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Je me suis retrouvé à l’orphelinat à neuf ans. J'étais trop vieux, ou je ne sais quoi, pour aller dans une famille d'accueil.

Avec papa et maman, je commençais à me sentir un petit garçon semblable aux autres. Tout a disparu d'un seul coup.

J’ai pleuré. J’ai encore vu plein de psys qui ont dit que c’était normal d'être triste quand on perd ses parents et que cela allait passer.

Un matin, je me suis rendu compte que je n’en avais plus rien à faire. Quelque chose avait cassé. En revanche, j’étais en colère contre le monde entier. J’ai recommencé à me battre. Je suis devenu violent. Je n’ai jamais cherché à faire mal, mais quand ça sortait, cela jaillissait trop fort pour que je contrôle. Du reste, cela n’aurait servi à rien puisqu’il en restait toujours autant dedans. La douleur physique m’était indifférente, alors je défonçais l’autre sans pâtir de ses ripostes. Le lendemain, je devais me justifier sur les bleus et les bosses qui m’ornaient. Beaucoup en étaient couverts, rendant impossible de savoir avec qui je les avais échangés, donc, pas de punitions ! Avec ce comportement, j’étais respecté. Pas un caïd, je n’aime pas. Être chef d’une bande, c’est débile. Mais on me foutait la paix : j’étais tout seul, dans mon coin, dans mes convulsions.

Je ne bataillais pas que physiquement. Tout était un combat. Je devais être excellent en permanence, pour montrer que je pouvais très bien me débrouiller sans papa-maman. J’étais différent d’eux tous ! La colère surgissait, contre moi, contre le monde entier dès que je n’avais pas la meilleure note, la meilleure appréciation. Je devais tout contrôler, tout maitriser. Quand ça dérapait, je n’aimais pas sentir cette fureur monter en moi. J’ai mis longtemps à comprendre que j’ai survécu grâce à cette colère. Si elle n’avait pas été là, j'aurais été ravagé par le malheur d’être un enfant sans parents, sans amour, seul, tout seul. C’est abominable, c’est dur. Ça fait tellement mal.

De façon incompréhensible, j’ai pourtant plutôt de bons souvenirs de ces années. Je mélange un peu tout, mais je crois que j’ai été heureux. La plupart du temps, je maitrisais le petit monde qui était le mien. J’étais rassuré dans cette structure, je pouvais vivre.

Nous étions bien traités. Les adultes étaient attentifs et prévenants. L’endroit était joli, les bâtiments neufs et confortables. On mangeait bien et on pouvait faire de nombreuses activités. J’ai appris à nager, à faire du ski, à monter à cheval. Ça, je n’aimais pas. La plupart ne s’intéressaient qu’au foot, se voyant déjà superstars couvertes de millions. Je n’ai jamais aimé le foot.

Pourtant, en vérité, l’orphelinat, c’est le bagne pour un mouflet de rien du tout. L’enfer, ce sont les autres gamins, violents et sans pitié entre eux. Les plus grands martyrisaient les plus petits qui attendaient de grandir pour devenir bourreaux. Heureusement que j’étais hargneux, sinon je serais mort.

Mon voisin de lit, huit ans, tout maigrichon et pleurnichard, était le souffre-douleur des autres. Moi, je n’avais rien contre lui et ce n’est pas contre lui que j’avais à me venger. Nous étions dans la section des primaires, jusqu’à l’entrée au collège, donc parmi les plus grands de cette section. Tidiane, c’était son nom, était persécuté aussi bien par les plus grands que par les plus petits. Il sanglotait tous les soirs, le plus souvent en silence. Je ne faisais pas attention à lui. Ce n’était pas mon problème.

Un jour, par hasard, je l’ai regardé. Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais il m’a touché. J’avais perdu ma petite sœur, que j’adorais. J’avais besoin de quelqu’un à aimer. Tout fragile, avec ses yeux tristes, ce fut Tidiane. Ce soir-là, quand il pleura, je suis allé vers lui. Je l’ai pris dans mes bras et je lui ai dit que, maintenant, nous étions frères, que je le défendrai toujours, pour tout. Puis nous avons dormi ensemble. Je n’ai jamais compris cette impulsion. Pourtant, c’est une des plus belles choses qui me soient arrivées.

Ce que j’ignorais, c’était que certains venaient la nuit pour l’arroser. Cette nuit, ce fut moi qu’ils mouillèrent. Avec deux yeux au beurre noir et un nez écrasé, j’ai pu les reconnaître le lendemain : ils n’étaient pas fiers.

Tidiane m’a enlacé et c’est moi qui ai pleuré, sans le lui montrer. Cela faisait si longtemps que personne ne m’avait étreint.

Très vite, tout le monde a su qu’il ne fallait plus le toucher. Il était collé à moi, me souriant sans arrêt. J’étais heureux de cette fraternité. Le soir, nous nous embrassions sur la joue et nous nous endormions en nous tenant. Que j’aimais sa chaleur contre moi ! J’étais bien avec mon petit frère, j’étais plus fort.

Certains nous ont traités de pédés, de tapettes. Ça n’a pas duré : j’ai tapé, dur. J'ignorais le sens de ces mots, mais je sentais que c’était une injure.

L’année d’après, j’ai changé de section et de dortoir. Chaque soir, Tidiane me racontait sa journée. Personne ne l’embêtait plus. Moi, j’étais au collège, encore le meilleur de la classe, de loin !

Le problème avec mes camarades de classe était qu’ils parlaient tous de leur famille. Moi, je ne pouvais pas. Un jour, un mec qui jouait les durs, m’a envoyé : « Tu ne parles jamais de ta famille, parce que tu es à l’orphelinat. Tes parents n’ont plus voulu de toi ! Ils t’ont jeté et ils ont eu raison ! ». On a dû appeler les pompiers quand on nous a séparés, car il ne bougeait plus. J’ai été salement engueulé, renvoyé pour trois jours, mais de nombreux élèves l’avaient entendu m’injurier : ils ne m’ont pas viré. C’est lui qui est parti dans un autre collège. À partir de ce moment, ceux qui sont devenus des copains faisaient attention à leurs propos, mais c’étaient tous de vrais copains.

L’année suivante, Tidiane m’a rejoint, au dortoir la nuit et au collège le jour. Dès que nous le pouvions, nous étions ensemble. Nous avions tellement besoin l’un de l’autre ! Mon frère ! Toujours !

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