VII.

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La mer d’encre léchait la fine bande de sable qui s’accrochait au pied des falaises, d’une blancheur laiteuse à l’éclat de la lune. La rumeur de la fête se mêlait à celle des vagues, apaisées. Une langue sur sa lèvre si délicieusement mordue quelques instants plus tôt, Emmeryn avançait pensivement parmi les rochers. Thélie admirait la grâce de ses légers bonds, soulevant juste assez sa robe pour lui révéler la pâleur intime de ses mollets.

Elles avaient fait preuve d’une grande folie en s’esquivant ainsi de la fête. Les dieux soient loués, aucun des frères souverains n’avaient vu partir leur sœur dans les bras de la sentinelle. Ni l’une ni l’autre ne regrettait une telle frivolité – elles étaient enfin seules, protégées par les falaises et le voile de la nuit – mais Thélie sentait Emmeryn troublée depuis qu’elles s’étaient laissées aller à quelques douceurs. La druidesse n’avait jamais été aussi calme, aussi perdue dans ses pensées.

Comme pour combattre le silence qui s’était curieusement enraciné entre elles, Thélie tenta :

— Tes frères savent que…

— Les hommes ne me font aucun effet ? compléta aussitôt son amante. Ils l’ont appris à mes dépens, oui, et s’en sont réjouis d’ailleurs. Je me rappelle les avoir vus pleurer, si soulagés que leur sœur ne soit jamais touchée comme ils touchent eux-mêmes les femmes… Enfin, je me suis toujours demandé en quoi cela avait quelque chose de rassurant.

La Garache répondit au sourire tendancieux que lui adressait Emmeryn.

— Quoiqu’il en soit, je préfère qu’ils ne sachent rien, ou qu’ils soient simplement rongés par le doute. Ils sont si protecteurs, Thélie, je n’ose imaginer quel genre de relation vous pourriez avoir, tous les trois…

— Tu as raison, la situation est bien plus amusante ainsi.

Avec malice, la sentinelle attrapa la taille d’Emmeryn pour l’adosser contre la paroi de la falaise ; le vent dans ses mèches blondes et rebelles, sa bouche entrouverte par la surprise et ses yeux bleus grands ouverts, tout cela lui offrit un tableau exquis qu’elle apprécia sans retenue. Le rire de la druidesse détendit bientôt la lourde atmosphère que Thélie avait pressentie. Y avait-il vraiment matière à s’inquiéter, finalement ?

Ce fut au moment où elle plongeait vers son cou qu’Emmeryn lui souffla :

— Combien de femmes peux-tu te venter d’avoir ainsi aimées au bord de la mer ?

Devant la mine déconcertée de la Garache, la blonde dut se faire violence et prononcer ces paroles qui lui brûlaient la gorge depuis un moment :

— J’ai eu peur pour toi, aujourd’hui, lui avoua-t-elle. Sur la plage, quand je ne te voyais pas revenir… Et quand ton amie a plongé dans l’océan, je craignais qu’elle ramène un corps sans vie.

La druidesse noua ses doigts derrière la nuque de Thélie pour l’attirer contre son corps.

— Je maudissais ces groagez de t’avoir ravie à moi, maudissais leur chant de t’avoir envoûtée, leurs mains de t’avoir touchée, leurs lèvres… de t’avoir embrassée…

Emmeryn la serra plus fort, encore plus fort contre elle.

— Et tout cela m’a fait réaliser quelque chose. Tu es une sentinelle, Thélie. Je le sais. Je sais que tu voyages, que tu es souvent seule, que pour tromper cette solitude, tu dois sans doute… Ah, je sais tout cela et je sais plus que tout que je ne peux exiger de toi une telle chose, mais… Je te veux pour moi.

Comme sa belle restait muette, elle rajouta avec embarras :

— Pour moi seule.

Pourquoi les rougeurs l’assaillaient-elles maintenant ? Emmeryn comptait sur l’obscurité pour les dérober aux yeux de la Garache mais oubliait, justement, qu’elle avait affaire à une femme louve. Thélie voyait tout cela ; plus encore, elle remarquait sa peine, son chagrin, cette jalousie qu’elle tentait de refouler vainement – jalousie infondée, toutefois, et elle se devait de la rassurer.

Elle lui dit tout bas :

— J’ai eu beaucoup d’aventures mais très peu d’amours véritables. Lorsque je suis atteinte, je suis fidèle jusqu’au bout. Peut-être un trait hérité de la louve qui dort en moi.

Ces paroles relâchèrent le visage crispé d’Emmeryn pour lui redonner toute sa douceur. Elle déposa un baiser sur son front, comme pour sceller une promesse, puis insinua sa main jusqu’à sa poitrine pour en empoigner la rondeur. Un sursaut ébranla Thélie et, accompagnant le geste à la parole, l’ovate la taquina :

— Ah oui ? Elle dort vraiment ?

La Garache répartit avec un grognement :

— Prends garde, tu pourrais la réveiller.

— Mais elle m’obéit au doigt et à l’œil, Thélie. L’aurais-tu oublié ? Un claquement de doigts et elle s’agenouille devant moi.

— Et si l’envie lui prenait de se révolter ?

— Je lui passerais un collier autour du cou, comme le mien.

Ce fut le coup de grâce pour la sentinelle ; son regard se planta dans la dentelle blanche d’Emmeryn et elle ne put résister à l’envie de l’arracher, laissant la bête rugir en elle, exploser les verrous de sa cage, doter sa bouche de crocs bestiaux qui s’interdirent cependant s’égratigner la moindre parcelle de peau ; la druidesse, qui tenait fermement quelques-unes de ses tresses ornementées, l’en interdisait.

— Une louve au sommeil léger…

— Je t’avais prévenue, glapit la Garache.

Emmeryn caressa tendrement la fourrure qui avait brusquement poussé sur les oreilles de sa compagne – comme elle adorait la petite forme pointue qu’elles prenaient alors ! – ses joues, puis sa mâchoire ; là où passaient ses doigts disparaissait le pelage de la bête, comme si elle en effaçait l’influence, refermait les gonds puissants de sa prison. La jeune femme blonde délaissa néanmoins la tendresse lorsqu’elle descendit vers son cou ; d’une main ferme, elle y referma l’étau et attira contre son cœur les canines dangereuses de la chimère.

— Mes frères voudront me ramener à Vercendres dès demain, glissa Emmeryn entre deux baisers qui, assurément, savaient trouver leur chemin derrière la soie de son habit.

— Dis-leur que ton garde du corps personnel se charge de te raccompagner là-bas.

— Tu ferais cela ?

Un soudain mordillement lui arracha un cri de surprise qu’elle s’empressa d’étouffer avec sa paume.

— Je te le dois bien, lui murmura Thélie, ravie de sentir l’émoi saisir son amante. Sans toi, je me serais peut-être noyée aujourd’hui. Et puis, si c’est pour entendre cette mélodie tous les soirs…

L’ovate avait beau prétendre dominer complètement la Garache, plus aucune chaîne ne pouvait désormais l’interdire d’approcher l’objet de son désir. Son corps musclé l’entravait, lui interdisait toute fuite. Mais Emmeryn avait-elle vraiment envie de lui échapper ? Tandis qu’une main habile empruntait amoureusement le sentier de son plaisir, elle se renversa contre la falaise, abandonnée, sereine, protégée dans les bras de cette louve qui la gardait du froid de la nuit.

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