Désert

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Cet homme était seul et n'avait même plus d'ombre pour se sentir un peu moins seul. Le soleil était trop là, trop éclatant pour que l'obscurité ne survive. La solitude au milieu du sable et de...et de rien d'autre. Il n'avait pas de nom. Cet homme, c'était moi en même temps qu'un peu de l'humanité. Seulement, dans ce peu il y avait l'humanité tout entière : ceux d'avant, ceux dont les noms n'existent pour plus personne, comme ceux silencieux d'hier, bavards d'aujourd'hui ou encore ceux impatients de demain. Cet homme, c'était l'Homme. Et il marchait sur des œufs de sable. Et chaque pas lui faisait mal ; et comme chaque mal lui faisait faire un pas... alors, chaque grimace témoignait de son incrédulité à croire que « les choses vont aller ».

Sa vue était encombrée de soleil (l’œil de celui-ci défiait l’œil de celui-là) comme son corps presque nu orangé, brûlé, noirci finalement. Il hurle. Puis, le silence et la grimace poussée du ventre par la gueule d'un bœuf : bovin le regard, bovins les narines et le souffle, bovin le rond de la bouche. Tout à coup et tout d’un coup, tout de bovin. Mais c'était moins qu'un minotaure. Lui, à cause qu'il regardait trop en face et de trop près le soleil, ce n'était plus qu'un homme sans l'être, sans tronc, un sans branche et sans espèce. Seul et abâtardi, ce n'était plus qu'un simple quelque chose ou juste un je ne sais quoi à tête de bœuf. Il était seul dans ce désert, mais ne l'avait pas toujours été.

Il est vrai que maintenant cela remonte, mais il connut aussi bien les rivages blancs, la terre plate, la course des elfes que la cité d'Atlantide où passaient les géants comme les nains, les dinosaures comme les dieux curieux ! Il connut tout cela, et bien plus même. En ce temps, le Sablier, et encore moins le tic-tac des horloges, n'existaient. Un temps sans temps oui. Blanc, pur, sans mélange. Un temps lumineux qui se réfractait à l'infini vers des ailleurs où on pouvait encore fouler terre ! Un temps qui s'allongeait sur des espaces d'à côté comme une femme qui se laisse tomber à la renverse par l'appel mystérieux du lit à une heure où on ne pense d'ordinaire pas au lit. C'était un temps des origines, ne sachant pas encore marcher et encore moins courir devant soi. Il en allait ainsi, et lui justement eut à connaître cet ainsi et tout ce qui se cachait dans son ombre.

Puis l'Arche. Sur le rivage, il fit le choix de le regarder, Noé et les autres, naviguer jusqu'à devenir point noir évanescent et enfin disparaître. Il le fit, parce qu'il se refusait de voir du côté de la vie. Seul, encore et toujours, en dépit des vagues qui léchaient ses pieds et de l'ombre des vautours qui dessinaient des ronds de mort au-dessus de lui. Il savait. Il savait qu'il mourrait. Et encore plus en ne montant pas sur le grand bateau. Mais il ne voulait pas être sauvé. Pas plus qu'il ne voulait en cet instant que la terre ne cessât de trembler, que tous ces laissés-pour-compte sans descendance (ces mammifères, ces plantes, ces oiseaux, moins que des prolétaires) ne cessassent d'aboyer bizarrement, et que les oiseaux noirs, surtout en ce moment, ne cessassent de nager dans l'humidité de l'air juste au-dessus.

Le crépuscule vint et le feu d'entre deux morceaux de silex jaillit. Il s'assit, se réchauffa contre le rouge qui s'envola alors vers le gris du ciel. Il savait. Il était sûr de lui et à aucun moment, il n’aurait à regretter sa décision. Son esprit comme son cœur. Tout était tranquille. Aussi, il dormit du sommeil du Juste. Et au matin il suivit une hirondelle, dont on ne trouve aujourd'hui que la carcasse dans les musées préhistoriques. Elle, qui se frayait un minuscule chemin entre les quatre vents, et du cinquième : qui annonce l'Apocalypse pour bientôt. Lui, qui fronçait les sourcils devant la sueur et le soleil mais souriait toutefois et marchait sans jamais s'arrêter. Un jour, deux jours, trois jours (et à peine une nuit pour ces trois jours quand il somnolait debout). Enfin, il s'arrêta et se parla à lui-même pour la première fois.

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