IV.

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Thélie flottait dans un parfum de lavande, mêlée à l’odeur camphrée de bâtonnets d’encens. Où était-elle ? Que s’était-il passé après son combat contre le graoully ? Elle parvenait à peine à ouvrir les paupières, l’esprit embrumé, les muscles engourdis. Cette sensation de légèreté paradoxalement accablante, elle ne la connaissait que trop bien : son corps relâché était sous l’emprise d’une drogue puissante.

Quelque chose ouvrit sa bouche pâteuse pour y introduire un liquide ; Thélie ne le sentit pas même couler sur sa langue, elle aussi engourdie. Un voile doré s’agitait devant elle et l’éblouissait, si bien que la sentinelle fut contrainte de refermer les yeux.

— Emmeryn ? murmura-t-elle.

La lavande s’estompa doucement pour laisser place au flottement ciré d’une bougie. Cette même odeur qui emplissait les couloirs de Carcanesse, autrefois. La forteresse froide et humide, chaleureuse le jour, terrifiante la nuit… S’abandonnant à la drogue, Thélie laissa son esprit errer dans les souvenirs.

— Je n’y arrive pas, pleurait-elle. Les autres contrôlent leur monstre, pourquoi le mien prend-t-il si souvent le dessus ?

À côté d’elle, Merilda offrait sa figure à la lune. Une bague dorée particulièrement élégante, attachée à l’une de ses tresses, rappelait son titre de Grande Garache. Obtenu si jeune, perdu trop vite.

— Écoute-moi, Thélie, murmurait-elle. Contrairement aux autres, la chose que nous avons scellé dans notre cœur n’est pas un monstre, mais une partie de nous-même. Voilà pourquoi toi, moi et toutes les autres Garaches, nous sommes particulières.

— Je ne veux pas être particulière, rétorquait la fillette à son aînée. Je veux simplement pouvoir la dominer, aussi sûrement que Mel domine sa gargouille.

— Armel n’est pas un bon exemple. Elle fera bien piètre sentinelle si elle continue d’opprimer ainsi sa bête.

Le mordant de l’hiver lui crucifiait les os. Pourtant, Thélie était incapable de dormir, comme beaucoup de Garaches les soirs de pleine lune.

— Viens contre ma fourrure, lui soufflait Merilda.

La douceur de son pelage, son odeur musquée, le réconfort de son étreinte… Tout cela, Thélie ne l’avait jamais oublié. Venue l’adolescence, elle avait pour la première fois ressenti ces palpitations dans son ventre, au creux de ses bras. C’était avec Merilda qu’elle avait compris, mais son aînée était partie trop vite pour deviner l’origine des rougeurs sur ses joues, soufflée par un dragon à trente ans à peine. Comme Thélie avait eu du mal à s’en remettre, alors… Son premier amour, réduit en cendres bien loin de Carcanesse.

Désormais, l’odeur de la louve prenait des touches de lavande. Au crépuscule mauve chantait une douce voix. Celle de Merilda ? Ou d’Emmeryn ? Thélie ne parvenait pas à faire la différence. Elle entonnait néanmoins cette chanson qu’on aimait fredonner entre Garaches, la Sérénade d’une Louve à une Chouette, durant laquelle la bête déclarait son amour à l’oiseau. « Je voudrais voler à tes côtés, toi qui règnes sur la forêt. » Un refrain que Thélie avait maintes fois repris en chœur, les yeux timidement tournés vers Merilda. Aujourd’hui, c’était Emmeryn qu’elle regardait, tandis que ses cheveux blonds s’agitaient au vent comme des rubans solaires. Sa voix… Quelle était belle. Mais comment la druidesse connaissait-elle la mélodie ? Elle n’avait jamais franchi l’épaisse muraille de Carcanesse…

Qu’importe.

Apaisée, Thélie laissa son corps partir à la dérive.

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