Kermesse

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Bienvenue à la kermesse de l’école. Endroit étrange, peuplé de chiards aux mouvements aussi maladroits que disgracieux, de profs au bout du rouleau, et de parents émotifs à l'œil humide s’égosillant dans un mouchoir :

« C’est le mien ! »

Ah, c'est le tien ? Lequel ? Celui qui danse à contre-courant des autres ? Celui qui fait semblant de chanter ? Celui qui bêle sans entrain la chanson pourrie ? C'est à se demander pourquoi on s’est fait chier à voter pour l’avortement y’a plus de trente ans.

J’accompagnais ma sœur, mon beau-frère et leur fille ainée, pour assister à la danse de la cadette. Nous étions entourés de géniteurs et de génitrices aussi fiers qu’un candidat de Koh-Lanta devant son premier feu.

Ça avait commencé par la danse des CP. Un ramassis de mioches sans coordination, au sourire niais, comme ceux de leurs parents. Ils jetaient leurs membres dans tous les sens. Indifférents au rythme de la musique, aux mimiques du professeur, au concept même de grâce. Trop occupés à chercher un regard compatissant dans l'assemblée. Pour autant, tous étaient persuadés d'accomplir un truc absolument génial.

On n'en était qu'au début et j'avais déjà envie de hurler.

Le numéro suivant fut la proposition de la classe de CM1. J’avais des doutes sur l’Éducation Nationale, mais pour ce qui est des progrès en danse, le désastre se confirma. Si c'est pas son rôle d'enseigner cette matière, l'info n'est semble-t-il jamais arrivée sur le bureau des organisateurs de la kermesse.

Je voyais bien que certains enfants étaient comme moi. L’air hagard, l’expression morte, une pensée en boucle dans la tête : Qu’est-ce que je fous là ? Qu’est-ce que je fous là !? Une gamine se tenait bras ballants et ses yeux trahissaient le désespoir absolu. Elle avait l’air de vouloir planter une potence au milieu de la scène pour s’y pendre.

Alors que ma patience devenait aussi mince qu’un programme aux législatives, un professeur s'avança et saisi le micro :

« Entracte de quarante-cinq minutes ! »

Pardon ? Il a un épisode de Game Of Thrones à rattraper, lui ou quoi ? Il est payé à l'heure, ce type ? Je voulais me barrer. Il pleuvait, il faisait froid. Le spectacle était affligeant et interminable. Ça valait bien la peine de louper des cours pour nous pondre un truc pareil !

Chacun tenta de s’occuper. Certains noyèrent leurs illusions dans la bière de la buvette. Ma sœur débitait des idioties. Son mec s’était barré à la pêche à la ligne. Mais surtout, deux parents crétins ne dirent jamais à leur fils :

« Arrête avec ton sifflet, tu nous les brises ! ».

C’est alors que mon beau-frère revint, déclarant fièrement :

« J’en ai marre d’être trop fort à la pêche à la ligne ! »

Ravi, il nous dévoila ses trophées. Merde, mec, redescend d’un étage, t’as juste péché une bague en forme d'yeux de grenouille et une balle en caoutchouc. T’as pas ramené un sandre de cent-vingt kilos ! T'as pondu deux bidules. Ils vont finir au fond d’un coffre à jouets, ou dans le bide d'un chien qui adore le plastique et qui déteste les enfants.

Ma nièce s'empara de la balle et voulu la faire rebondir au sol. Le jouet se planta dans l'herbe mouillée. Elle fit une moue déconfite. Elle regarda autour d'elle pour voir si on l'avait vu rater son coup. Oui, moi et mon grand sourire de connard, je confirme. Ta mère aussi : on t'a vu. Ton test de la balle n'a prouvé qu'une chose. Il n'y a aucun scientifique dans la famille.

Au bout de trois quart d'heure, j'en étais réduit à compter mes doigts et leur donner un prénom, tout en alignant les clopes. J'avais cherché en vain l’emplacement du marmot qui nous gonflait depuis des heures avec son sifflet pour lui jeter une caillasse. Ma sœur ne parlait plus et regardait la sortie avec envie. Au moment où je renommais mon auriculaire Jean-Michel, le trou du cul reprit le micro.

