Survivance & Amalgame – Cadence du Miel et du Blé au Creux des Montagnes

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L’EMBELLIE QU’IL IGNORE

 De tout temps après une nuit agitée, Erle aimait à se coucher entre les fleurs. Un havre qui lui redonnait courage. Le pollen et les senteurs ravivaient ses forces, le bruissement du petit monde galvanisait son voyage. Alors, il y laissait ses muscles se détendre, y respirait profondément afin d’oublier les pleurs à la tombe. À la brume il léguait son fardeau ; à la prochaine Lune il reprendrait son dévot. Jamais il n’oubliait de la saluer. Jamais. Entre ses lèvres Erle pinçait un brin d’herbe, une tige d’aubépine ou de l’écorce de saule ; et à l’autre bout du végétal lui chuchmurait toujours : « Ilazki Amandrea, zeruan ze berri ? » Mais las, exténué, il s’endormait sans réponse et ignorait la coccinelle à son front qui déposait là caresse de sa mère.


L’ÂGE D’OR DES CHAMPS DE BLÉ

 À l’horizon de la plantation, Igitai se levait. On l’avait prié d’insuffler volonté aux hommes de la terre ; en réalité de trancher les hésitations et de repousser les clôtures. Le blé nourrissait ses gens. Tant et si bien que le monde s’accrut et se croit à présent prospère. Temps bien et si tant qu’une orée de bois à nouveau s’oblitère. La Soleil vint à l’horizon ; déjà lames et pioches tintinnabulaient sur les épaules ; les chênes géants et frênes gênants furent marqués. Au zénith, les travailleurs épongeaient la sueur de leur front, le souffle satisfait au sommet de la pile de troncs. Igitai s’était révélé valeureux quant à l’imminence de l’insolation, il ne cessait de retourner la terre en suppliant sa brillante mère de leur accorder embellie salutaire. Lors la Soleil se dissimula derrière de fins nuages et s’en alla dormir ; son enfant la salua : « Ekheri Amandrea, zoaz zeure amagana. »


LE POIDS DU MORT

 Paisibles sont les départs d’hiver.

 L’enfant s’était endormie et le grand-homme éteint. Près du foyer d’où crépicraquaient les bûches asséchées de la sueur de l’été, la chaise à bascule oscillait encore de l’énergie du camard nouveau. Une vaillance à la tâche qui ne le quitterait jamais, le fier honneur d’une vie remplie jusque dans l’après ; où jamais le contraire ne pèseraient plus que les larmes de l’enfançonne. Au bout de la nuit s’il le fallait, l’âme aurait secoué l’amas d’os fatigués, aussi jamais sa descendance n’aurait eu à s’en soucier. Néanmoins elle pleura. La dernière-née serra de ses petits doigts la pulpe tannée de l’encore tendre dont le cœur d’amour cessa de battre pour toujours.

 Çui-ci aura aimé du début à la fin. Et pour çui-ci – à l’évidence il rejoindrait Ilazki – Igitai et Erle ne discutèrent pas. Le premier s’endormit ; sous l’opale essence de sa mère, l’autre se mit au travail.


DU VOILE NOIR LA RUCHE EST COUVERTE

 Ainsi, Erle arpentait les sillons. Des betteraves aux potirons, il inspectait chaque feuille et d’un souffle brisait les malades. Il réajustait les tuteurs qui de sa bise souffraient, néanmoins attentif, arrachait les mauvaises herbes. Dans la maison, bientôt les complaintes briseraient les murs et les étoiles en flocons pleurèrent de blessure. Le duvet immaculé habillait le départ ; à Erle incombait de seoir la berme sise aux cieux de souffre et de déboire, autant de promesse et d’espoir. Il traçait la voie de ses yeux, de son doigt fendeur les nuages se scindaient et sa mère apparaissait enfin. Cocagne, nitescente. Ilazki ; le repos des âmes. Et si tout était prêt, malgré la neige cache-douleur en pluie, ne manquait que des lumières sous la nuit.




 Erle rucha sans morgue ; sinon une suspension était-ce le silence de la sorgue l’écho du temps jouant de son orgue ?



