Baptême

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Aujourd’hui, la famille est réunie pour un évènement qui n’était pas arrivé depuis de longues années, puisque ce n’est plus dans l’air du temps : le baptême d’un enfant.

Pour ne froisser personne (qui a dit « Pourtant c'est bien ton genre » ?), je précise que ce n’est plus dans l’air du temps dans notre famille. Nous ne sommes pas particulièrement croyants, encore moins pratiquants. Imaginez donc notre surprise lorsqu’on entendit le petit Raphaël nous annoncer : « Je veux me faire baptiser ! »

J’ignorais que la Révélation puisse advenir en plein repas de famille, après avoir englouti les trois quarts du brie et s’être fait engueuler pour n’avoir rien laissé aux autres. Je soupçonne le gamin de se faire baptiser pour la même raison que j'avais fêté ma Communion à douze ans : les cadeaux.

Personne n’avait été touché par la Grâce depuis des décennies. La surprise passée, nous laissons faire la manifestation divine.

Une seconde famille est là, certainement pour baptiser le bébé que tient dans ses bras une jeune mère. Tout ce petit monde a sorti les habits du dimanche pour l’occasion. Nos jeans et t-shirts ne semblent pas être du gout des grands-mères du clan adverse qui nous regardent en chiens de faïence.

Étonnamment je ne me suis pas enflammé en passant le seuil du lieu saint. Comme quoi, l’homosexualité et le blasphème ne sont pas motifs de combustion spontanée.

Le curé est ravi d’avoir plus de monde que d’habitude. Il est accompagné de trois vicaires, dont un qui se tient plus en retrait que les autres. Il le désigne et le présente :

« Nous avons le plaisir d’accueillir l’apprenti Mobata, qui nous vient de Kinshasa. »

Le candidat au sacerdoce avance de quelques pas pour s’approcher, mais le curé lui fait signe de rester en arrière.

Ah.

On l’accueille, mais pas trop, en fait. L’attitude du prêtre va complètement à l’encontre de ce qu’il est en train d’expliquer, à savoir qu’il est bon d’accueillir les étrangers, que vivre ensemble est possible au-delà de nos différences, et que le racisme est un sujet de société qui lui tient à cœur.

J’écoute à moitié ce qu’il raconte, car mon regard est attiré par un type qui vient d’entrer dans l’église. Le front dégarni, il a la cinquantaine. Vu ses fringues – il porte une banane – il ne fait certainement pas partie de la pieuse famille qui nous accompagne dans ce délire sacerdotal. Il longe le mur pour s’approcher de plus en plus de l’autel. Il regarde les colonnes, le plafond. Il se dirige vers une statue et se plante devant, les mains derrière le dos. Un touriste qui se balade tranquille.

Je vois bien que je ne suis pas le seul à me demander ce qu’il fout là. Une mamie lui lance un sale coup d’œil, me confirmant qu’il n’est ni de notre famille, ni de la leur. Elle le regarde comme un vigile de supermarché analyse ostensiblement un sac de course. « S’il reste un truc dedans que tu donnes pas à la caissière, je te pète les chicots ».

Le curé aussi l’a repéré, affichant de temps en temps un visage étonné. Mobata se tient quelques pas derrière l’autel. Avec sa carrure de garde du corps, il a l'intrus dans le viseur. Je m’attends à ce que le prêtre lui fasse signe de virer le touriste, mais il n’en fait rien. Il continue sur sa lancée.

« Qu’est-ce que la foi ? Nous pouvons l’expliquer en quatre mots. »

Bon, j’avais déjà décroché depuis un moment, mais c’est le genre de phrase de cureton qui enfonce le clou. Après de longues minutes à nous détailler le concept de foi, qui devenait de plus en plus abstrait à mesure qu’il avançait dans ses explications, la cérémonie peut enfin commencer.

« Nous accueillons le grand Raphaël, qui a choisi de se faire baptiser. La dernière fois que c’est arrivé, oh, je m’en souviens comme si c’était hier, c’était le 9 aout 1987. Comme quoi cela arrive tous les jours, l’Église n’est pas si moribonde, comme voudraient nous le faire croire ses détracteurs. Il y a tant de sujets de société que nous pourrions aborder… Alors mon petit Raphaël, pourquoi souhaites-tu te faire baptiser ? »

« Pour les cadeaux ! » pensais-je immédiatement. Mais la raison de Raphaël n’est pas la cupidité, puisqu’il répond :

« Euh, ben si je le fais pas je brule dans les flammes de l’enfer ? »

Ah merde. Par je ne sais quel prodige le petit est tombé sur la Bible et a pris le bouquin au pied de la lettre. C’est la crainte et la frayeur de l’enfer qui le motive, rien à voir avec une quelconque Révélation. Je jette un œil sur ses parents, le nez dans leurs smartphones. Leur enfant est touché par l’état de grâce, et eux par une notification push. Où diable ce gamin a-t-il pu mettre la main sur le Livre ? Un vrai miracle.

