme si j’étais le grand méchant loup sur le point de te sauter dessus.

Sa remarque a le mérite de m’arracher un petit sourire.

Quelqu’un porte des coups contre le verre de la porte-vitrée pour attirer notre attention et je tourne brusquement la tête. Cameron nous regarde. Depuis combien de temps est-il là ? Nous a-t-il entendu parler ?

— Terrie, tu nous fais le petit-déj ? me demande-t-il, une moue enfantine et endormi sur le visage, après avoir ouvert la porte coulissante.

Je lui réponds précipitamment par l’affirmative, soulagée, et je le regarde marcher jusqu’à la table du coin salle-à-manger. Je me frotte vivement le visage et laisse mes doigts filer dans mes cheveux — j’hésite à me les arracher par la même occasion.

— Le devoir m’appelle, plaisanté-je en me pinçant les lèvres.

Je me dirige vers le salon mais la voix d’Aaron m’interpelle.

— Terrie, attends ! Il n’y a pas de malaise entre nous, hein ? m’interroge-t-il, visiblement soucieux.

— Zéro problème, ne t’en fait pas.

Si je ne compte pas la culpabilité et le mal-être que je ressens, je ne suis pas vraiment en train de mentir.

— Cool, sourit-il. Tu ne venais plus vraiment à l’appart’, j’avais peur que ce soit à cause de ça.

— J’avais juste beaucoup de travail avec la fac.

Ok, là, c’est bien un mensonge. J’ai évité d’aller chez Aaron et Naïm —aka ma seconde maison— depuis des semaines pour ne pas avoir à me confronter à Aaron et à devoir mentir à Naïm. Mais ça, il n’est pas obligé de le savoir.

Il acquiesce en souriant puis je rentre définitivement. Je retire la veste et la repose là où je l’ai trouvé. J’ébouriffe les cheveux de Cameron, torse nu comme à son habitude, qui dort à moitié, accoudé au comptoir de la cuisine. Il m’envoie un sourire angélique alors que je commence à fouiller dans les placards et le réfrigérateur.

Pendant la préparation du petit-déjeuner, les autres descendent au compte-goutte et s’ajoutent autour de la table. Naïm me propose son aide lorsqu’il vient déposer un baiser contre mon crâne pour me dire bonjour mais je refuse. J’aime cuisiner pour eux, j’ai l’impression d’être enfin utile.

— Du salé dès le matin ? remarque Esther d’une mine écœurée lorsque je pose son assiette devant elle.

Elle repousse la part de tortilla et les deux tranches de pan tumaca — un petit-déjeuner espagnol composé de pain, de tomates et d’huile d’olive que ma mère avait l’habitude de préparer pour Alexia et moi lorsque nous étions enfants — et jette un regard en direction de son copain.

— Si ça ne te va pas, démerde toi. T’es pas à l’hôtel.

— Ouh, Teresa n’a pas encore pris son café ce matin, s’amuse Naïm pour détendre l’atmosphère.

— En effet, quelqu’un l’a bu à ma place.

Je coule un regard accusateur vers Aaron, tout le monde rigole.

Je vais chercher mon assiette posée sur le comptoir de la cuisine et m’installe autour de la longue table où les discussions s’allègent. Esther minaude encore un peu auprès de Maxime pour qu’il lui fasse le petit déjeuner. Il ne prend même pas la peine de formuler une phrase alors qu’il engouffre la fin de sa première tartine dans sa bouche et désigne les placards de la cuisine d’un rapide geste de main. Son visage tacheté se décompose devant le peu de considération et elle cherche du soutien chez les garçons qui la fuient du regard.

Une règle d’or chez nous : personne ne s’interpose dans le couple des autres. Sauf moi, parce que sinon ce n’est pas drôle.

— Vous êtes chauds, on va au resto ce soir ? lance Naïm les yeux rivés sur l’écran de son téléphone pendant que nous rangeons la vaisselle.

— Mec, on vient de sortir de table et tu nous parles déjà de ce soir ? rétorque Max amusé.

— Je sais mais je viens de voir une vidéo de raclette et ça m’a grave donné envie !

Tout le monde prend part à la discussion sauf moi. Je m’autorise une œillade en direction d’Aaron qui me considère déjà. La réflexion que je me suis faite pendant que je préparais le petit-déjeuner devient une certitude : je me suis foutue dans une sacrée merde avec mes conneries alcoolisées.

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