« Le spectacle » (sic) « va reprendre. Nous attendons les retardataires. »

Mais non, on attend personne connard ! Ce qu'on attend depuis une plombe, c'est la fin du calvaire, et il PLEUT, mec. Alors tu poses ton micro, et tu raconteras la fin du film à ceux qui ont été assez malins pour se barrer d'ici.

Encore de la danse. Je ne décrirai rien. Ma nièce était de la partie, et je souhaite conserver le titre de mailleur des tontons que gé eu, qu'elle m'a décerné sur un dessin qui trône sur mon frigo.

Vint l’apothéose de ce concours d’absurdités : l’animation du professeur de musique.

Sans déconner celui-là si je le retrouve je lui pète ses dents.

Après les tentatives pour transformer des parkinsoniens en maitres de l'art du mime, personne ne s’attendait à un miracle. Nous n'allions pas découvrir l'incroyable talent. Les deux premières chansons furent longues, poussives, laborieuses, hésitantes, évasives, improbables, avec une basse pour seul accompagnement.

Rappel. Quelle idée fantastique ! Les gens tapaient dans leurs mains, entrainés par un rythme plus rapide. Nous aussi, galvanisés à l'idée que ce soit la fin. Énorme erreur. Les gamins restèrent groupés et se mirent à brailler les premières notes d'une quatrième chanson.

J'ai une soudaine envie de scier les jambes du prof de musique. Qu’il tombe et qu’on l’enterre, là, au milieu du champ. Qu’il pourrisse sous une pierre tombale, sur laquelle sera gravé :

Ci-git un homme qui n’a pas su s’arrêter à temps. Repose en paix, toi et tes partitions de merde !

Mon beauf et sa fille s'étaient enfuis en tirant une bagnole sur le parking, pendant le rappel. Ma sœur et moi restions coincés, à devoir attendre que la petite daigne nous rejoindre. Désespérés sous la pluie et le froid, nous vîmes d’un œil morne un dernier pégu saisir le micro.

Tirage au sort de la tombola.

Un bruit de buzzer résonna dans ma tête et la troisième croix rouge s'afficha dans mon esprit. Ma sœur se croyait dans The Voice et avait retourné son siège. Elle pleurait. À ce stade, on n’en pouvait plus. On n'a pas de tickets, rien à foutre de la tombola ! On ne voulait qu'une chose : Constance, dit au revoir à tes copines qu’on se barre d’ici !

Le poids en farine fut remporté par le vieux Gilbert. Les organisateurs eurent la surprise de voir un de homme de cent cinquante kilos venir récupérer son lot. Le voyage en amoureux fut gagné par Ginette, ironiquement veuve d’un homme dont elle ne fut jamais amoureuse. La cassette du spectacle, remportée par Jean Joyeux, dépressif chronique depuis dix longues années. Le hoverboard finit entre les mains d'Aurélien Coureur, en fauteuil roulant depuis ses huit ans.

Nous faillîmes sombrer quand le type au micro nous annonçât l'existence des quarante-six lots restants. Enfin, l’heureux évènement arriva sous la forme d’une gamine nous tombant dessus en courant et en beuglant :

« On rentre ? J’ai faim ! »

Fin

Oh, je sais ce que certains pensent :

Salaud, ton texte est aigri, t’aimes pas les gamins ! C'est une kermesse d’école, pas un spectacle de professionnels, connard !

Faux ! Nul ! Zéro ! C’est pas que j’aime pas les gosses, je n’aime pas UN gosse. Ce petit con de chiard de merde, qui n’a pas arrêté de l’après-midi avec son putain de sifflet infernal. QUI a eu l’idée de coller un sifflet dans la bouche d’un gamin de cinq ans ?! Mais va jouer sur l'autoroute, avec ton sifflet à la con ! Qu'on prépare une seconde pierre tombale, et qu'on l'érige, au milieu du champ, à côté de la première :

Ci-git un gamin qui lui non plus n’a pas su s’arrêter à temps. J’ai donné son sifflet à bouffer à un cochon. Pour le trouver, cherche une ferme avec un bestiau qui pète en sifflant. Ou inversement.

À la fin de cette journée, une évidence s'imposa à moi. D'une clarté absolue : pour le bien de tous, il ne faut plus jamais que j'assiste à une kermesse d'école.

1er Juillet 2017

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