Le curé semble satisfait de sa réponse, puisqu’il lève les mains au ciel et s’exclame dans un grand sourire :

« Quelle foi mes amis, la crainte du jugement divin ! Que c’est magnifique ! Bienvenue à toi petit Raphaël, dans cette religion de pardon, de tolérance, et de miséricorde. Et toi petite Sophie, pourquoi souhaites-tu te faire baptiser ?

— Gleurb, areu.

— Ah oui c’est vrai tu as seize mois, tu ne peux pas parler ! Je peux faire ce que je veux avec toi tu ne diras rien à tes parents, hein ? Il y a tant de sujets de société que nous pourrions aborder… Mais passons, je vais maintenant demander aux parents de venir près de l’autel, pour assister à ce glorieux évènement. »

Les sus-nommés se lèvent et se placent… Suivis des deux grands-mères de Raphaël, que pourtant personne n’avait appelées. Elles se foutent devant l’autel et dégainent leurs appareils photo. J’espère qu’elles seront belles les images. Nous, on voit plus que dalle, si ce n’est leurs postérieurs. Maintenant que la vue est bien bloquée, forçant toute l’assemblée à se lever et à se déplacer, la bénédiction peut commencer.

Le curé a un instant d’hésitation. Je pensais qu’il allait dire aux vieilles qui se prenaient pour des pigistes de BFM de penser aux autres et de foutre le camp, mais non, son esprit était ailleurs.

« Je vais également demander à tous les enfants de venir me rejoindre. »

Ah mon salaud ! Tu ne peux pas t’en empêcher, hein ! Déjà que tu me gonfles avec tes sujets de société, j’essaye désespérément de ne pas associer l’Église à la pédophilie, mais non, faut que tu nous files des preuves pour ton procès aux assises.

Les enfants se lèvent et se dirigent vers l’autel, mais ma nièce hésite :

« Je suis pas baptisée, j’ai le droit d’y aller ?

— À vrai dire, je suis même pas sûr que t’aies le droit d’être dans l’église, enfant du démon. Vas-y si tu veux, mais t’approche pas trop du curé ! »

Elle rejoint ses camarades, fière comme quelqu’un qui fraude au métro sans se faire prendre. Elle me regarde et fait le signe du Hellfest. Elle sourit, poing levé, index et auriculaire tendus.

Constance, ce que tu fais avec ta main, c’est les cornes du diable. Ce geste a de nombreuses significations, en fonction de la culture et du contexte, mais une chose est certaine : il n’a rien à faire dans une Église. Retenant un fou-rire, je lui réponds en lui faisant un discret doigt d’honneur. C'est notre langage des signes à ma nièce et moi.

Raphaël est guidé vers la bassine posée sur l’autel. Après quelques mots, le curé lui plonge la tête entière, comme s’il voulait le noyer.

« Bienvenue dans l’Église ! »

Il aurait peut-être été judicieux de prévenir le gamin pour qu’il prenne sa respiration avant, mais on dirait que non. Sa survie est bien moins importante que les quarante photos que les grands-mères prennent en cet instant. « Bouge pu' Raphaël ! Sinon c'est flou ! »

Au tour de la petite Sophie, qui reçoit une goutte d’huile que le curé étale en forme de croix sur le front. Elle se met à pleurer, signifiant sa forte désapprobation de rentrer dans une congrégation sans que personne ne lui demande son avis.

Tout le monde se rassoie. « Enfin, la cérémonie est terminée ! » pensais-je.

Ou pas. Le cureton commence à chanter « Dieu est près de nous. »

Jusque-là je m’estimais satisfait, mais j'avais oublié l'existence de ces étranges litanies religieuses soporifiques. On nous inflige trois quantiques et deux prières, chantées avec entrain par une mamie à la voix chevrotante, qui ne s’accorde pas avec celle, profonde et grave, de Mobata. J'envie le touriste, qui s’est barré depuis longtemps.

Nous sortons du temple sous le tintement des cloches, signifiant à la ville que l’Église compte deux nouveaux membres. Pour fêter ça, un bus bruyant passe, une voiture klaxonne, et un piéton gueule « Je t’emmerde, connard ! ».

La grâce divine est donc terminée et le temps est venu de passer aux choses sérieuses. Un apéro et un repas sont prévus chez ma sœur. Elle ajoute :

« Le thème du repas, c’est Raphaël qu’il l’a choisi : c’est Zelda. »

Hein !? Quoi ? C’est pas la religion le thème, mais un jeu-vidéo ? On sort bien d’une église, là, ou d’une salle d’arcade ? Le thème est Zelda, et le gamin ne parle plus que de ça tout le reste de l’après-midi.

J'ai pas demandé les photos à nos chères grands-mères-carte-de-presse, même si je sais qu'elles sont nettes.

Mais j'ai une petite figurine Zelda que je conserve, quelque part chez moi.

2019

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