I.

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Des cris réveillèrent Thélie aux abords de Vercendres. Elle se redressa sur sa selle, surprise d’avoir somnolé, et scruta les alentours : à la lisière de la forêt qui bordait la capitale lorthanienne, un attroupement d’hommes encerclait une maisonnette au toit de chaume. La sentinelle aurait sûrement passé son chemin si elle n’avait pas remarqué la silhouette ennuyée d’une femme parmi les mécontents.

— Par le Grand Arbre, allez-vous-en ! Bandes de fanatiques !

Thélie déporta son cheval pour le lancer dans l’herbe humide. Alors qu’elle se rapprochait de l’habitation, elle distingua plus clairement les beuglements menaçants :

— Pars de Lorthanie, païenne !

— On ne veut plus de tes sorcelleries sur nos terres !

Vos terres ? s’indigna la femme.

En hauteur sur son cheval, Thélie surplombait légèrement la scène : ce fut alors avec stupéfaction qu’elle découvrit l’extrême beauté de l’agressée, derrière les bâtons et les poings levés. Pareille à une cascade d’or, sa chevelure blonde négligemment attachée par un ruban clair tombait sur ses épaules. Ses cils noirs jetaient de délicates ombres sur son visage et… Thélie crispa les rênes de son cheval. Ils dissimulaient deux bijoux bleus au tendre éclat.

La sentinelle resta un moment interdite, envoûtée comme elle l’avait rarement été. Elle était souvent venue aux abords de Vercendres, mais c’était la première fois qu’elle voyait cette femme.

— La Lorthanie appartient désormais à l’Être Suprême, siffla un malotru. Ton existence même est un blasphème à sa majesté !

— Nous n’avons pas besoin de toi, sorcière !

— Ah oui ? persifla l’inconnue. Et vos médicaments, qui les produit ? Et vos enfants, qui les fait naître ?

— L’Être Suprême est seul maître de la vie et de la mort.

— Dégage ! Catin !

L’insulte ramena durement Thélie à la réalité. La situation dégénèrerait rapidement si elle n’intervenait pas.

— Je suis chez moi ici et je ne partirai que sur ordre du Grand Druide, répliqua la femme, impavide.

— On va te bouter hors de Lorthanie et offrir ta tête à l’Être Suprême !

— Assez, tonna Thélie.

Tous les regards se tournèrent vers elle et, d’un coup d’un seul, la colère des fanatiques changea de cible.

— Une fille de la souillure, cracha l’un d’eux.

— Une sale chimère ! renchérit un deuxième.

— Les pires abominations que le monde ait créées ! L’Être Suprême n’oserait tolérer votre existence un jour de plus !

— Qu’il vienne, rétorqua la sentinelle. J’ai de quoi l’accueillir.

Thélie sauta de son cheval et laissa la garache grogner en elle. Les fanatiques décampèrent aussitôt, la queue entre les jambes, lâchant par-dessus leur épaule une ultime insulte, puis le silence retomba autour de la maisonnette.

— J’ignorais que les sentinelles chassaient aussi les abrutis.

L’inconnue adressait un sourire rayonnant à Thélie. Ses yeux, ces deux bijoux bleus, l’examinaient de haut en bas avec intérêt. D’aussi près, leur éclat était encore plus envoûtant. Quelque chose palpita dans le ventre de la sentinelle.

Tombée dans le piège, si rapidement… Mel n’a rien à m’envier.

— Quand la récompense en vaut la peine, nous nous abaissons à tout type de créature, répondit Thélie dans le même jeu.

Le rire perlé de la femme résonna agréablement à ses oreilles.

— Et quelle est donc cette récompense ?

— Votre nom, peut-être ?

Thélie savoura les faibles rougeurs que ces quelques mots avaient provoquées sur ses pommettes.

— Emmeryn Fidélia, répondit la femme avec une révérence exagérée. Druidesse ovate tout récemment rattachée à Vercendres. Enfin, plus pour très longtemps, je le crains… Et vous ?

— Thélie, de Carcanesse.