 De derrière, la porte s’ouvrit et de ce rien sonna en bruit l’exorde du reluit.

 La demoiselle de ses petits pas craquait le fleuri verglas. Elle avançait avec précautions sur le chemin, prenait garde à ne pas tomber, car après le jardin bâtarde était la chaussée. Elle portait le deuil aux couleurs de la suie et devenait le fauteuil de bouclettes ambrées pleines de vie. Elle gardait pour elle ses larmes lorsqu’elle vit la houe reposer en manche croisé au coin du pré, tête-bêche au râteau et à la fourche fatiguée. Son père les avait usés en échange de son estomac toujours rempli de pain, de soupe et de fruits. Son regard se perdit au loin, là-bas où les champs prodigieux grignotaient d’hiver en hiver un peu plus de terrains afin qu’un peu plus de gens mangent à leur faim. Mais elle, elle continuerait de cultiver son jardin. Au-delà du houx et des hortensias elle dévia vers l’abeiller.

 Sous les étoiles attristées, lors que les rossignols se blottissaient dans les nids et que l’essaim bourdonnait de pollen raréfié, la dame élégante froufroutait ses soieries zinzolines. Le châle sépulcral s’entremêlait à ses doigts, et au-dessus de la ruche, elle arrêta son œuvre, hésitante, tremblante, transie d’espoir et de crainte. Elle souffla. Avec des précautions infinies de mère, elle tira l’enfant de son sein pour la serrer plus fort encore et lui faire risette. Erle se manifesta à la frontière des prunelles. Elle sursauta, mais ne fit agitation.

« Il n’est plus beau spectacle que celui d’une mère et sa fille unies par les liens de la tendresse. Ne triture pas ton esprit ; tu es ici pour accomplir la volonté du défunt, d’ici demain tu ne te souviendras de rien. Couvre la ruche du voile. »

 Pleine de respirations manquées, alors qu’elle fut lacrymales séchée, la dame pleura. Ses yeux embués pénétrèrent la paire luciole qui la fixait. Avec douceur elle s’approcha de lui, du dos de la main repoussa délicatement la capuche tissée qui recouvrait son visage. De peau il n’était pourvu, seuls larves et scarabées délimitaient son essence, pourtant il sentait bon ; la mousse et la fraîcheur des bois gagnaient les narines, des limbes la fragrance en était-elle l’opposée. Les scolopendres couraient ses veines et les papillons époustouflaient ses poumons. Au creux de cette carcasse Erle avait un cœur. Dans les montagnes on ne voyait en lui qu’un carnaval d’hideurs au service de la Lune pour effrayer les âmes perdues aux champs afin qu’elles retournent au firmament. Il se laissa étreindre. Il la laissa déposer un baiser au milieu du front que menaient les cloportes.

 De sa voix souche :

« Tu as hérité de l’amour coccinelle. »

 Puis de disparaître :

« Couvre la ruche du voile. »

 Ce qu’elle fit et le monde se figea.

 Au revers du monde, Erle toqua à l’abri de bois et des rayons la reine se montra.

« Agur zu erregina maitia. J’apporte une triste nouvelle : votre maître est mort. Je fleurirai dorénavant votre domaine et prendrai soin de vous. Vous ne craindrez ni l’homme ni l’hiver. En échange, offrez-lui les condoléances qu’il mérite avec autant d’amour qu’il aura eu pour vous. Que votre cire le guide jusqu’à ma mère et que votre miel nourrisse sa famille. Travaillons ensemble pour que demain vous rende grâce. »

 Les abeilles en émois vrombissèrent solennelles. Elles se glissèrent dans le vent et essaimèrent le monde, les étoiles guidaient leurs ailes jusque la moindre corolle vagabonde. Bien que fatiguées du labeur de l’été et frêles du frimas féroce, les ouvrières ne remarquaient pas Erle les étreindre de brume diaphane, si large et si raffinée de cette campagne endormie aux fleurs dissimulées que bientôt le ciel de pur s’était auroré et de brise embaumée. Fortes de cette ferveur revigorée, la ruche entière façonnèrent la cire en bougies inspirées. L’enfant de la Lune les déposait une à une, sans commune tribune en écume vers cette lagune taciturne, légères plumes qui rallument à titre posthume la fortune plus jamais lacune.

