VI.

3 minutes de lecture

— Tout va bien se passer, madame la druidesse. Thélie va revenir, c’est la plus forte des sentinelles !

— Tu en connais beaucoup ?

— Bien sûr, se renfrogna le garçon. Tout un paquet !

Avec une inquiétude inconsolable, Emmeryn regardait craintivement le massif forestier qu’ils avaient fui voilà une vingtaine de minutes déjà. Cette situation lui en rappelait une autre, à son plus grand malheur, mais la joie contagieuse de l’enfant cornu allégeait sa peine.

— Tu as raison, finit-elle par approuver. Thélie est la plus coriace d’entre elles.

— Vous aussi, vous êtes son amie ?

— Un peu plus que cela, mon petit.

Qu’il fût passé ou non, le message ne sembla pas le heurter outre mesure.

— Les amis de Thélie – et plus, rajouta Petit-Gigot avec malice, sont aussi mes amis.

Puis, comme il lui tendait la main, l’ovate l’empoigna avec amusement.

— Amis, fit-elle avec un sourire.

Crac.

La réalité s’évapora soudain. Emmenée dans un autre lieu, dans un autre temps, dans une autre vie, Emmeryn se tenait tout à coup au bord d’une grande falaise. Elle lâcha un cri sourd, comme à chaque fois que de telles visions la surprenaient. Mais elle reprit rapidement son calme ; le Grand Druide le lui avait enseigné. Elle se concentra sur chaque image, chaque son, chaque murmure pour en déceler le sens. Des voix époustouflées chuchotaient à ses oreilles, inconnues. Et puis, il y avait les pleurs de Thélie. Était-ce un aperçu du passé ? Du futur ? Un flash lumineux eut brièvement raison de son esprit, puis elle ne vit que lui.

Le Grand Arbre.

Prodigieux.

Immense.

Démesuré.

Écrasant.

Terrifiant.

Ses ramures radieuses tranchaient le ciel et déchiraient la voûte céleste, l’éther, le monde, l’univers.

Un miracle.

Le miracle.

C’était lui.

Crac.

Emmeryn rouvrit les yeux et prit cette inspiration qui lui brûlait la gorge à chaque réveil de songe, comme si elle renaissait. Comme si, l’espace d’un instant, elle avait véritablement quitté ce monde pour un autre.

Avec affolement, elle chercha le contact de la terre ; le picotement de ses énergies acheva de la ramener à la vie.

— Druidesse, réveillée !

Au-dessus d’elle, le bécut cachait le soleil comme une montagne en fin de journée. Il protégeait avec ses grandes mains deux chevaux – ceux qu’elles avaient laissé au village. Thélie les avait-elle ramenés ?

— Madame l’ovate ! s’exclama Petit-Gigot. Vous êtes tombées par terre, comme un pantin ! Vous vous agitiez… Vous compulsiez !

Convulsiez.

Emmeryn inclina la tête pour découvrir la sentinelle, affreusement barbouillée de sang. Oh, elle avait bien tenté de s’en purifier avec l’eau d’une quelconque rivière, mais la druidesse les voyait encore, ces marques qui pesaient sur ces traits.

— Thélie… Qu’est-ce que tu as fait ?

— Je te retourne la question. Misère, Emmeryn, tu étais ailleurs jusqu’à ce que je revienne. Petit-Gigot ne savait pas comment t’arrêter, il était terrifié.

Les images de son voyage cosmique, soudain, défilèrent une nouvelle fois devant ses yeux.

— J’ai vu…

Mais qu’avait-elle vu, au juste ?

Tout était parti de cette poignée de main.

— Le petit… bredouilla la druidesse. (Son doigt montrait craintivement Petit-Gigot). Quelque chose, en lui… Il… !

— Alors, tu l’as compris, toi aussi ? souffla Thélie. Je ne me trompais pas.

— Explique-moi !

Le garçon n’osait ni bouger, ni dire un mot : il se sentait accusé. Mais de quoi ?

— Écoute, je ne t’ai pas tout dit sur les troupeaux de légendes. Ne recule pas, Petit-Gigot. Donne-moi ta main.

Un bêlement effarouché s’éleva du troupeau, parqué derrière le géant.

— Ce ne sont pas leurs cornes qui les rendent si particuliers, poursuivit la Garache. Partout où ils passent, l’herbe pousse, l’eau afflue, la vie éclot. Ce sont des gardiens, Emmeryn, des gardiens du renouveau !

Alors, Thélie déposa les doigts de l’enfant ovin dans l’herbe et quelque chose d’incroyable se produisit : un frisson agita les brins alentours, doux, comme la caresse d’une brise printanière. Puis une pousse surgit de la terre.

— Je me demande…

Le germe grandit à vue d’œil, fabuleux, jusqu’à devenir une belle et éclatante jonquille.

En serait-il le premier maître ?

— Eh ! Ça chatouille ! s’écria Petit-Gigot.

Alors que l’enfant partait dans un parfait fou rire, les deux jeunes femmes s’échangèrent un regard stupéfait.

L’une pensait à la prophétie, l’autre à Carcanesse.

L’une pensait au Grand Arbre, l’autre au fléau des dragons.

Les deux débordaient d’espoir.

Azelmire, je crois que je la tiens. Notre issue.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire M. S. Laurans (Milily) ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0