De sa longue robe verte, recouverte d’une étole immaculée – l’habit commun des ovates sur tout le continent – émanait une douce odeur de lavande.

— Que vous voulaient ces malfrats ? s’inquiéta Thélie.

— Ne les avez-vous pas entendus ? « Pars, sorcière ! Païenne ! » … Catin aussi, à mes heures perdues. Ils veulent que je disparaisse, moi et ma magie qui insulte l’Être Suprême…

— Vos potions relèvent pourtant plus de la médecine que de la sorcellerie.

— Allez leur dire cela. Ils prendraient une bonne bière pour du poison, pour peu que ce soit un druide qui leur tende la chope.

— Je ne pensais pas que le culte était devenu si… radical, se confondit Thélie.

— Le culte n’a pas changé, seuls des fous sont apparus. Et les choses ne font qu’empirer depuis l’arrivée de ce Klementh à Vercendres.

Emmeryn repoussa avec agacement quelques mèches blondes qui retombaient devant son visage. Un geste que Thélie trouva fort charmant.

— Klementh ? releva-t-elle.

— Un illuminé, résuma la druidesse. Il dit être un envoyé de l’Être Suprême et ses miracles sont déjà rapportés dans toute la Lorthanie. Par ses fidèles, bien évidemment.

— Je ne vois ici qu’un passionné de plus. Y a-t-il vraiment matière à s’inquiéter ?

— Vous n’êtes pas au courant de ce qui se passe à la capitale ?

Thélie secoua la tête avec embarras. Emmeryn resserra alors son étole sur ses épaules chétives, comme si un mauvais froid s’était emparé d’elle.

— Un graoully a élu domicile dans l’ancien amphithéâtre de la ville, lui expliqua-t-elle. Depuis, il terrorise les habitants, enlève les malheureux pour les dévorer dans son antre. Je pensais que vous veniez pour lui…

— J’avais entendu parler d’un mal qui menaçait Vercendres, consentit Thélie. S’il s’agit d’un graoully, j’en ferai mon affaire.

Emmeryn s’approcha sensiblement ; l’odeur de lavande s’accentua, au plus grand plaisir de la sentinelle.

— Malheureusement, j’ai peur qu’on ne vous laisse pas entrer dans l’amphithéâtre, lui confia-t-elle. Klementh compte occire la bête lui-même grâce à la puissance de l’Être Suprême.

— Il est fou, s’alarma Thélie.

Le simple constat sembla ravir Emmeryn.

— Vous me plaisez, sentinelle, lui souffla-t-elle. Même sire Yerri n’ose dire une telle chose, de peur d’enrager les fanatiques. Enfin, je le comprends à moitié. La capitale grouille d’illuminés… Les rues sont en pleine ébullition.

Connaissant Yerri, il attend sûrement que le graoully gère le problème à sa place… songea Thélie.

— Peu importe, j’irai. C’est d’une sentinelle dont la capitale a besoin, pas d’un prophète.

— Je n’aurais pas dit mieux.

Il y eut un petit flottement gênant, durant lequel Thélie chercha un moyen de prolonger leur échange. Elle regrettait de devoir partir si vite... La compagnie de la druidesse était particulièrement agréable. Fort heureusement, Emmeryn la soulagea de cette peine :

— Me permettrez-vous de vous accompagner ? lui proposa-t-elle. J’ai quelques comptes à régler avec sire Yerri. Et puis… Les fous de tout à l’heure reviendront assurément, lorsque vous serez partie.

— Vous avez raison. Restez près de moi, lui conseilla Thélie, j’ai pour nature de repousser les autres.

— Et moi, pour vocation ! s’amusa l’ovate. Nous avons décidément beaucoup de choses en commun.

Bras-dessus bras-dessous, Emmeryn entraîna Thélie vers le chemin de la capitale. Quoiqu’un peu troublée par cette familiarité, la sentinelle se laissa faire. Ce n’était pas souvent qu’on lui prenait le bras de cette façon.

— Profitons de l’occasion pour marcher ensemble… et apprendre à nous connaître, lui glissa Emmeryn avec un clin d’œil.

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