 Du côté de l’avers, un clignement de cils suffit à émouvoir la demoiselle chargée de sa postérité. Émerveillée par le spectacle qui prenait vie devant ses yeux, elle sentait la présence du défunt tout autour d’elle. Elle imaginait sentir son bruissement délié dans l’alizé nocturne. Les lumières vacillantes lui offraient réconfort et tendresse. La demoiselle remercia Erle et les abeilles puis s’en alla. Une bourrasque la fit vaciller ; l’âme du défunt entamait son voyage vers Ilazki. Et elle ria, heureuse, car elle savait que la ruche entière serait gardienne de la voie et que chacune de ses forces veillerait à entretenir les bougies vivantes, éclatantes, que le bourdonnement mélodieux orchestrait la symphonie dédiée à l’ultime voyage.

 Sur le parvis de la chaumière, il lui sembla les étoiles plus nombreuses qu’hier.


SEMPITERNELLES SONT LES DEUX SŒURS

 Le ruisseau filait entre les herbes gelées. À l’aube, Erle s’adossa à la roche du lavoir. Il expira satisfait dans la fraîcheur du matin. La vapeur envolait sa question : « Ilazki Amandrea, zeruan ze berri ? ». Pas de réponse ; le baiser d’une coccinelle, mais du miel pour deux mains.

 Igitai s’étirait, prêt à accomplir sa tâche afin que les récoltes fournissent du blé pour demain. Les champs s’étendaient à perte de vue, scintillants sous les premiers rayons d’Ekheri. L’enfant de la Soleil s’érigeait sentinelle au milieu de cet océan de verdure dorée, déterminé à parcourir les rangées de blé, inspecter chaque tige, éliminer les funestes. Il n’était jamais seul, au contraire !, gagnait-il en ferveur lorsque les ouvriers l’entouraient et déployaient leurs efforts zèles. Les bras musclés maniaient les lames et les pioches avec précision, les peaux tannées luisaient d’effort tandis que le sel des forts abreuvait les sols. La règle est aux prises chez lui avec le rêve. Lui, dont l’instinct est d’aller, errer, de poursuivre l’infini dans les souffles, dans les murmures des vents et des eaux, dans les odeurs germinales et de créer puis d’alimenter ce rythme harmonieux qui résonnait dans l’air matinal.

 La chaleur s’intensifiait peu à peu, mais cela n’entamait pas leur détermination. Tous essuyaient la mouillure à leur front, et qu’importent les javelines incandescentes précipitées par Ekheri, ils s’illuminaient tous d’un sourire satisfait. Igitai avait su gagner leur respect et leur confiance en travaillant côte à côte avec eux, surtout il faisait union entre le dévouement à la terre et à sa mère. Alors que la Soleil accostait au zénith, les travailleurs marquaient une pause méritée. Ils s’abritaient à l’ombre des arbres encore là, reprenaient leur souffle et se désaltéraient, les yeux rivés vers lui, le brillant enfant, le porteur de faux, toujours au champ à s’échiner, à remuer labour et implorer les nues. « Ekheri Amandrea, emadazu euria. » De fins nuages voilèrent sa mère et la soif fut épanchée.

 Alors que le crépuscule approchait, la fatigue commençait à se faire sentir. Igitai savait sa mission essentielle et son dévouement nécessaire afin d’assurer une récolte abondante. Il se préparait à l’épreuve du lendemain, s’imprégnant de l’énergie des hommes et de la candeur de sa mère. Il posa sa faucille et la nuit se montra, dans son cortège sa tante et face à la Lune, cette nuit au moins, il se tint debout, fière sentinelle des champs de blé et protégeraient ses camarades usés de la venue d’Erle. Les yeux lucioles s’allumèrent.

« Va-t’en, Erle. Notre travail portera ses fruits, leur persévérance sera récompensée. »

« Bonsoir, cousin. Trouves-tu encore la force d’entrevoir l’embellie ? »

« Inlassablement. Laisse-les-moi encore, nous achèveront la moisson et nous nourriront la population. »

« Au détriment des miens ? »

« Pour eux aussi ; je te le jure. »

« Soit. Par égard pour ta dévotion, Igitai, je m’en vais honorer ailleurs. Cela étant, n’oublie pas que des âmes à toi sont fatiguées et qu’avec les étoiles cette nuit elles auraient dû briller. »

« Nos mères se disputeront à ce sujet. Merci, Erle. »

« Je décline à cause de toi, Igitai. Tu brilles et plus personne ne me voit. Ne l’oublie pas. »

 Le vent bisa les joues brûlées d’Igitai. La douceur avait un goût mielamère.

 Ilazki et Ekheri, liées à jamais, sont à la fois sœurs, amies et rivales. Elles se chassent et se succèdent, se partageant le temps et l’espace avec une sagesse infinie. Leur danse éternelle marque les saisons, les marées et les rythmes de la nature. Danseuses étoiles, la Lune et la Soleil continueront leur voyage sans fin. Ainsi, dans ce monde théâtral où les personnages se dévoilent, les sœurs célestes éclairent les scènes de leur présence intemporelle. Leurs rayons embrassent les êtres, les inspirent, les guident et leur rappellent sans relâche que même dans les ténèbres les plus profondes, il existe une lumière qui ne s’éteint jamais.


JUGER LA VIE AVEC SON ESPRIT ET LA SENTIR AVEC SON CŒUR

 Au cœur de la cité, la vieille dame, jadis innocente aux bouclettes ambrées barra les paupières. Ni les rayons de la Lune ni ceux de la Soleil embelliront à nouveau ses iris.

 Erle composait avec les pleurs, les sanglots en notes s’accordaient au soliste strident d’un train passant. En contrebas se gesticulaient les citadins, affairés à rattraper le temps, atones au proche pourtant sensible au loin. Les mouches et les moustiques composaient son orchestre. Gris, sombre, oblitéral.

 La fontaine crachait son eau propre en trahison au visage d’Igitai. Il cherchait en vain la vanne de barrage, afin que ce petit-ci cesse et que l’opprobre ruisselle moins à son héritage. Il ne les comprenait plus. Pourquoi diantre fallait-il que les hommes s’émerveillent du flamboiement nacrée des girandoles de sa mère au travers des gerbes acquées ? Pour qu’à la suite des décharges encombrées les champs de blés s’allégissent de grains robustes. La faucille s’étiolait et la rouille vainquait. Brunêtre, piquée, tombale.

 Erle et Igitai se rendirent finalement au chevet ; ils ne discutèrent pas. Ilzaki et Ekheri n’en voulaient pas, de cette âme-là. Elles n’en lorgnaient plus vraiment. À quoi bon quand elles ne comptaient plus vraiment.

« Peut-être suis-je allé trop loin, Erle ? »

« Trop pour qu’il n’y ait plus de miel. »

« Et le reste ? As-tu remarqué l’aberration dans les champs ? »

« Tout ce pain jeté. »

« Tous ces ventres affamés. »

« Nous aurons essayé. Viens, Igitai, plus personne n’a besoin de nous. »





« « Dans le vaste firmament d’azur, deux astres captivent notre regard pur. La Lune, joyau céleste qui enchante, dans sa danse délicate, la Terre chante. Son visage changeant, par phases subtiles, du croissant timide à la pleine pulsatile. Elle révèle son éclat argenté, guidant nos pas dans l’obscurité.

La Soleil, source d’une chaleur ardente, Reine des cieux, embrase notre monde en attente. Dans sa robe dorée, elle se pavane, illuminant les yeux d’une lumière profane. De ses bras incandescents, elle étreint l’aube, éveillant la nature, telle une muse qui se dérobe. Ses rayons caressent la terre en frissons, dispensant vie, chaleur et passion.

Ces astres célestes, harmonies en suspens, orchestrent éclipses et moments transcendants. Dans leur ballet éthéré, elles unissent leurs voix, offrant au monde leur éternel émoi. Ainsi, Ilazki et Ekheri, symboles d’éternité, éclairent nos cœurs, guidant nos destinées. Dans leur éclat exquis, elles nous rappellent, la beauté fragile et l’immensité qui étincelle. » »

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